Irak
L'armée irakienne réticente à soutenir la coalition
(Photo AFP)
L’affaire a été révélée dimanche par le prestigieux quotidien Washington Post. Citant le général américain Paul Eaton, le journal affirmait qu’un bataillon de la toute nouvelle armée irakienne avait refusé de se rendre dès le début de la semaine à Falloujah pour y soutenir la vaste offensive lancée par les marines américains. Selon cet officier supérieur, qui supervise la mise en place des forces de sécurité irakiennes de l’après-Saddam, cette unité qui compte quelque 620 militaires a refusé d’aller au combat après que plusieurs de ses membres eurent essuyé des tirs dans un quartier chiite de Bagdad sur la route qui les menait vers la ville rebelle. Le convoi a donc fait demi-tour et regagné sa base située au nord de la capitale irakienne.
Le général Paul Eaton a refusé de voir dans cette attitude «une mutinerie», préférant plutôt parler d’un «défaut de commandement». Il a tenté de la justifier par un manque de communication. Les hommes du bataillon n’auraient ainsi pas été informés qu’ils seraient relativement peu exposés. Selon lui, leur mission à Falloujah n’aurait en effet consisté qu’à participer à des tâches militaires secondaires telle la surveillance de barrages routiers. «Le bataillon a pensé qu’on allait le jeter dans une tempête de feu», a notamment déclaré l’officier américain. Il a toutefois avoué que certains soldats avaient justifié leur refus de se rendre dans la ville assiégée en affirmant qu’ils ne s’étaient pas engagés «pour combattre des Irakiens».
Le 2ème bataillon est l’une des quatre unités qui composent la nouvelle armée irakienne. Sa phase de formation s’est achevée le 6 janvier dernier. L’opération de Falloujah devait donc être la première occasion pour la coalition de tenter d’associer les forces armées irakiennes à une action d’envergure. Cette occasion manquée à deux mois et demi du transfert de la souveraineté aux Irakiens représente dans ce contexte un désaveu pour la politique menée depuis un an par l’administrateur américain Paul Bremer. Le général Ricardo Sanchez qui commande les forces terrestres de la coalition en Irak l’a d’ailleurs reconnu à demi-mot. Cet incident, a-t-il affirmé sur la chaîne de télévision NBC, révèle «les défis» auxquels doivent faire face les forces de sécurité irakiennes alors que la coalition est confrontée à une recrudescence des attaques.
Une formation insuffisanteCe refus de combattre d’une partie de la nouvelle armée fragilise un peu plus le projet américain de transfert des questions de sécurité aux forces irakiennes. Un responsable de la coalition, qui a souhaité garder l’anonymat, a confié au New York Times que le manque de moyens était largement à l’origine de cette situation. Selon lui, les membres de la nouvelle armée et des forces de police n’ont reçu qu’un entraînement de neuf semaines avant d’être envoyés sur le terrain là où un apprentissage de plusieurs années est nécessaire. Il a en outre regretté que tous les militaires qui avaient de l’expérience aient été systématiquement écartés sous prétexte qu’ils avaient servi sous le régime de Saddam Hussein. Sans compter que sur le terrain, les policiers se plaignent de manquer d’équipements et d’armes pour affronter des insurgés bien armés alors que l’administration américaine avait pourtant annoncé qu’elle allait consacrer un milliard de dollars pour mettre en place les nouvelles forces de sécurité irakiennes.
Outre ces problèmes techniques, la coalition doit aujourd’hui faire à une nouvelle difficulté de taille, celle du manque de confiance qui semble désormais prévaloir entre ses militaires et les forces de sécurité irakiennes. Les soldats de la coalition ont ainsi ouvertement accusé certaines unités de la police d’avoir fraternisé avec les combattants irakiens et même d’avoir combattu à leurs côtés. Cela explique à leurs yeux que certaines villes, comme Kout, et certains quartiers, comme Sadr City, soient tombés aussi facilement entre les mains des insurgés.
Dans sa stratégie pour l’avenir de l’Irak, l’administration américaine semble n’avoir une fois encore pas compris l’essentiel, à savoir que les liens tribaux et religieux dans ce pays sont plus solides qu’une loyauté à un quelconque nouvel appareil de sécurité.
par Mounia Daoudi
Article publié le 12/04/2004 Dernière mise à jour le 12/04/2004 à 15:02 TU