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Côte d''Ivoire

«Comment reconnaît-on un pouvoir légal ?»

De la Fondation Jean Jaurès à l’Elysée, du cercle socialiste saluant sa capacité «à faire face» au sommet du pouvoir qui le juge désormais fréquentable, cette visite de «travail» du président Gbagbo ne consacre pas seulement la normalisation des relations entre Paris et Abidjan. Elle recadre aussi la glaciation qui a prévalu ces seize derniers mois. Ses amis socialistes, premier secrétaire du parti en tête – François Hollande lui a rendu visite à son hôtel le 4 février –, sont venus lui assurer que ce gel n’avait pas entamé leur appui, parfois critique. Mais surtout, ce 5 février, l’entrevue avec Jacques Chirac faisait figure d’adoubement. Pour Laurent Gbagbo, elle devait être aussi l’occasion d’une «discussion approfondie sur les relations entre la France et l’Afrique». «Tout est au beau fixe», assurait-il au sortir de l’Elysée. Et sur le terrain économique, de tous récents accords ancrent dans la durée la consolidation des nouvelles relations franco-ivoiriennes.
«Qu’est-ce qu’un pouvoir légal, comment reconnaît-on un pouvoir légal ?», interroge le chef de l’Etat ivoirien, à propos d’une guerre civile éprouvante mais aussi d’un bras de fer diplomatique dont il assure voir aujourd’hui l’issue. Un an plus tôt, la diplomatie française tentait de lui «tordre le bras», avenue Kléber, à Paris, devant un parterre onusien et africain comprenant notamment l’ami présumé de ses adversaires, le Burkinabé Blaise Compaoré ou le Libérien Charles Taylor, lançant sa dernière étincelle diplomatique. En ce 25 janvier 2003, Kofi Annan était venu aider le président Chirac à convaincre Laurent Gbagbo de lâcher le pouvoir. Le numéro deux du Rassemblement des républicains d’Alassane Ouatarra (RDR), Henriette Diabaté, était évoquée comme Premier ministre de consensus tandis que les anciens rebelles transformés en Forces nouvelles se prévalaient des portefeuilles sensibles de la Défense et de l’Intérieur. La veille, sous la houlette du constitutionnaliste français Pierre Mazaud, partis politiques ivoiriens et ex-rebelles avaient signé un accord de réconciliation nationale, à Marcoussis, dans la banlieue parisienne. Le texte les invitait à travailler, dans un gouvernement inclusif, au règlement des différentes questions qui ont enflammé la Côte d’Ivoire : code de la nationalité, propriété des terres ou éligibilité à la magistrature suprême. Sur ce dernier point brûlant, il suggérait la révision – dans les formes constitutionnelles – de l’article concerné. Mais au total, le texte de Marcoussis n’a bien sûr nullement remis en cause la charte fondamentale ivoirienne. Laurent Gbagbo s’est donc accroché à la Constitution pour ne pas se laisser emporter par la lame de fond politico-diplomatique.

L’année dernière, le président Gbagbo n’est pas rentré de Paris à Abidjan avec un Premier ministre RDR et des ministres sécuritaires issus de la rébellion. Ce 5 février, il déjeunait avec le président Chirac, venu lui donner l’accolade sur le perron de l’Elysée, où le chef de l’Etat ivoirien a passé en revue la Garde républicaine française. Entre temps, le maître d’œuvre de la diplomatie française, Dominique de Villepin, a fait une escale à Abidjan le 31 janvier pour finaliser une visite à Paris qui ulcère l’opposition de Laurent Gbagbo. La tentative de coup d’Etat de septembre 2002 s’est finalement dissoute dans les rivalités rebelles. Celles-ci continuent à battre leur plein entre partisans de Guillaume Soro, le secrétaire général de Forces nouvelles, et fidèles du sergent-chef Ibrahim Coulibaly, IB (sous contrôle judiciaire en France depuis fin 2003 pour tentative de coup d’Etat). Les compagnons d’armes d’IB ont saisi l’occasion de la visite présidentielle à Paris pour demander à la France d’intégrer «activement» le sergent putschiste «aux futures phases du processus de réconciliation». Pour leur part, les concurrents politiques de Laurent Gbagbo ont surtout brillé sur le terrain diplomatique. Il paraît leur avoir glissé sous les pieds et le porte-parole du RDR, Ali Coulibaly demande aujourd’hui à la France de réviser sa position car, dit-il, «le problème de fond n’est pas la réconciliation de Gbagbo avec Chirac, mais celle des Ivoiriens entre eux».

En attendant les élections de 2005, qu’elle souhaite «libres, transparentes et ouvertes à tous», la France de Jacques Chirac estime sans doute raisonnable de miser sur la normalisation de la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo. Au delà des discours de circonstances sur Marcoussis, certains gestes concrets de plus ou moins grande importance commencent à en témoigner. La France et la Côte d’Ivoire ont signé le 29 janvier une convention bilatérale portant création d’un Fonds d’appui aux initiatives locales. Doté de 1,64 milliard de francs CFA (2,5 millions d’euros), ce fonds est destiné à «soutenir des réalisations de petites dimensions et des activités touchant les services collectifs, les secteurs sociaux, la formation, la santé et les activités créatrices d’emploi», selon le ministre ivoirien de l’Economie, Paul-Antoine Bohoun Bouabré. L’ambassadeur français, Gildas Le Lidec, précise en substance qu’il ne faut pas voir là du simple raccommodage mais plutôt le début de la reconstruction des relations entre Paris et Abidjan. Il s’agit, dit-il, de «bâtir du neuf dans le cadre d’un partenariat consensuel».

«Je repars en homme comblé»

En cas de nouvelle tempête, les intérêts français auront quelque chose de plus à perdre, du moins l’influent groupe Bolloré par exemple, qui vient d’emporter (le 30 janvier) la gestion et l’exploitation d’un vaste terminal à conteneurs du Port autonome d’Abidjan. Attribuée de gré à gré à la filiale de Bolloré, la Société d’exploitation du terminal à conteneurs de Vridi (TCV), pour un montant de 5,5 milliards de CFA, la concession est à long terme (quinze ans, renouvelable pour dix ans). En échange, Bolloré promet d’investir 23 milliards de CFA en Côte d’Ivoire. Cette fois encore, le sujet fait polémique, en particulier côté français où d’autres groupes convoitaient le terminal de Vridi. De son côté le Français Bouygues continuera à distribuer l’eau et l’électricité ivoiriennes. Vinci construira le palais présidentiel de Yamoussoukro demandé par Gbagbo pour vivifier la capitale administrative, en dormance depuis Houphouët-Boigny.

Le président Gbagbo voulait marquer la restauration de la souveraineté nationale sur l’ensemble du territoire en se rendant à Bouaké avant de venir à Paris. Ce sera pour plus tard. Question de calendrier, assure Laurent Gbagbo. Depuis fin janvier, les 4 000 soldats français de l’opération Licorne sont déployés jusqu’aux confins nord du pays, à la frontière burkinabé. Le 27 janvier, Paris a demandé des renforts à l’Onu, avec le soutien de Kofi Annan qui préconise 6 000 casques bleus. Le chef d’état-major des armées françaises, Henri Bentegéat est arrivé ce 3 février en Côte d’Ivoire pour une tournée des popotes qui préparent le terrain du désarmement annoncé. Mais Washington a mis un bémol le 5 février en demandant au Conseil de sécurité «un délai supplémentaire», jusqu’au 27 février avant le vote d’une nouvelle résolution conforme aux vœux de la France et de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

Selon la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, qui a déjeuné à la table des deux chefs d’Etat, Jacques Chirac «se félicite des progrès réels accomplis dans la mise en œuvre des accords de Marcoussis». Il en veut pour preuve le retour des Forces nouvelles au gouvernement, la loi d’amnistie, les projets de loi conformes à l’accord de Marcoussis, mais aussi le procès (le 22 janvier) de l’assassin de notre confrère Jean Hélène. L’Elysée souligne aussi l’importance des renforts onusiens pour la mise en œuvre du programme de démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR). «Tout ce qui suit dépend du désarmement», renchérit le président ivoirien qui déclare partager en ce domaine le point de vue de Jacques Chirac. Cette fois, «je repars en homme heureux et comblé», assure Laurent Gbagbo.

Les investisseurs français viennent de prendre en Côte d’Ivoire de nouveaux engagements qui ont aussi forme de gages donnés par le socialiste Gbagbo. «En Afrique, il y a encore place pour la gauche, parce qu’en Afrique les inégalités sont trop criantes», s’est exclamé le président ivoirien devant ses amis socialistes. Pour sa part, de ses premiers séjours en France, Laurent Gbagbo retient qu’il avait été «émerveillé» par les Assurances maladie plus que par les monuments. Il a voulu aussi de telles avancées sociales pour la Côte d’Ivoire. Mais, plaide-t-il, au Sud, «il est difficile d’être porteur d’idées nouvelles». Fustigeant au passage ses adversaires «qui ne savent pas être dans l’opposition, ils font de la lutte armée», Laurent Gbagbo ajoute «nous ne laisserons jamais croire que les bourreaux sont les victimes». Enfin à ceux d’entre ses amis qui douteraient encore, il assure «je ne suis coupable de rien. Je n’ai fait que mon travail de socialiste».



par Monique  Mas

Article publié le 05/02/2004