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France

Ce que le Code civil a changé

Dès sa rédaction, inspirée par Napoléon Bonaparte, il y a deux cents ans, le Code civil entendait régir le quotidien des Français dans des domaines aussi cruciaux que la propriété privée, la famille ou la nationalité. Depuis, le législateur a dû accompagner la révolution des mœurs.
Un Code pour les Français

En 1804, le Code «Napoléon» stipule que la nationalité française s’acquiert exclusivement par filiation paternelle. Cette définition restrictive reflète la toute-puissance de l’autorité conférée à l’homme français, père et époux, vis-à-vis de la femme, de l’enfant, et de l’étranger vivant en France.

Jusqu’au milieu du XIXème siècle, la transmission de la nationalité française se fait par le «sang». Deux lois, en 1851 et 1889, introduisent la notion de «droit du sol». Celui-ci est d’abord réservé aux étrangers nés en France de parents étrangers eux-mêmes nés sur le sol français. A cette époque, de nombreux étrangers arrivent dans une France en pleine révolution industrielle, pour travailler. Les pouvoirs publics s’inquiètent de la diminution de la population française et assouplissent les conditions d’obtention de la nationalité. En 1889, la nécessité d’accroître le nombre de Français se renforce: après la perte de l’Alsace-Lorraine en 1871 au profit de l’Allemagne et l’esprit de revanche qui en découle, le gouvernement souhaite avoir plus de soldats sous la main et décide donc d’appliquer le «droit du sol» aux étrangers nés en France, qui reçoivent automatiquement la nationalité française à leur majorité, à condition qu’ils résident en France à ce moment.

Aujourd’hui, les enfants nés sur le sol français de parents étrangers doivent en faire la demande dès l’âge de 16 ans, à condition qu’ils résident en France depuis au moins cinq ans. Le législateur veut que l’acquisition de la nationalité française provienne d’une démarche propre à chaque adolescent dans ce cas, afin qu’il puisse s’identifier et s’intégrer à la nation française. Cette logique où le jeune étranger manifeste sa volonté d’être français date de 1993 et a été complétée en 1998.

S’agissant du «droit du sang», ce n’est qu’en 1927 qu’il s’applique aussi à la mère. La femme reste néanmoins placée sous l’autorité de son mari. Très loin encore de son émancipation. En 1938, le législateur reconnaît sa capacité juridique, mais elle n’est toujours pas citoyenne à part entière et doit attendre 1944 pour voter et 1965 pour exercer une profession. Entre-temps, elle doit obtenir la permission de son mari pour ouvrir un compte en banque ou travailler. Les années 1960 ouvrent l’ère de consommation, de super-production que l’on sait. L’ambiance est propice à l’accès des femmes au travail, notamment parce qu’on a besoin de main d’œuvre et que la participation de celles-ci dans Résistance leur donne droit à un rôle dans la reconstruction d’après-guerre.

Quand le Code civil libéralise les unions et transforme la famille

La prééminence masculine dans la société s’exprime également au sein de la famille. A l’autorité de l’époux correspond celle du père : l’enfant est mineur juridiquement, à tel point non reconnu, qu’il peut être incarcéré à la demande du père, selon le Code de 1804. Depuis, le Code civil a dû prendre en compte les aspirations libérales de la société, et les accompagner. Le pouvoir correctionnel du père est supprimé en 1958, tout comme la notion de «puissance paternelle», qui est supplantée en 1970 par celle d’«autorité parentale», au profit de la mère. L’enfant bénéficie de ce changement : en 2002, l’autorité parentale est complétée par la notion de «respect dû à la personne de l’enfant». Ce dernier a bénéficié de la plus grande connaissance de l’enfance, livrée au grand public par les travaux de Dolto dans les années 1960.

Cette évolution au sein de la famille se fait en filigrane d’une évolution plus structurelle: si le PACS (pacte civil de solidarité), le concubinage et le mariage cohabitent aujourd’hui, offrant aux Français de multiples choix d’union, c’est parce que le législateur, par le truchement du Code civil, a reconnu plus de droits aux individus, à plus de titres.

En 1804, seul le mariage civil et républicain est reconnu. Et c’est un premier pas. Le divorce pour faute et par consentement mutuel, déjà légalisé par les révolutionnaires, est également intégré au Code, à l’initiative de Napoléon. Les monarchistes le suppriment lors de la Restauration (1816-1822), et malgré la proclamation de la IIIème République en 1871, les républicains ne réintègrent le divorce au Code civil qu’en 1884, en le restreignant toutefois à la faute. En réalité, l’histoire du divorce est aussi celle de l’affrontement entre deux conceptions du mariage. Pour les uns, c’est une union indissoluble. Pour les autres, le mariage est un simple contrat civil, qui peut être résilié si certaines conditions légales sont remplies.

Cette double vision du mariage trouve un point de compromis, lorsque le législateur finit par légaliser le divorce par consentement mutuel en 1975. Par la même occasion, il crée le divorce «pour rupture de la vie commune», qui permet à l’un des époux de demander le divorce au bout de six ans de séparation constatée –sans que l’autre y consente nécessairement–, et dépénalise l’adultère. Ce dernier devient affaire strictement privée. Le divorce, un droit, accompagné de garanties financières, morales (seules les fautes avérées sont recevables), et protectrices de l’intérêt de l’enfant.

D’autres formes d’union ont émergé, reconnues récemment, et qui concurrencent de fait le mariage. S’agissant du concubinage, défini comme «union de fait caractérisant la vie commune», il ne fut intégré au Code civil qu’en 1999. Jusqu’ici, seules quelques dispositions d’ordre matériel (allocations familiales, assurances sociales) n’avaient accordé un statut aux concubins.

C’est également par la loi du 15 novembre 1999, qu’un nouveau contrat est reconnu dans le Code civil, qui bouleverse les modèles d’union préexistant : le PACS (pacte civil de solidarité) crée un nouveau cadre patrimonial sous forme de contrat, qui ne contient aucune dimension familiale ou successorale. Dans les faits, il ouvre également la voie à des unions qui ne sont plus strictement hétérosexuelles.

L’individu placé au centre

C’est un des combats gagnés dans les trente dernières années qui donne à l’individu un moyen de défense vis-à-vis de la société. L’article 9 du Code civil garantit la protection des droits et libertés individuelles. Le respect de la vie privée fut inscrit à cet article en 1970, en tant que droit fondamental. Désormais, un salarié peut porter plainte si son courriel est ouvert par son employeur. Une personne médiatique peut obtenir réparation si elle estime son image publiquement salie. En matière pénale, la présomption d’innocence découle aussi de l’article 9. Toute personne poursuivie pénalement, et soupçonnée d'avoir commis une infraction, est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés tant qu'elle n'a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente pour la juger. Autant d’exemples qui témoignent de l’adaptation à la société du Code cher à Napoléon.



par Aurélie  Boris

Article publié le 20/03/2004