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Irak

Sunnites et chiites unis contre l’Amérique

Des soldats américains contemplent la marche des Irakiens vers Falloujah. 

		(Photo: AFP)
Des soldats américains contemplent la marche des Irakiens vers Falloujah.
(Photo: AFP)
Loin de baisser en intensité, les affrontements qui secouent depuis dimanche plusieurs villes irakiennes se sont poursuivis jeudi, malgré l’appel au calme et au dialogue lancé par la plus haute autorité religieuse chiite, l’ayatollah Ali Sistani. Les Etats-Unis et leurs alliés doivent se battre sur plusieurs fronts, au nord contre la rébellion sunnite et au sud contre les partisans du chef radical chiite Moqtada al-Sadr. Signe de la violence des combats, les forces de la coalition ont dû abandonner les villes de Kout et de Najaf aux mains de l’armée du Mehdi, la milice armée qui obéit à ce jeune imam. Les forces américaines, qui ont lancé lundi une opération d’envergure dans la ville de Falloujah, étaient confrontées à une forte résistance. Jeudi matin, un convoi de plusieurs milliers de personnes, sunnites et chiites confondus, a quitté Bagdad pour aller soutenir la population de cette ville assiégée depuis lundi.
Des Irakiens, juchés sur un camion chargé de médicaments et de vivres pour Falloujah, regardent brûler un convoi militaire américain qui vient d'être attaqué.  

		(Photo: AFP)
Des Irakiens, juchés sur un camion chargé de médicaments et de vivres pour Falloujah, regardent brûler un convoi militaire américain qui vient d'être attaqué.
(Photo: AFP)
La violence des combats de Falloujah dont le point d’orgue aura sans doute été le bombardement par l’aviation américaine d’une mosquée de la ville où se seraient réfugiés des combattants semble avoir ressoudé les différentes communautés d’Irak qui ont désormais un ennemi commun, les forces de la coalition. Des milliers de personnes, toutes tendances confondues se sont en effet mobilisées pour porter secours aux habitants de cette ville durement éprouvés par des affrontements qui en quarante-huit heures ont fait près de 300 morts, en majorité des civils. Les appels à l’aide, relayés depuis mercredi par les mosquées de Bagdad, ont trouvé un écho sans précédent au sein des communautés aussi bien sunnite que chiite. Des collectes de vivres, de médicaments et d’argent ont été organisées dans les mosquées et des centres ont été mis en place pour accueillir les donneurs de sang.
Tôt jeudi matin, des milliers de personnes se sont rassemblées devant la mosquée Oum al-Qora à l’ouest de Bagdad avant de prendre la direction de la ville assiégée. Plusieurs convois ont ainsi quitté la capitale irakienne, le plus important d’entre eux étant composé d’une centaine de camions chargés de vivres et de médicaments ainsi que de vingt unités médicales. Aux cris de «Ni sunnites, ni chiites, oui à l’unité islamique» ou encore «Nous sommes frères sunnites et chiites et nous ne vendrons jamais notre pays», des manifestants ont salué le départ des convois vers Falloujah situé à une cinquantaine de kilomètres de Bagdad. Selon plusieurs témoins, ce mouvement de solidarité est une première depuis la chute du régime de Saddam Hussein. «C’est le début d’une révolte civile», a notamment expliqué un des organisateurs des manifestations pour qui ce jour est celui de «l’unité de toutes les confessions face à l’occupant».

Il semblerait en effet que les Etats-Unis aient réussi à faire l’unanimité contre eux en Irak. Et des communautés aussi historiquement opposées que les chiites ou les sunnites donnent aujourd’hui l’impression d’avoir enterré leurs différends pour se concentrer sur un ennemi commun, à savoir les forces d’occupation. L’administration américaine semble largement porter la responsabilité de cette nouvelle situation. Expert au Royal Institute of International Affairs, un centre de recherche britannique, l’universitaire Nadim Shehadi estime en effet qu’en attaquant tout le monde en Irak, les Américains et leurs alliés ont unifié le pays contre eux. En agissant de la sorte, note cet analyste, «ils ont donné à la population locale une cause commune alors même qu’elle n'en avait pas auparavant».

Une alliance de circonstance

Dans ce contexte, estiment les observateurs, les combats ne devraient pas connaître d’accalmie dans les semaines qui viennent. Les miliciens, aussi bien sunnites que chiites, ont en effet largement les moyens de conduire des opérations de guérilla urbaine pour lesquelles les soldats de la coalition ne semblent pas préparés. Et comme l’explique l’expert britannique Paul Beaver, cette stratégie donne aux Irakiens «un avantage considérable» sur les Américains et leurs alliés dans la mesure où ces derniers sont condamnés à faire preuve de retenue pour épargner les civils. Ce spécialiste estime toutefois que cette alliance entre chiites et sunnites est loin d’être «solide et durable». Selon lui, il s’agit d’une «alliance très temporaire» même si face à un ennemi commun les Irakiens sont capables de «mettre de côté leurs ressentiments et leurs différences».

A quelques semaines de la date prévue pour le transfert du pouvoir aux Irakiens, cette reprise des combats n’est pas sans conséquences sur l’avenir du pays. Soucieux de prendre leurs distances avec un allié américain de plus en plus encombrant, certains membres du Conseil de gouvernement intérimaires ont menacé de quitter cette instance. Le sunnite Mohsen Abdel Hamid s’est ainsi déclaré jeudi prêt à reconsidérer sa participation au sein du Conseil si la coalition n’arrêtait pas «l’effusion de sang» des Irakiens. Certains membres chiites de cette instance avaient déjàdans le passé proféré les mêmes menaces. Si un tel scénario devait se réaliser, les Américains, déjà mis en difficultés sur le terrain, seraient confrontés à une grave crise politique qui ne manquera pas de peser sur la campagne électorale en cours. Et même si l’administration américaine s’est acharné ces derniers temps à minimiser l’importance des affrontements en cours en Irak, la situation sur le terrain occupe depuis plusieurs jours déjà le devant de la scène aux Etats-Unis occultant la reprise économique et les récentes créations d’emploi.

par Mounia  Daoudi

Article publié le 08/04/2004 Dernière mise à jour le 08/04/2004 à 14:44 TU