Développement durable
De Rio à Johannesburg : dix ans pour rien ?
Dix ans séparent la conférence des Nations unies sur le développement durable, qui se tient à Johannesburg du 26 août au 4 septembre 2002, du sommet de la Terre réuni par l’Onu à Rio de Janeiro en juin 1992. Ces deux grand-messes internationales traitent à peu près des mêmes questions, mais leurs contenus et leurs conclusions ne se ressembleront guère.
Au début des années quatre-vingt-dix, le monde semblait prendre conscience de la nécessité de sauvegarder l’ensemble des écosystèmes terrestres qui, soumis à une exploitation dévastatrice, donnaient des signes évidents d’épuisement. La conférence de Rio reprenait alors à son compte la notion de développement durable, popularisée en 1987 par le célèbre rapport de la commission Brundtland, Notre avenir à tous, pour en faire un véritable programme d’action.
Désormais, le développement ne se résumerait plus à une croissance économique purement quantitative et prise comme une fin en soi, mais se devrait d’être socialement équitable – pour renverser la tendance au creusement des inégalités mondiales – et écologiquement sage – pour répondre aux besoins contemporains sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Un épais Agenda 21 faisait la liste des initiatives à prendre pour rendre le XXIe siècle vivable pour tous. Certes, au Nord comme au Sud, chacun tentait de préserver ses intérêts, mais aucun Etat ne niait la nécessité d’agir vite. Deux conventions internationales, l’une sur la lutte contre le réchauffement climatique et la seconde sur la préservation de la biodiversité, étaient d’ailleurs adoptées, malgré la résistance des lobbies industriels susceptibles d’en pâtir. Un fonds pour l’environnement mondial était créé, qui devait être doté de «financements nouveaux et additionnels» pour s’attaquer aux risques globaux.
Depuis 1992, le développement durable a connu de fulgurantes avancées… dans les discours. Tout le monde, au Nord comme au Sud, assure s’y être converti. A y regarder de plus près, pourtant, la prise de conscience de 1992 semble avoir marqué le pas, si bien que la plupart des engagements pris à Rio ont été oubliés et seront, selon toute vraisemblance, âprement renégociés à Johannesburg. Si quelques projets «verts» ont vu le jour dans les pays en développement, si la lutte contre la pauvreté a officiellement été érigée au rang de priorité internationale, le monde ne s’est pas pour autant converti à l’écodéveloppement que, déjà, la conférence de Stockholm de 1972 appelait de ses vœux.
Au Nord de la planète, on a vite oublié les promesses de réduire les gaspillages induits par le mode de croissance, et fait du développement durable un marché prometteur pour les technologies antipollution. Au Sud, l’impact cumulé d’une croissance démographique qui faiblit lentement, de la nécessité de rembourser la dette à coups d’exportations et de la multiplication des conflits dans des régions comme l’Afrique subsaharienne, a renvoyé aux calendes grecques le souci de durabilité. Depuis dix ans, en outre, les pays du Sud attendent en vain les dividendes que le Nord leur avait promis à Rio en échange de leur conversion au développement durable.
Des financements toujours attendus
Seule consolation pour les pays pauvres de la zone intertropicale, une convention internationale sur la désertification était adoptée en 1994, sans pour autant bénéficier de financements additionnels. En matière de sauvegarde de la biodiversité, qui intéresse au premier chef les pays en développement, il a fallu attendre 1999 pour voir s’ouvrir des négociations internationales censées aboutir à la signature d’un protocole sur la biosécurité. Après l’échec de la conférence de Carthagène en 1999, un texte de compromis a été négocié à Montréal en 2000, mais n’a pas encore été ratifié par un nombre suffisant de pays pour entrer en vigueur.
On comprend dès lors que la conférence convoquée par les Nations unies en juin 1997 à New York, pour tenter un bilan des efforts fournis cinq ans après le sommet de la Terre, ait dressé un premier constat d’échec, au point qu’elle reçut l’appellation ironique de «Rio moins cinq». Depuis, plusieurs réunions internationales ont tenté de concrétiser les engagements de Rio, avec des effets mitigés.
Dans la même veine, la rencontre de Johannesburg risque d’être qualifiée de «Rio moins dix» vu les résultats décevants des réunions chargées de la préparer. Lors de la dernière d’entre elles, à Bali, début juin, les participants n’ont pu que constater l’ampleur des divergences entre le Nord et le Sud surtout, mais aussi entre les Etats-Unis et l’Europe, sur tous les dossiers à traiter, du climat aux forêts en passant par les moyens de financement et les calendriers de mise en œuvre des décisions à prendre. Une telle frilosité illustre en fait l’ampleur du fossé qui sépare le tournant de 1990 du début du XXIe siècle. Alors qu’au sortir de la guerre froide, la communauté internationale semblait prendre conscience à Rio des grands enjeux planétaires en tentant de les affronter grâce à une gestion plus solidaire des ressources communes, la réunion de Johannesburg termine un cycle de rencontres internationales dans lesquelles ont prévalu le repli sur le court terme, la défense des intérêts nationaux et la consolidation du primat de l’économie sur les deux autres volets du développement durable, le social et l’environnement.
Désormais, le développement ne se résumerait plus à une croissance économique purement quantitative et prise comme une fin en soi, mais se devrait d’être socialement équitable – pour renverser la tendance au creusement des inégalités mondiales – et écologiquement sage – pour répondre aux besoins contemporains sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Un épais Agenda 21 faisait la liste des initiatives à prendre pour rendre le XXIe siècle vivable pour tous. Certes, au Nord comme au Sud, chacun tentait de préserver ses intérêts, mais aucun Etat ne niait la nécessité d’agir vite. Deux conventions internationales, l’une sur la lutte contre le réchauffement climatique et la seconde sur la préservation de la biodiversité, étaient d’ailleurs adoptées, malgré la résistance des lobbies industriels susceptibles d’en pâtir. Un fonds pour l’environnement mondial était créé, qui devait être doté de «financements nouveaux et additionnels» pour s’attaquer aux risques globaux.
Depuis 1992, le développement durable a connu de fulgurantes avancées… dans les discours. Tout le monde, au Nord comme au Sud, assure s’y être converti. A y regarder de plus près, pourtant, la prise de conscience de 1992 semble avoir marqué le pas, si bien que la plupart des engagements pris à Rio ont été oubliés et seront, selon toute vraisemblance, âprement renégociés à Johannesburg. Si quelques projets «verts» ont vu le jour dans les pays en développement, si la lutte contre la pauvreté a officiellement été érigée au rang de priorité internationale, le monde ne s’est pas pour autant converti à l’écodéveloppement que, déjà, la conférence de Stockholm de 1972 appelait de ses vœux.
Au Nord de la planète, on a vite oublié les promesses de réduire les gaspillages induits par le mode de croissance, et fait du développement durable un marché prometteur pour les technologies antipollution. Au Sud, l’impact cumulé d’une croissance démographique qui faiblit lentement, de la nécessité de rembourser la dette à coups d’exportations et de la multiplication des conflits dans des régions comme l’Afrique subsaharienne, a renvoyé aux calendes grecques le souci de durabilité. Depuis dix ans, en outre, les pays du Sud attendent en vain les dividendes que le Nord leur avait promis à Rio en échange de leur conversion au développement durable.
Des financements toujours attendus
Seule consolation pour les pays pauvres de la zone intertropicale, une convention internationale sur la désertification était adoptée en 1994, sans pour autant bénéficier de financements additionnels. En matière de sauvegarde de la biodiversité, qui intéresse au premier chef les pays en développement, il a fallu attendre 1999 pour voir s’ouvrir des négociations internationales censées aboutir à la signature d’un protocole sur la biosécurité. Après l’échec de la conférence de Carthagène en 1999, un texte de compromis a été négocié à Montréal en 2000, mais n’a pas encore été ratifié par un nombre suffisant de pays pour entrer en vigueur.
On comprend dès lors que la conférence convoquée par les Nations unies en juin 1997 à New York, pour tenter un bilan des efforts fournis cinq ans après le sommet de la Terre, ait dressé un premier constat d’échec, au point qu’elle reçut l’appellation ironique de «Rio moins cinq». Depuis, plusieurs réunions internationales ont tenté de concrétiser les engagements de Rio, avec des effets mitigés.
Dans la même veine, la rencontre de Johannesburg risque d’être qualifiée de «Rio moins dix» vu les résultats décevants des réunions chargées de la préparer. Lors de la dernière d’entre elles, à Bali, début juin, les participants n’ont pu que constater l’ampleur des divergences entre le Nord et le Sud surtout, mais aussi entre les Etats-Unis et l’Europe, sur tous les dossiers à traiter, du climat aux forêts en passant par les moyens de financement et les calendriers de mise en œuvre des décisions à prendre. Une telle frilosité illustre en fait l’ampleur du fossé qui sépare le tournant de 1990 du début du XXIe siècle. Alors qu’au sortir de la guerre froide, la communauté internationale semblait prendre conscience à Rio des grands enjeux planétaires en tentant de les affronter grâce à une gestion plus solidaire des ressources communes, la réunion de Johannesburg termine un cycle de rencontres internationales dans lesquelles ont prévalu le repli sur le court terme, la défense des intérêts nationaux et la consolidation du primat de l’économie sur les deux autres volets du développement durable, le social et l’environnement.
par Sophie Bessis
Article publié le 13/08/2002