Côte d''Ivoire
Guillaume Soro veut tenir les élections en joue
Depuis Bamako, où il a rencontré le président Amadou Toumani Touré, le secrétaire général des Forces nouvelles (FN), Guillaume Soro, a déclaré ce 26 février que ses troupes ne désarmeraient pas avant des «élections crédibles et transparentes en Côte d'Ivoire». Celles-ci sont prévues en 2005, à l’issue du mandat du président Gbagbo. Et, c’est justement pour qu’elles soient «libres et justes» qu’un programme de désarmement-démobilisation-réinsertion (DDR) des anciens belligérants accompagne le travail de «réconciliation nationale» du gouvernement auquel Guillaume Soro est censé participer comme ministre de la Communication. Aujourd’hui, sa déclaration ébranle l’échafaudage des accords de Marcoussis dont il n’a pourtant eu de cesse de se réclamer. Elle intervient en outre au moment où Washington vient de valider auprès du Conseil de sécurité la demande française de renforts en Casques bleus pour surveiller la préparation des élections et sécuriser les électeurs.
Guillaume Soro moque le Premier ministre (de consensus), Seydou Diarra, qui vient tout juste de se déclarer comme «ancien combattant numéro Un» pour solenniser l’annonce du début du DDR, le 8 mars prochain. Pour symboliser son adhésion au désarmement, le chef du gouvernement a remis aux responsables du DDR une kalachnikov empruntée pour l’occasion. «C'est une arme de plus pour nous», ironise Guillaume Soro, sans que son propos soit parfaitement clair, au moment où une polémique s’est élevée, concernant l’approvisionnement des anciens-combattants rebelles. Le ministre de la Communication est en revanche parfaitement limpide lorsqu’il affirme au nom des FN: «Il n'y aura de désarmement que quand il y aura des élections démocratiques en Côte d'Ivoire». «Le DDR se déroule sous la supervision des forces impartiales» française et ouest-africaine, répond Seydou Diarra, depuis Bruxelles où il bat le rappel des donateurs pour la reconstruction ivoirienne. Le Premier ministre observe au passage que le DDR, «approuvé par toutes les parties siégeant au sein du gouvernement de réconciliation nationale», FN comprises, vise en particulier à permettre «d'organiser des élections dans des conditions de transparence et de sécurité pour tous les acteurs politiques ivoiriens».
«On ne peut pas nous dire de façon péremptoire de donner nos armes. Le désarmement est un processus. Et il doit être concomitant», affirme aujourd’hui Guillaume Soro, estimant que le DDR doit coïncider «au moins» avec l'adoption des nouvelles lois sur l'éligibilité à la magistrature suprême, sur le foncier et sur le code de nationalité. Ce sont là en effet les principales pommes de discorde pointées par la rébellion. Mais elles ont déjà fait l’objet de projets de lois concoctés entre les anciens belligérants rassemblés dans le gouvernement. Reste à les soumettre au Parlement pour adoption. La question des candidatures à la présidentielle exige pour sa part une réforme constitutionnelle soumise à référendum. Mais tout cela a déjà fait l’objet de maints débats, sinon de polémiques plus ou moins définitivement réglées. Rien en tout cas, dans l’esprit ou la lettre du programme de règlement de la crise ivoirienne, ne laisse penser qu’il soit envisageable d’organiser un scrutin dans une Côte d’Ivoire où les armes empêcheraient, notamment, la libre circulation et le recensement des électeurs.
Cacher la vérité du rapport de force
En refusant de désarmer avant la fin du processus électoral, Guillaume Soro paraît suggérer qu’il ne s’inclinera pas non plus devant des résultats qui ne seraient pas à son goût. Reste à savoir s’il dispose véritablement des moyens de tenir le scrutin en joue. «Gbagbo fait beaucoup de publicité sur les armes qu'il a, mais nous nous ne souhaitons pas pour le moment en faire sur notre arsenal», dit-il. Refuser de désarmer, et donc de faire recenser matériel et anciens-combattants, lui permet aussi de garder ce mystère pour ne pas laisser filtrer la vérité sur le rapport de force. Pour sa part, la Commission nationale de démobilisation, de désarmement et de réinsertion (CNDDR) présidée par Alain Donwahi rapporte que «dans les zones initialement sous contrôle des Forces nouvelles, nous sommes parvenus à regrouper les soldats et le président Donwahi les nourrit pour éviter qu’ils aillent extorquer de la nourriture aux populations». Cette démarche, tout à fait classique en matière de DDR, a provoqué des suspicions, certains suggérant que Donwahi détournait l’argent du DDR au profit des ex-rebelles. La précision du CNDDR n’est donc pas superflue. Elle paraît en outre indiquer que les anciens combattants FN n’ont plus assez de ressources propres.
Déjà, en octobre dernier, Guillaume Soro avait demandé le concours des soldats français de l’opération Licorne à Bouaké pour ramener l’ordre entre ses propres «combattants» qui se sont disputé le pactole de la succursale de la BCEAO. On ne sait pas en revanche si les troupes FN sont aujourd’hui d’accord avec lui pour garder le fusil à l’épaule. Il leur faudra alors assurer leur autosuffisance jusqu’après 2005 et renoncer au pécule et à la réinsertion promise par le DDR. Sans doute les avis sont-ils partagés entre soldats de fortune et militaires de carrière, entre ceux qui entrevoient encore une chance de consommer le coup d’Etat tenté le 19 septembre 2002 et d’autres qui se contenteraient d’un avenir civil ou politique ordinaire.
Guillaume Soro craint visiblement de se retrouver nu en tombant le battle-dress. Son autorité sur les FN est difficile à apprécier. Mais il s’en réclame à propos de son concurrent, le sergent Ibrahim Coulibaly (IB), ancien putschiste aujourd'hui sous contrôle judiciaire en France. «Il n'y a pas de problème Soro-IB, mais un problème IB-Forces nouvelles», assure Guillaume Soro expliquant que «IB nous a demandé de le nommer président des Forces nouvelles, mais après une réunion, nous lui avons conseillé de terminer d'abord avec son dossier judiciaire». Par ailleurs, selon Guillaume Soro, «la transformation des Forces nouvelles en parti politique n'est pas une question d'actualité». Visiblement, Guillaume Soro a besoin de temps. En attendant, il se drape dans le flou d’une situation ambiguë qui paralyse la Côte d’Ivoire encore et toujours coupée en deux.
Au total, la déclaration de Soro a tout pour déplaire à tout le monde, sauf à son principal adversaire, Laurent Gbagbo, qui peut espérer là un nouvel effet repoussoir en sa faveur. Soro s’inscrit en faux contre le désarmement au moment même où, à New York, les Américains ont finalement décidé de voter pour la résolution française autorisant le déploiement de 6240 Casques bleus en Côte d’Ivoire pour appuyer le désarmement et sécuriser le processus électoral. Conformément à la pratique onusienne, une telle opération ne peut avoir lieu sans le consentement et la participation de toutes les parties. Paris a donc toutes les raisons d’être irrité par le revirement de Guillaume Soro. Ses partenaires de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) aussi. Kofi Annan également, qui a dû convaincre Washington de voter dans le bon sens au Conseil de sécurité. Tous avaient déjà fait pression sur les Forces nouvelles pour qu’elles reviennent au gouvernement de réconciliation nationale boycotté en septembre dernier.
Ce 27 février, l'adoption de la résolution onusienne, passe outre les efforts de Guillaume Soro pour détricoter le scénario de sortie de crise péniblement programmé d’Abidjan à Korhogo (où les forces françaises sont déployées depuis janvier dernier). De son côté, le chef du Rassemblement démocratique de Côte d’ivoire (RDR), Alassane Ouattara, l’homme symbole de la guerre à l’ivoirienne, envisage justement de profiter de la sécurité promise par les Casques bleus pour rentrer au pays. Cette perspective, ouverte ces dernières semaines, explique peut-être aussi en partie la fébrilité de Guillaume Soro.
«On ne peut pas nous dire de façon péremptoire de donner nos armes. Le désarmement est un processus. Et il doit être concomitant», affirme aujourd’hui Guillaume Soro, estimant que le DDR doit coïncider «au moins» avec l'adoption des nouvelles lois sur l'éligibilité à la magistrature suprême, sur le foncier et sur le code de nationalité. Ce sont là en effet les principales pommes de discorde pointées par la rébellion. Mais elles ont déjà fait l’objet de projets de lois concoctés entre les anciens belligérants rassemblés dans le gouvernement. Reste à les soumettre au Parlement pour adoption. La question des candidatures à la présidentielle exige pour sa part une réforme constitutionnelle soumise à référendum. Mais tout cela a déjà fait l’objet de maints débats, sinon de polémiques plus ou moins définitivement réglées. Rien en tout cas, dans l’esprit ou la lettre du programme de règlement de la crise ivoirienne, ne laisse penser qu’il soit envisageable d’organiser un scrutin dans une Côte d’Ivoire où les armes empêcheraient, notamment, la libre circulation et le recensement des électeurs.
Cacher la vérité du rapport de force
En refusant de désarmer avant la fin du processus électoral, Guillaume Soro paraît suggérer qu’il ne s’inclinera pas non plus devant des résultats qui ne seraient pas à son goût. Reste à savoir s’il dispose véritablement des moyens de tenir le scrutin en joue. «Gbagbo fait beaucoup de publicité sur les armes qu'il a, mais nous nous ne souhaitons pas pour le moment en faire sur notre arsenal», dit-il. Refuser de désarmer, et donc de faire recenser matériel et anciens-combattants, lui permet aussi de garder ce mystère pour ne pas laisser filtrer la vérité sur le rapport de force. Pour sa part, la Commission nationale de démobilisation, de désarmement et de réinsertion (CNDDR) présidée par Alain Donwahi rapporte que «dans les zones initialement sous contrôle des Forces nouvelles, nous sommes parvenus à regrouper les soldats et le président Donwahi les nourrit pour éviter qu’ils aillent extorquer de la nourriture aux populations». Cette démarche, tout à fait classique en matière de DDR, a provoqué des suspicions, certains suggérant que Donwahi détournait l’argent du DDR au profit des ex-rebelles. La précision du CNDDR n’est donc pas superflue. Elle paraît en outre indiquer que les anciens combattants FN n’ont plus assez de ressources propres.
Déjà, en octobre dernier, Guillaume Soro avait demandé le concours des soldats français de l’opération Licorne à Bouaké pour ramener l’ordre entre ses propres «combattants» qui se sont disputé le pactole de la succursale de la BCEAO. On ne sait pas en revanche si les troupes FN sont aujourd’hui d’accord avec lui pour garder le fusil à l’épaule. Il leur faudra alors assurer leur autosuffisance jusqu’après 2005 et renoncer au pécule et à la réinsertion promise par le DDR. Sans doute les avis sont-ils partagés entre soldats de fortune et militaires de carrière, entre ceux qui entrevoient encore une chance de consommer le coup d’Etat tenté le 19 septembre 2002 et d’autres qui se contenteraient d’un avenir civil ou politique ordinaire.
Guillaume Soro craint visiblement de se retrouver nu en tombant le battle-dress. Son autorité sur les FN est difficile à apprécier. Mais il s’en réclame à propos de son concurrent, le sergent Ibrahim Coulibaly (IB), ancien putschiste aujourd'hui sous contrôle judiciaire en France. «Il n'y a pas de problème Soro-IB, mais un problème IB-Forces nouvelles», assure Guillaume Soro expliquant que «IB nous a demandé de le nommer président des Forces nouvelles, mais après une réunion, nous lui avons conseillé de terminer d'abord avec son dossier judiciaire». Par ailleurs, selon Guillaume Soro, «la transformation des Forces nouvelles en parti politique n'est pas une question d'actualité». Visiblement, Guillaume Soro a besoin de temps. En attendant, il se drape dans le flou d’une situation ambiguë qui paralyse la Côte d’Ivoire encore et toujours coupée en deux.
Au total, la déclaration de Soro a tout pour déplaire à tout le monde, sauf à son principal adversaire, Laurent Gbagbo, qui peut espérer là un nouvel effet repoussoir en sa faveur. Soro s’inscrit en faux contre le désarmement au moment même où, à New York, les Américains ont finalement décidé de voter pour la résolution française autorisant le déploiement de 6240 Casques bleus en Côte d’Ivoire pour appuyer le désarmement et sécuriser le processus électoral. Conformément à la pratique onusienne, une telle opération ne peut avoir lieu sans le consentement et la participation de toutes les parties. Paris a donc toutes les raisons d’être irrité par le revirement de Guillaume Soro. Ses partenaires de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) aussi. Kofi Annan également, qui a dû convaincre Washington de voter dans le bon sens au Conseil de sécurité. Tous avaient déjà fait pression sur les Forces nouvelles pour qu’elles reviennent au gouvernement de réconciliation nationale boycotté en septembre dernier.
Ce 27 février, l'adoption de la résolution onusienne, passe outre les efforts de Guillaume Soro pour détricoter le scénario de sortie de crise péniblement programmé d’Abidjan à Korhogo (où les forces françaises sont déployées depuis janvier dernier). De son côté, le chef du Rassemblement démocratique de Côte d’ivoire (RDR), Alassane Ouattara, l’homme symbole de la guerre à l’ivoirienne, envisage justement de profiter de la sécurité promise par les Casques bleus pour rentrer au pays. Cette perspective, ouverte ces dernières semaines, explique peut-être aussi en partie la fébrilité de Guillaume Soro.
par Monique Mas
Article publié le 27/02/2004 Dernière mise à jour le 26/02/2004 à 23:00 TU