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Japon

Des soldats pour l’Irak

Les quarante premiers soldats de la mission humanitaire non combattante envoyée par le Japon ont quitté leur pays à destination du théâtre des opérations, vendredi. Malgré les réticences de son opinion publique, Tokyo va apporter son soutien à l’effort de guerre américain en Irak. C’est une nouvelle étape franchie vers la transformation des forces armées japonaises et la remilitarisation du pays.
L’avant-garde des «Forces d’autodéfense» a embarqué dans la discrétion, vendredi, sur deux vols réguliers de la British Airways à destination du Golfe. La quarantaine de soldats, en civil, a quitté l’aéroport de Tokyo en deux vagues successives. Membres des forces aériennes nippones, ils sont attendus au Qatar et au Koweït, première étape de leur déploiement dans la région, d’où ils prépareront l’arrivée de 150 de leurs collègues, de l’armée de l’air également, attendus le mois prochain.

D’ici la fin du mois de février, six cents militaires japonais sont attendus en Irak pour une mission d’un an, à dater du 15 décembre 2003. Ils seront équipés de 200 véhicules comprenant, des blindés, des avions de transports militaires, au nombre de huit, et des navires de guerre, parmi lesquels deux contre-torpilleurs.

Ce soutien à l’effort de guerre américain en Irak est largement désapprouvé par l’opinion publique japonaise, déjà ébranlée par la mort de deux diplomates japonais, tombés dans une embuscade fin novembre près de Tikrit. Selon de récents sondages publiés dans l’archipel, plus de la moitié des Japonais (55%) est contre ce déploiement, alors qu’un tiers (34%) soutient l’initiative du Premier ministre Junichiro Koizumi. Pour 90% des personnes interrogées, les soldats japonais finiront par être impliqués dans les combats.

Pour parvenir à engager son pays auprès de ses alliés américains, le Japon a dû avoir recours à la voie législative. En effet, en vertu de l’article 9 de sa constitution, promulguée à l’issue de la seconde guerre mondiale en 1946, Tokyo «renonce pour toujours à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ainsi qu’à la menace ou au recours à la force» comme moyen de règlement des litiges internationaux.

En juillet, le parlement avait dû voter une loi spéciale autorisant l’envoi de soldats en Irak pour des missions humanitaires, logistiques et médicales, mais interdisant tout déploiement en zones de combats. A la grande satisfaction de l’administration américaine, après des mois de tergiversations, le 9 décembre le gouvernement japonais prenait la décision d’envoyer son armée apporter une aide à la reconstruction de l’Irak et participer à l’effort humanitaire. C’est donc la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale que des soldats japonais se retrouveront en mission extérieure hors mandat de l’ONU, et dans un pays en guerre.

La remilitarisation du Japon

L’affaire ne fait pas non plus l’unanimité dans la région Asie-Pacifique. La Chine et la Corée du Nord, qui ont eu à subir l’invasion et la cruelle occupation des troupes impériales, réveillent les vieux démons enfouis. A Pyongyang, l’agence nationale KCNA prédit la répétition des atrocités du dernier conflit et prête à Tokyo l’ambition de se «transformer (…) en un géant militaire et expansionniste outre-mer». A Pékin, l’image du partenaire commercial traditionnel s’estompe au profit de celle de l’ancien conquérant qui n’a toujours pas reconnu ses atrocités commises lors des quatorze années que dura l’occupation japonaise, jusqu’en 1945. Selon l’agence Chine nouvelle, le Japon veut «prouver à la communauté internationale que le pays n’est pas seulement une puissance économique mais a aussi des capacités militaires». Selon l’agence, «aider les Etats-Unis, qui rencontrent des difficultés en Irak, va renforcer l’alliance américano-japonaise et, dans le même temps, permettre au Japon de protéger ses intérêts pétroliers».

Tokyo va donc s’impliquer physiquement auprès de son allié, et non plus se contenter d’apporter sa contribution financière aux efforts de guerre de Washington. Cette contribution s’ajoutera aux 5 milliards de dollars promis d’ici 2007 par le Japon pour reconstruire l’Irak. Mais elle va s’avérer lourde de danger tant sur le plan militaire que politique. En effet, si les troupes japonaises ne participeront pas à des missions combattantes, elles seront en revanche combattues, au même titre que les autres membres de la coalition, et on imagine l’effet que pourront produire certaines images diffusées par les télévisions japonaises sur une opinion publique récalcitrante. Déjà, la cote de popularité du Premier ministre est en baisse. La presse de l’archipel semble très embarrassée par ce revirement historique qui, selon elle, manifeste une obligation de soumission à l’égard de l’allié américain.

L’engagement financier japonais sera à nouveau requis ce week-end, lorsque l’émissaire du président américain pour la dette irakienne ira plaider un allègement auprès de Tokyo. Après l’Europe, James Baker poursuit sa mission en Asie et attend du Japon qu’il fasse un geste pour réduire la dette publique de Bagdad. Tokyo abordera le problème (4,1 milliards de dollars) de manière «constructive», a indiqué la ministre japonaise des Affaires étrangères, Yoriko Kawaguchi.

Il n’est pas invraisemblable d’imaginer que Tokyo recevra la rétribution de sa fidélité sous forme d’une place privilégiée pour ses entreprises dans le partage du marché de la reconstruction de l’Irak. D’ores et déjà un consortium dirigé par Mitsubishi Corporation serait en position de force pour exploiter d’importants champs gaziers de l’ouest irakien. Mais ces nouvelles orientations japonaises s’inscriraient également dans un projet plus vaste de normalisation d’un Japon débarrassé de ses complexes d’anciens vaincus, dispensé de justification pacifiste, et préparant une révision constitutionnelle (en 2005) l’autorisant à la création d’une véritable armée visant à remplacer les actuelles «Forces d’autodéfense». Ce projet serait déjà en cours d’élaboration. Le Premier ministre a demandé à son collègue de la Défense de reconsidérer «le système de défense du Japon dans son ensemble avec en vue l’entrée dans une ère nouvelle».



par Georges  Abou

Article publié le 26/12/2003