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Géorgie

Chevardnadze au pied du mur

Huit jours après les élections législatives, une grande confusion continue de régner dans le pays où aucune majorité ne s’est encore dégagée pour construire un bloc politique capable de gouverner. Lundi, le président Chevardnadze a reçu le soutien du chef de la région semi-autonome d’Adjarie qui pourrait lui permettre de réunir derrière lui une majorité relative au parlement. Le ministre de l’Intérieur annonce l’envoi de renforts de police dans la capitale.
Les manifestations ont repris lundi matin à Tbilissi. Plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés devant le siège du parlement pour obtenir la démission du président Edouard Chevardnadze. Depuis la clôture du scrutin législatif, il y a une semaine, les marches de protestations n’ont pas cessé et samedi le ministre de la Défense a estimé que la situation était «pratiquement hors contrôle». Le même jour, la commission électorale annonçait la suspension du décompte des voix en raison du nombre de plaintes à examiner. Selon les chiffres publiés, qui portent sur quelque 90% des bulletins dépouillés, le bloc présidentiel «Pour une nouvelle Géorgie !» arrive en tête avec 20,9% des suffrages, devant l’Union du Renouveau du leader de la république autonome d’Adjarie Aslan Abachidzé, qui rassemble 19,6% de l’électorat. Ils sont suivis par une coalition d’opposition dirigée par l’ancien ministre de la Justice Mikhaïl Saakachvili, crédité de 18% des suffrages.

Celui-ci, accompagné de deux autres leaders d’opposition, a participé jusqu’à tard dans la nuit de dimanche à une ultime rencontre de négociations avec le président Chevardnadze. La réunion n’a pas abouti. Ces dirigeants «pensent que les élections devraient être annulées. Je n’ai pas le droit de le faire. C’est aux tribunaux d’en décider. Je ne peux ni avaliser ni annuler le scrutin», a déclaré M. Chevardnadze. A l’issue des discussions les trois hommes ont rejoint les manifestants toujours rassemblés devant le parlement pour exiger la démission du président. Ces derniers estiment que la victoire leur a été volée lors d’un scrutin entaché d’irrégularités. Irrégularités constatées par les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe qui en imputent davantage la responsabilité à un manque de détermination politique qu’à une volonté de fraude.

En tout état de cause, à moins d’une annulation du scrutin et d’un retour aux urnes, aucun parti ne disposera de la majorité absolue dans le prochain parlement géorgien. D’où l’agitation en cours dont l’objectif est de parvenir tant bien que mal à un paysage politique propice aux alliances et à la construction d’une coalition gouvernementale. Lundi matin, M. Chevardnadze a quitté Tbilissi à destination de la république autonome d’Adjarie pour des entretiens avec son président dont il recevait finalement le soutien en fin de journée. Et il a annulé son allocution hebdomadaire à la radio.

Renforts de police attendus à Tbilissi

Cette tension politique survient dans un climat dégradé sur le plan intérieur, et dans une région déstabilisée et ouverte aux appétits des grandes puissances. Edouard Chevardnadze, qui achèvera son second mandat en 2005, n’a pas été en mesure de réduire le climat d’affairisme et de corruption qui empoisonne la vie de ses concitoyens dont 54% vivent au dessous du seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale, en dépit d’une reprise attestée de l’activité économique, avec une croissance de 8,3% du Produit intérieur brut (PIB) sur les neuf premiers mois de l’année, d’une inflation maîtrisée et de l’intérêt que le pays suscite à l’étranger. Car il dispose d’un atout maître : il est situé sur le trajet du tracé de l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC), principal axe de contournement du pétrole moyen-oriental et de la Russie, qui doit relier l’Azerbaïdjan à la Turquie et qui transportera le pétrole caucasien de la Caspienne vers la Méditerranée. L’investissement des compagnies, conduite par la British Petroleum, s’élève à plusieurs milliards de dollars et les royalties attendues représenteront environ 2% du PIB. Le projet, dont le premier coup de pioche a été donné au mois de mai dernier, déplait au grand voisin russe. Depuis une quinzaine d’année, Moscou voit son influence régionale décliner au profit des occidentaux en général et de Washington en particulier qui a d’ores et déjà posé des jalons en Géorgie et participe notamment à un programme d’assistance militaire et de formation des soldats géorgiens dans la perspective d’une adhésion prochaine de Tbilissi à l’organisation militaire occidentale OTAN.

Le problème de la sécurité en Géorgie ne se borne pas à surveiller les installations pétrolières. Ce pays est également travaillé, tout comme ses voisins, par des mouvements séparatistes, en Ossétie du Sud et en Abkhazie. Moscou est soupçonné de souffler le chaud et le froid sur les braises du séparatisme et, pour faire bonne mesure, entretient sur place un corps expéditionnaire censé contribuer au renforcement de la sécurité tout en lançant périodiquement des mises en garde en direction du pouvoir géorgien accusé de laxisme à l’égard des indépendantistes tchétchènes soupçonnés d’établir leurs bases arrières sur le territoire de la Géorgie.

Ce lundi, face à la persistance des rassemblements et à la détermination des manifestants le ministre de l’Intérieur a annoncé le transfert prochain de policiers vers la capitale. Ces effectifs seront prélevés sur le contingent déployé dans les gorges de Pankissi, limitrophe de la Tchétchénie. Reste à savoir si, à 75 ans et à moins de deux ans de la fin de son mandat, le dernier selon la constitution, le président sera en mesure à la fois de donner des gages à la rue, de canaliser les ambitions de la classe politique nationale, d’être à la hauteur des attentes des bailleurs de fonds et donneurs d’aides internationaux, tout en apaisant Moscou et, en conséquence, de conduire son pays vers une issue sereine.



par Georges  Abou

Article publié le 10/11/2003