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Inde

En quête de respectabilité nucléaire

New Delhi formalise l’usage de son arme nucléaire et rationalise sa chaîne de commandement. Une Direction du commandement nucléaire est créée afin d’éviter la confusion en cas de menace. Dans le contexte actuel, c’est aussi un message adressé à la communauté internationale.
Depuis samedi, New Delhi dispose d'une doctrine nucléaire, c'est à dire d'un mode d'emploi politique de sa bombe atomique. En vertu de cette doctrine, l'Inde s'est dotée d'une Direction du commandement nucléaire composée d'un conseil politique, présidé par le Premier ministre, et d'un conseil exécutif, dirigé par le conseiller à la sécurité nationale. Dans la chaîne de commandement mise en place, le conseil politique «est la seule instance qui puisse autoriser le recours aux armes nucléaires», sur la base des éléments d’information fournis par le conseil exécutif.

Cette décision répond tout d’abord à une nécessité de rationalisation. L’Inde est une démocratie dans laquelle l’engagement militaire est du ressort de l’autorité politique. Et il en allait de même pour les armes de destruction massive, dont l’usage était déjà soumis à l’approbation du pouvoir exécutif. Mais, jusqu’ici, le cercle décisionnaire était constitué d’un groupe composé de politiques, de militaires et de scientifiques dont le caractère informel pouvait laisser craindre l’installation d’un climat de confusion en cas de risque. A cet égard, les experts estiment que la décision indienne d’installer une direction du commandement nucléaire est de nature à prévenir les accidents.

En revanche, la doctrine à proprement parler n’a guère évolué. New Delhi réaffirme qu’elle n’aura pas recours la première à de telles armes. Mais elle se réserve le droit à une «riposte nucléaire (…) massive et conçue pour infliger des dommages inacceptables», indiquant ainsi la véritable nature stratégique de sa dissuasion nucléaire. A ce stade, New Delhi n’envisage donc pas de riposte graduée, mettant en œuvre des bombes atomiques utilisables sur un champ de bataille. On reste là dans la perspective de dissuasion classique, «l’équilibre de la terreur», qui prévalait à l’époque de la guerre froide: c’est la menace de destruction totale de l’ennemi, et de réplique équivalente en cas d’engagement de cette nature, qui contraint à la sagesse. L’autre point important qu’il convient de souligner est que la contre-attaque atomique indienne pourra être lancée pour faire face non seulement à une agression nucléaire, mais aussi biologique.

Faire face aux apprentis-sorciers

L’Inde est une puissance nucléaire ancienne, mais dont le potentiel militaire n’est officiellement révélé que depuis les tests effectués en 1998, parallèlement aux essais pakistanais. Car la décision de New Delhi de procuire des bombes atomiques, et de le faire savoir, doit évidemment être analysée non seulement sur la base de sa volonté d’être reconnue comme une grande puissance, mais également dans le contexte de course aux armements à laquelle se livrent les deux voisins. Aujourd’hui que les faits sont désormais établis de notoriété publique, l’Inde a donc décidé que la culture du secret entretenue en matière d’usage du feu nucléaire ne devait plus avoir cours.

Cette décision est donc aussi un message adressé aux communautés régionale et internationale. Les observateurs relèvent en effet que l’annonce indienne survient quelques jours après la dernière bravade du chef de l’Etat pakistanais. Le général Pervez Musharraf avait affirmé que son pays avait dissuadé l’Inde de l’attaquer, au plus fort de la dernière crise indo-pakistanaise il y a un an, en la menaçant d’avoir recours à des armes non-conventionnelles. Peu après le leader pakistanais était revenu sur cette déclaration en indiquant qu’il avait fait allusion à une action de guérilla. La tension entre les deux pays, qui se sont déjà livrés deux guerres sur la question de la souveraineté du Cachemire, s’était nettement apaisée au cours des six derniers mois et ils ont reconduit le 1er janvier l’accord qui les engage à ne pas attaquer les installations nucléaires de l’autre.

Cependant il reste encore un chemin à parcourir avant de parler de «détente». De très graves incidents se sont produits au cours de ces derniers jours au Cachemire. Ce dimanche encore au moins quarante personnes, dont quatre membres des forces de l'ordre, ont été blessées au Cachemire, par l'explosion d'une grenade lancée, selon la police, par des islamistes (que les autorités de New Delhi dénoncent systématiquement comme les bras armés d'Islamabad). Vendredi et samedi, des incidents séparés ont, par ailleurs, fait quatorze morts dans cette province: onze militants séparatistes (musulmans), deux garde-frontières et un policier.

D'autre part, l’Inde accuse le Pakistan de dissémination nucléaire et, dans le contexte actuel, elle a beau jeu de dénoncer (sans toutefois apporter de preuves) l’aide supposée d’Islamabad à la Corée du Nord ou de s’inquiéter que la bombe pakistanaise ne tombe entre les mains de terroristes islamistes. En clarifiant sa propre position dans ce domaine actuellement très sensible des relations internationales, l’Inde se donne l’image d’une grande puissance responsable qui partage les même préoccupations de ses pairs face aux apprentis-sorciers.



par Georges  Abou

Article publié le 05/01/2003