Cinéma
Le cinéma africain entre engagement et sérénité
En huit courts chapitres et quelque 90 pages, notre collaboratrice Elisabeth Lequeret brosse le tableau des tendances du cinéma subsaharien.
Le titre annonce platement : Le cinéma africain, un continent à la recherche de son propre regard. Et pourtant, le petit livre d’Elisabeth Lequeret, journaliste à Radio France Internationale et collaboratrice régulière des Cahiers du cinéma, est un puissant antidote à toutes les platitudes qui s’énoncent sur les oeuvres d’Afrique francophone : «toutes pareilles», «mineures», «ennuyeuses», «naïves». Loin de tenter un panorama exhaustif ou une analyse englobante de ce cinéma, l’auteur préfère s’attacher à en cerner l’énergie propre, à identifier les moments de grâce et les scènes fondatrices qui en ressortent, à comprendre la vision du monde (et du septième art) qui s’y déploie.
En huit courts chapitres et en opérant des regroupements thématiques, esthétiques et historiques, Elisabeth Lequeret parvient ainsi à esquisser les principales tendances du cinéma subsaharien. Elle nous rappelle comment dans les années 60, sous le soleil des indépendances, les pères fondateurs comme le Sénégalais Sembène Ousmane et le Mauritanien Med Hondo ont conçu des films engagés, faisant du cinéma un moyen d’éducation politique, une arme de guerre contre les mentalités coloniales. Et comment durant la décennie suivante, marquée par les oeuvres du Malien Souleymane Cissé, le cinéma du continent est devenu un miroir tendu aux errances des sociétés africaines, en ces temps de désenchantement et de confiscation du pouvoir par des élites autoritaires et corrompues.
La période faste des années 80 et 90
Puis est venue la période faste - ou faudrait-il dire moins noire ? –, pour les cinéastes africains. C’est dans les années 80 et la première moitié des années 90 que s’est réalisé le plus grand nombre de films importants. Cette embellie a été couronnée en 1987 à Cannes, lorsque Cissé a reçu le prix du jury pour Yeelen. Quelles émotions, quelles souffrances, quels espoirs nous renvoyaient alors les écrans d’Afrique ? Ils nous parlaient de l’émergence d’un regard distancié des Africains sur eux-mêmes, de l’irruption de désirs individuels dans un paysage et un ordre social qui semblaient jusque-là immuables. Nombre d’œuvres s’articulent autour de personnages de sorcières, d’orphelins et d’exclus, dont le destin tragique souligne combien il en coûte de transgresser la loi de la tradition. Rares sont en effet les personnages qui parviennent à passer de l’autre côté du miroir, là où leur désir propre pourrait triompher de la volonté de la communauté et des forces invisibles.
Dans ces films pourtant resserrés autour d’êtres hors du commun, il n’est pas rare de voir la caméra s’attarder pendant de longs moments sur l’environnement naturel, le village. Pour Elisabeth Lequeret, «il y a dans cette insistance à faire surgir la fiction du paysage (au sens large), mais plus généralement dans la sérénité des rapports qu’il entretient avec le temps et l’espace, comme la marque de fabrique du cinéma africain». Même si quelques films, bien sûr, échappent à la règle, à l’instar de Touri Bouki, du Sénégalais Djibril Diop Mambéty ou de Samba Traoré, du Burkinabé Idrissa Ouédraogo.
Et aujourd’hui, où en est le septième art au sud du Sahara ? Après la disparition de plusieurs sources de financements au milieu des années 90, il semble s’enliser dans la crise. Seuls parviennent à surnager ceux qui tentent des solutions originales, recourant à la vidéo, à la télévision ou à la débrouille pour faire aboutir leurs projets. Plusieurs cinéastes nés ou résidents en France produisent aussi des oeuvres rares, où domine le thème de l’immigration comme mode de survie, avec tous les drames intimes qu’elle engendre. Malgré la présence au festival de Cannes 2003 de trois films d’Afrique noire, «le destin des cinémas d’Afrique reste fragile, suspendu à une masse d’inconnues qui ont bien peu à voir avec le talent ou l’énergie créatrice des réalisateurs», conclut Elisabeth Lequeret.
A lire :
Elisabeth Lequeret, Le Cinéma africain, un continent à la recherche de son propre regard, Cahiers du cinéma/les petits Cahiers/SCEREN-CNDP, 2003, 96 pages. Le livre est augmenté d’outils précieux : documents, tribune, interviews, géo-filmographie, chronologie, etc.
En huit courts chapitres et en opérant des regroupements thématiques, esthétiques et historiques, Elisabeth Lequeret parvient ainsi à esquisser les principales tendances du cinéma subsaharien. Elle nous rappelle comment dans les années 60, sous le soleil des indépendances, les pères fondateurs comme le Sénégalais Sembène Ousmane et le Mauritanien Med Hondo ont conçu des films engagés, faisant du cinéma un moyen d’éducation politique, une arme de guerre contre les mentalités coloniales. Et comment durant la décennie suivante, marquée par les oeuvres du Malien Souleymane Cissé, le cinéma du continent est devenu un miroir tendu aux errances des sociétés africaines, en ces temps de désenchantement et de confiscation du pouvoir par des élites autoritaires et corrompues.
La période faste des années 80 et 90
Puis est venue la période faste - ou faudrait-il dire moins noire ? –, pour les cinéastes africains. C’est dans les années 80 et la première moitié des années 90 que s’est réalisé le plus grand nombre de films importants. Cette embellie a été couronnée en 1987 à Cannes, lorsque Cissé a reçu le prix du jury pour Yeelen. Quelles émotions, quelles souffrances, quels espoirs nous renvoyaient alors les écrans d’Afrique ? Ils nous parlaient de l’émergence d’un regard distancié des Africains sur eux-mêmes, de l’irruption de désirs individuels dans un paysage et un ordre social qui semblaient jusque-là immuables. Nombre d’œuvres s’articulent autour de personnages de sorcières, d’orphelins et d’exclus, dont le destin tragique souligne combien il en coûte de transgresser la loi de la tradition. Rares sont en effet les personnages qui parviennent à passer de l’autre côté du miroir, là où leur désir propre pourrait triompher de la volonté de la communauté et des forces invisibles.
Dans ces films pourtant resserrés autour d’êtres hors du commun, il n’est pas rare de voir la caméra s’attarder pendant de longs moments sur l’environnement naturel, le village. Pour Elisabeth Lequeret, «il y a dans cette insistance à faire surgir la fiction du paysage (au sens large), mais plus généralement dans la sérénité des rapports qu’il entretient avec le temps et l’espace, comme la marque de fabrique du cinéma africain». Même si quelques films, bien sûr, échappent à la règle, à l’instar de Touri Bouki, du Sénégalais Djibril Diop Mambéty ou de Samba Traoré, du Burkinabé Idrissa Ouédraogo.
Et aujourd’hui, où en est le septième art au sud du Sahara ? Après la disparition de plusieurs sources de financements au milieu des années 90, il semble s’enliser dans la crise. Seuls parviennent à surnager ceux qui tentent des solutions originales, recourant à la vidéo, à la télévision ou à la débrouille pour faire aboutir leurs projets. Plusieurs cinéastes nés ou résidents en France produisent aussi des oeuvres rares, où domine le thème de l’immigration comme mode de survie, avec tous les drames intimes qu’elle engendre. Malgré la présence au festival de Cannes 2003 de trois films d’Afrique noire, «le destin des cinémas d’Afrique reste fragile, suspendu à une masse d’inconnues qui ont bien peu à voir avec le talent ou l’énergie créatrice des réalisateurs», conclut Elisabeth Lequeret.
A lire :
Elisabeth Lequeret, Le Cinéma africain, un continent à la recherche de son propre regard, Cahiers du cinéma/les petits Cahiers/SCEREN-CNDP, 2003, 96 pages. Le livre est augmenté d’outils précieux : documents, tribune, interviews, géo-filmographie, chronologie, etc.
par Sophie Boukhari
Article publié le 03/08/2003