Ethiopie
«Crépuscule sur Badmé»
Addis-Abeba cherche querelle à la commission d’arbitrage qui a attribué à l’Erythrée la petite localité de Badmé, à la Haye le 13 avril 2002. Un arbitrage sans appel, conformément à l’accord de paix d’Alger de décembre 2000 qui mettait fin à la guerre ouverte deux ans plus tôt à Badmé justement, à l’ouest de la frontière entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Cette fois, ce sont les arpenteurs de la commission qui vont poser les bornes au sol, pour marquer la ligne de démarcation physique du tracé frontalier. Côté éthiopien, les esprits s’échauffent. Pomme de discorde nationaliste, Badmé est un enjeu de politique intérieure mais aussi régionale. La souveraineté sur Badmé va également servir d’argument à l’Erythrée pour imputer les dommages de guerre à l’Ethiopie.
Addis-Abeba a gagné du temps. De mois en mois, l'opération de bornage au sol a été reportée. En outre, à la demande des Ethiopiens, c’est aux confins djiboutiens du port d’Assab, que la Commission frontalière va commencer à planter ses bornes tout au long des mille kilomètres de frontière qui séparent l’Ethiopie de l’Erythrée. Assab, c’est à dire au sud-est, à l’extrémité opposée aux quelques arpents de plateaux semi-arides du lieu dit Badmé, une bourgade où est entrée la guerre de souveraineté entre les deux pays, en mai 1998. Depuis, une zone tampon de 25 kilomètres de large n’a pas empêché l’administration éthiopienne de reprendre ses quartiers à Badmé, ceux qu’elle occupait avant-guerre. A l'époque, sa présence laissait largement indifférentes les populations mélangées depuis des lustres aux autochtones kunama, une communauté érythréenne.
Badmé compte une poignée d’habitants seulement – entre 3 500 et 5 000 selon les sources – mais le ciel d’Addis-Abeba s’est obscurci avec ce que le pouvoir éthiopien a qualifié de «crépuscule sur Badmé», tombée aux mains de l’armée érythréenne. Des dizaines de milliers de soldats éthiopiens et 19 000 Erythréens (selon Asmara) sont morts au champ d’honneur dans la guerre qui s’est poursuivie après la reprise de Badmé par l’Ethiopie en février 1999. Une guerre de type conventionnel et de grande ampleur, avec ses batailles de chars, ses vagues humaines à l’assaut des tranchées et des pilonnages aériens qui ont donné la suprématie à l’Ethiopie en mai-juin 2000.
Un camouflet pour le nationalisme tigréen
Aujourd’hui, l’Ethiopie hausse le ton et fustige l’arbitrage de La Haye qui selon elle «procède comme si les vrais peuples et les vraies communautés» n’existaient pas à Badmé. Comme en écho, des administrateurs éthiopiens de Badmé jurent que «nous ne cèderons jamais Badmé à l’Erythrée» et promettent "une guerre à mort". De son côté, Asmara accuse l’Ethiopie de recoloniser Badmé et dénonce les contestations ethiopiennes comme des violations de l’accord d’Alger, qui entrouvrait la porte à des «observations» mais non point à des «réclamations» de la part des belligérants.
Des concessions sous forme de contorsions du tracé avait permis de confirmer la souveraineté d'Addis-Abeba sur la partie centrale de la frontière contestée, dans la région de Zalambessa et d’Alitena notamment, de commune renommée ethiopienne il est vrai. Mais justement, Addis s'en saisit pour contester la ligne droite tracée entre les rivières Mereb et Setib, au profit d’Asmara à Badmé. De leu côté, les arbitres de la Haye ont attendu la mi-avril 2003 pour affirmer explicitement que Badmé était érythréenne. Les textes et les cartes de la commission conduisaient de fait à cette conclusion. Mais la prudence diplomatique de rigueur pour ne pas accabler l’une ou l’autre partie avait laissé croire à l’Ethiopie qu’elle pouvait encore triompher.
Accorder Badmé à l’Erythrée, c’est retirer l'argument de la légitime défense à l’Ethiopie et donc annuler la légitimité et le profit qu'elle escomptait de sa victoire militaire. Addis-Abeba doit réviser à la hausse le coût politique des soldats morts au combat. Et au plan économique, l'Ethiopie se trouve bien démunie dans ses plaidoiries concernant le prix à payer pour les dommages de guerre. Au total, la perte de Badmé est un camouflet pour le nationalisme tigréen, qui préside aux destinées de l’Ethiopie et qui a mobilisé des troupes extra communautaires, en particulier dans la communauté oromo. En outre pour les anciens compagnons d’armes au pouvoir à Addis-Abeba et à Asmara, la souveraineté sur Badmé est un enjeu aux dimensions régionales.
La Commission frontalière est composée de représentants des deux pays. Et les Nations unies ont déployé une force de maintien de la paix de plus de 4 200 casques bleus depuis le début de 2001. En avril 2002, Addis-Abeba les a empêché, pendant une semaine, de franchir sa frontière en leur reprochant d’avoir amené des journalistes à Badmé à partir d’Asmara. Une manière d’insulte pour l’Ethiopie qui voyait là le signe d’une reconnaissance de la souveraineté érythréenne sur la bourgade. C’est bien le cas et c’est ce même tracé frontalier qu’il s’agit aujourd’hui de matérialiser.
Badmé compte une poignée d’habitants seulement – entre 3 500 et 5 000 selon les sources – mais le ciel d’Addis-Abeba s’est obscurci avec ce que le pouvoir éthiopien a qualifié de «crépuscule sur Badmé», tombée aux mains de l’armée érythréenne. Des dizaines de milliers de soldats éthiopiens et 19 000 Erythréens (selon Asmara) sont morts au champ d’honneur dans la guerre qui s’est poursuivie après la reprise de Badmé par l’Ethiopie en février 1999. Une guerre de type conventionnel et de grande ampleur, avec ses batailles de chars, ses vagues humaines à l’assaut des tranchées et des pilonnages aériens qui ont donné la suprématie à l’Ethiopie en mai-juin 2000.
Un camouflet pour le nationalisme tigréen
Aujourd’hui, l’Ethiopie hausse le ton et fustige l’arbitrage de La Haye qui selon elle «procède comme si les vrais peuples et les vraies communautés» n’existaient pas à Badmé. Comme en écho, des administrateurs éthiopiens de Badmé jurent que «nous ne cèderons jamais Badmé à l’Erythrée» et promettent "une guerre à mort". De son côté, Asmara accuse l’Ethiopie de recoloniser Badmé et dénonce les contestations ethiopiennes comme des violations de l’accord d’Alger, qui entrouvrait la porte à des «observations» mais non point à des «réclamations» de la part des belligérants.
Des concessions sous forme de contorsions du tracé avait permis de confirmer la souveraineté d'Addis-Abeba sur la partie centrale de la frontière contestée, dans la région de Zalambessa et d’Alitena notamment, de commune renommée ethiopienne il est vrai. Mais justement, Addis s'en saisit pour contester la ligne droite tracée entre les rivières Mereb et Setib, au profit d’Asmara à Badmé. De leu côté, les arbitres de la Haye ont attendu la mi-avril 2003 pour affirmer explicitement que Badmé était érythréenne. Les textes et les cartes de la commission conduisaient de fait à cette conclusion. Mais la prudence diplomatique de rigueur pour ne pas accabler l’une ou l’autre partie avait laissé croire à l’Ethiopie qu’elle pouvait encore triompher.
Accorder Badmé à l’Erythrée, c’est retirer l'argument de la légitime défense à l’Ethiopie et donc annuler la légitimité et le profit qu'elle escomptait de sa victoire militaire. Addis-Abeba doit réviser à la hausse le coût politique des soldats morts au combat. Et au plan économique, l'Ethiopie se trouve bien démunie dans ses plaidoiries concernant le prix à payer pour les dommages de guerre. Au total, la perte de Badmé est un camouflet pour le nationalisme tigréen, qui préside aux destinées de l’Ethiopie et qui a mobilisé des troupes extra communautaires, en particulier dans la communauté oromo. En outre pour les anciens compagnons d’armes au pouvoir à Addis-Abeba et à Asmara, la souveraineté sur Badmé est un enjeu aux dimensions régionales.
La Commission frontalière est composée de représentants des deux pays. Et les Nations unies ont déployé une force de maintien de la paix de plus de 4 200 casques bleus depuis le début de 2001. En avril 2002, Addis-Abeba les a empêché, pendant une semaine, de franchir sa frontière en leur reprochant d’avoir amené des journalistes à Badmé à partir d’Asmara. Une manière d’insulte pour l’Ethiopie qui voyait là le signe d’une reconnaissance de la souveraineté érythréenne sur la bourgade. C’est bien le cas et c’est ce même tracé frontalier qu’il s’agit aujourd’hui de matérialiser.
par Monique Mas
Article publié le 10/05/2003