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Irak

Des Irakiens amers et inquiets

Marché à Sadr City, ex-Saddam-city 

		(Photo : Manu Pochez/RFI)
Marché à Sadr City, ex-Saddam-city
(Photo : Manu Pochez/RFI)
Un an après la chute de Saddam Hussein, les Irakiens profitent d’une liberté de parole retrouvée mais s’inquiètent de la situation d’insécurité qui règne chaque jour un peu plus dans le pays.

De notre envoyé spécial à Bagdad

Depuis un an, les Irakiens ont retrouvé la liberté et la parole, confisquées sous l´ère Saddam. Mais ils ont aussi découvert l´insécurité. A tort ou à raison, ils pensaient que les Américains allaient régler leurs problèmes d´un coup de baguette magique. Beaucoup d´Irakiens sont aujourd´hui amers et inquiets. «Les gens sont dans un état de stress et de confusion car personne ne sait vraiment où va le pays», analyse le Dr Bahar Boutti, psychologue. Dans son cabinet du quartier populaire de Bagdad Al-Jadida, il observe les doutes et les angoisses d´un peuple traumatisé.

«Nous sommes libérés de la dictature et en même temps nous vivons sous occupation. Nous devons gérer cette contradiction alors que le peuple est impatient de voir son sort s´améliorer», poursuit le Dr Boutti. Or, le tableau de l’occupation américaine est très contrasté. «Les choses les plus faciles se sont réalisées», commente le père dominicain Youssef Mirkis, «le satellite, le téléphone portable, l´internet, les voitures, les journaux… Les gens, après avoir été sevrés des années durant, se ruent vers les biens de consommation quand ils en ont les moyens».


Le soir, la rue Bassraoui s'anime 

		(Photo : Manu Pochez/RFI)
Le soir, la rue Bassraoui s'anime
(Photo : Manu Pochez/RFI)
La liberté tourne à la loi de la jungle

Symbole de la liberté d´expression, la presse a connu un état d´euphorie. Plus d´une centaine de publications sont nées juste après la guerre alors que sous Saddam, seuls cinq quotidiens maniant la même langue de bois étaient autorisés à livrer la bonne parole. «Sous l’ancien régime, il y avait plein d’interdits», se souvient Nada Chawkat, journaliste à Al-Zamane, le principal journal irakien qui tire à 60 000 exemplaires, «nous devions nous conformer à la ligne officielle de l’Etat. Aujourd’hui, nous pouvons écrire sur tous les sujets». Mais elle ajoute que le changement est rude à assumer : «il nous faut faire l’expérience de la liberté et de la responsabilité. Ce n’est pas toujours facile».

Car cette liberté reconquise tourne aussi à la loi de la jungle. Habitués à vivre dans un environnement corseté par les multiples services de sécurité, les Irakiens découvrent des phénomènes auxquels ils n´étaient guère habitués. D´abord l´insécurité, dont les femmes sont les principales victimes. «Nous avons la liberté, mais quelle liberté ! Nous ne pouvons même plus circuler librement, surtout le soir», s´exclame Mona une étudiante à l´Université de Bagdad. La multiplication des vols de voitures, des hold-ups, des homicides et des kidnappings a créé chez les Irakiens un sentiment de vulnérabilité.

Bureau de change dans une rue à Bagdad 

		(Photo : Manu Pochez/RFI)
Bureau de change dans une rue à Bagdad
(Photo : Manu Pochez/RFI)
La misère, cachée sous Saddam, est maintenant visible

Un sentiment d´autant plus grand, que les conditions sociales n´ont fait qu´empirer depuis un an. Le nombre des chômeurs a littéralement explosé : 25% de la population active, selon les Américains, 50% selon la Banque mondiale et même 75% selon le ministère irakien des Affaires sociales. La «débaassisation» a mis sur le carreau des centaines de milliers de fonctionnaires et de militaires aujourd´hui désoeuvrés. Sans ressources, certains gagnent leur vie en faisant le taxi ou en devenant vendeur de rue.

Sur les marchés de Bagdad, tous les produits de consommation courante sont disponibles. Mais les prix sont souvent inabordables pour les foyers modestes. Personne ne meurt de faim, mais la misère, cachée sous Saddam, éclate au grand jour. La mendicité est d´ailleurs devenue un phénomène généralisé dans les rues de la capitale.

Les islamistes gagnent du terrain

Dans cet environnement de misère sociale, les islamistes de tous poils tiennent le haut du pavé. A l´université de Bagdad, ils commencent à imposer leur loi. Des slogans peints sur les murs rappellent aux étudiantes que «le voile embellit la femme». Firas, un étudiant en première année de russe, confirme l´influence des «barbus» sur le campus: «les groupes islamistes ont le pris le contrôle des associations estudiantines, sans qu’il y ait eu d’élections. Ils organisent des défilés à l’occasion des fêtes religieuses et relaient les mots d’ordres politiques de l’ayatollah Ali Al-Sistani».

Une évolution jugée inquiétante par beaucoup d´Irakiens qui ont le sentiment de passer de la dictature de Saddam Hussein à celle des religieux. Un signe ne trompe pas: la diaspora irakienne n´est pas rentrée au pays, faute de stabilisation politique et économique. Difficile d´abandonner une situation confortable en Grande-Bretagne, où réside la plus grande communauté d´exilés Irakiens, pour revenir dans sa patrie actuellement en proie à la violence. Précautionneux, la plupart des membres du Conseil intérimaire de gouvernement (CIG) n´ont d´ailleurs pas fait revenir leur famille de l´étranger...

par Christian  Chesnot

Article publié le 13/04/2004 Dernière mise à jour le 13/04/2004 à 10:57 TU

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