Libye-Europe
Première sortie en Occident
(Photo : AFP)
Hier chef d’un Etat-voyou, Mouammar Kadhafi a mis les bouchées doubles depuis l’année dernière pour faire oublier ses frasques «révolutionnaires» et les attentats contre des avions de ligne chargés de passagers américains, britanniques, français ou africains. Sa dernière invitation hors d’Afrique ou du Moyen-Orient remonte à 1989, pour un sommet des non-alignés à Belgrade, dans l’ex-Yougoslavie. Au soir de ce 27 avril historique, le Premier ministre belge Guy Verhofstadt lui déroule le tapis rouge de l’Occident pour rejoindre la tente érigée dans les jardins du château de Val Duchesse réservé aux hôtes de marque du Royaume, délicate attention pour le Bédouin pétrolier. «Nous espérons vivement que nous ne seront pas obligé de revenir au temps où nous piégions nos voitures, où nous ceinturions d’explosifs nos lits ou nos femmes pour éviter d’être poursuivis jusque dans nos chambres comme c’est le cas aujourd’hui en Irak ou en Palestine», a menacé Mouammar Kadhafi, exhortant les Occidentaux à ne pas rater son «offre de paix».
Partenariat européen en Méditerranée
Empressée à Tripoli depuis 1999, l’Italie préside la commission européenne. Restait quand même à convaincre l’Irlande qui assure actuellement la présidence de l’Union. A la veille de l’arrivée de Mouammar Kadhafi à Bruxelles, le ministre irlandais des Affaires européennes, Dick Roche, évoquait encore des «problèmes en suspens», rappelant en particulier un autre attentat terroriste perpétré en 1986 à Berlin contre la discothèque La Belle. Il avait fait trois morts, 260 blessés et encore des factures à régler par Tripoli qui s’est engagé à verser des dédommagements en août 2003. En matière de respectabilité humanitaire, le ministre irlandais avait également évoqué la détention en Libye de six Bulgares et d'un Palestinien accusés d’avoir contaminé des enfants à l’hôpital de Benghazi avec des produits sanguins infectés par le virus du sida. Romano Prodi a balayé le tout, se déclarant «pleinement confiant» de la résolution de ces litiges «dans les prochaines semaines». L’enjeu, c’est l’entrée de la Libye dans le partenariat Euromed, entre l’Union européenne et les riverains de la Méditerranée, où elle doit pour l’instant se contenter d’un statut d’observateur.
«Nous sommes engagés à faire de la Libye un membre à part entière du processus de Barcelone – Euromed – dès que possible», assure Romano Prodi flanqué de Mouammar Kadhafi qui se veut désormais «chef de file pour arriver à la paix dans le monde». Habile, le chef de l’Etat libyen souligne que «la Libye est un pont entre l’Europe et l’Afrique. Mais elle doit être un pont pour la paix et la coopération et pas un pont tel qu’elle l’a été dans le passé», en l’occurrence, un pont pour immigrants clandestins. Cette partition, il l’a déjà jouée avec Rome. Depuis juillet 2003 en effet, l’Italie et la Libye ont signé un accord pour faire barrage aux flux de migrants abordant les côtes siciliennes. Inutile de compter sur les pays du Maghreb, dit en substance Kadhafi, «les pays du nord de l’Afrique ne peuvent pas assurer la protection des frontières sud de l’Europe… l’Union européenne doit s’engager au sud de la Libye pour arrêter l’immigration». Au-delà de cette sécurisation des frontières européennes, l’objectif de Mouammar Kadhafi, c’est de voir la Libye rayée des listes américaines qui répertorient «les Etats soutenant le terrorisme».
A Bruxelles, Mouammar Kadhafi rencontrera des hommes d'affaires. Il est même invité par le Parlement belge qui a réglé l’année dernière les frictions diplomatiques un temps provoquées par les compétences universelles es crimes contre l’humanité dont la justice belge s’était fait le promoteur inédit. Le législateur l’a recentrée dans un champ moins menaçant pour les hôtes politiques du gouvernement national ou de l’administration européenne. Pour sa part, Amnesty International s’est invitée aux fêtes données pour Kadhafi en publiant un rapport qui l’accuse de torturer et d’exécuter des prisonniers politiques. En élève appliqué du droit international occidental, Mouammar Kadhafi avait pris les devantss, ne tarissant pas d’éloges pour l’organisation des droits de l’homme et s'engageant à supprimer les tribunaux révolutionnaires libyens. C’est sans doute une bien modeste concession pour un dirigeant qui a renoncé à sa superbe et à ses équipements militaires douteux désormais ouverts aux observateurs américains et britanniques. Quant aux ayant-droits des victimes des attentats contre les avions de la Panam et d'UTA, le colonel-président a payé la facture.
Si l’Etat libyen demeure inscrit sur les listes noires américaines, son chef n’est plus désormais persona non grata et comme le rappelle inlassablement son ministre des Affaires étrangères, Abdel Rahman Chalgham, en allégeant les sanctions économiques bilatérales le 23 avril dernier, le président américain George Bush a levé «tous les obstacles» à l'exportation de pétrole vers les Etats-Unis. Les relations diplomatiques rompues depuis 1981 restent entravées par l’interdiction des vols directs entre les deux pays et les avoirs libyens aux Etats-Unis demeurent gelés. En attendant de traverser l’Atlantique, Mouammar Kadhafi célèbre son retour en grâce sur sa rive européenne.
par Monique Mas
Article publié le 27/04/2004 Dernière mise à jour le 28/04/2004 à 08:31 TU