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Prix littéraires

Ki-Zerbo, ou le combat pour l’Afrique

Le prix RFI-Témoin du monde a été décerné à l’historien et homme politique burkinabé Joseph Ki-Zerbo, pour son ouvrage À quand l’Afrique? (*). La récompense couronne un vieux sage (83 ans) qui, de ses premières œuvres à aujourd’hui, n’a cessé d’interroger le devenir de son continent.
Dans cet entretien avec René Holenstein, Joseph Ki-Zerbo, célèbre historien et homme politique burkinabé, revient sur son parcours d'intellectuel et d'homme d'action, engagé dès la première heure dans la lutte pour les indépendances africaines. Pétri de culture classique, grand lecteur des philosophes européens, Ki-Zerbo a été comme tous les intellectuels de sa génération influencé par le marxisme et par les théories de la révolution, sous l’égide d’un «volontarisme capable de transformer les sociétés». Cette option l’a conduit très tôt à militer au plan politique (dès 1958 il crée son parti politique). Mais il est surtout connu pour son plaidoyer constant en faveur d’une Afrique plus consciente d’elle-même, de ses forces et de ses faiblesses. Ses premières réflexions l’ont ainsi très tôt amené à mettre en relief l’importance de l’éducation dans l’émancipation des Africains.

Éduquer ou périr

Premier africain agrégé d'histoire à la Sorbonne, en 1956, il enseigne d’abord en France et à Dakar, avant d’arriver à Conakry (Guinée): il fait partie en effet des intellectuels panafricanistes qui se sont retrouvés aux côtés de Sekou Touré après le «non» à De Gaulle. A son retour en Haute-Volta désormais indépendante, il se consacre en parallèle à l’animation politique et à la réflexion théorique, tout en soutenant la promotion de l’éducation, une préoccupation constante qui le conduit à être tour à tour président de la Commission nationale pour l’Unesco, inspecteur d’académie et directeur général de l’éducation nationale en Haute-Volta, président de la commission «Histoire et archéologie» du premier congrès des africanistes à Accra en 1962, membre du bureau du congrès des africanistes (1962-1969), président du Colloque sur l’encyclopédie africaine (1962), président de la Commission consultative pour la réforme des programmes universitaires dans les pays francophones d’Afrique, enfin l’un des initiateurs et le premier secrétaire général du Cames (Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur). Son combat dans ce domaine est illustré dans un ouvrage publié en 1990: Éduquer ou périr.
Historien et théoricien du développement, ses deux principales œuvres en ce domaine sont l’Histoire de l’Afrique noire (1978) et La natte des autres (pour un développement endogène en Afrique), (1992). Il lance par ailleurs à Ouagadougou, en 1980, le Centre d’études pour le développement africain (CEDA), et au niveau continental contribue à la création du Centre de recherche pour le développement endogène (CRDE), qui a son siège à Dakar et pour devise: «On ne développe pas, on se développe».
S’il jouit, en tant qu’intellectuel et historien d’une large reconnaissance internationale (membre du conseil exécutif de l'Unesco, il a par ailleurs été directeur scientifique des deux volumes de l'Histoire générale de l'Afrique, publiée par l'Unesco), au plan politique son parcours au Burkina est plus aléatoire, à la tête successivement du Mouvement de libération nationale, puis de l’Union progressiste voltaïque et enfin du Parti pour la démocratie et le progrès.

Ces dernières années, son propre cheminement l’amène à rencontrer, un peu incidemment, l’altermondialisme aujourd’hui en pleine vigueur, mouvement auquel il peut contribuer à travers sa théorie d’un développement alternatif de l’Afrique, à la fois endogène et ouvert sur le meilleur de la technicité et des acquis culturels occidentaux. Il a obtenu à ce titre, en 1997, le prix Nobel alternatif. Dans son livre d’entretiens, il dénonce les dégâts de l'ajustement structurel, s'en prend à l'aide internationale, en partie «abandonnée à des groupes mafieux», recommande de «ne pas se laisser enfermer dans le réductionnisme économiciste», un réductionnisme qui fait de l'éducation et de la culture les deux grands oubliés des politiques de développement, au même titre d'ailleurs que le secteur de la santé, frappé de plein fouet par les politiques de privatisation.

(*) A quand l’Afrique, éditions de l’Aube, un ouvrage coédité par les Presses universitaires d’Afrique (Cameroun), éd. Éburnie (Côte d’Ivoire), éd. Jamana (Mali), éd. Ganndal (Guinée), éd. Ruisseaux d’Afrique (Bénin), éd de l’Aube (France), éd. Sankofa & Gurli (Burkina Faso), Ed. d'en bas (Suisse).

Consultez également notre dossier magazine sur le prix RFI-Témoin du monde.



par Thierry  Perret

Article publié le 01/12/2003