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Libye

Tony Blair, «<i>partenaire</i>» de Mouammar Kadhafi

Le premier ministre britannique est allé jeudi à la rencontre du colonel Kadhafi lors d’une visite de quelques heures, inédite depuis 60 ans. D’importants contrats ont été conclus en marge de la rencontre destinée à sceller la réconciliation avec l’ex-«Etat voyou».
Le colonel Kadhafi a le souci du protocole, il est attaché à la signification des symboles et se plait à voir ses homologues venir à lui. On a pu ainsi mesurer sa capacité à détourner sa mise en quarantaine, alors qu’il était banni de la communauté internationale, lors des voyages effectués à Tripoli par les chefs d’Etat africains dans les années 90, en flagrantes violations de l’embargo aérien des Nations unies, signe que la volonté de l’isoler de la scène internationale n’était ni partagée, ni définitive. L’exercice lui a fort bien réussi et il se poursuit aujourd’hui avec les chefs d’Etat occidentaux. Lui ne bouge pas, apparemment stoïque et imperturbable, tandis que s’agite autour de lui une communauté internationale avide de ses richesses pétrolières et impatiente de décrocher ses commandes.

La visite de Tony Blair n’a duré que quelques heures, mais il fallait qu’elle ait lieu pour bien marquer que la page est tournée, que le stade des préliminaires est dépassé, que la normalisation est largement entamée. Quelques heures pour sacrifier au rituel : le temps de prendre la photo… et de signer le contrat.

En effet, dès les entretiens entamés sous la tente du dirigeant libyen, la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise Royal Dutch-Shell annonçait la conclusion, à Tripoli, d’un «accord pour l’établissement d’un partenariat stratégique à long terme dans l’exploitation de la production de pétrole et de gaz» avec la société d’Etat libyenne National Oil Corporation. Pour la Shell, après 12 ans d’absence du sous-sol libyen, c’est un retour en fanfare, dans les bagages d’un ambassadeur de choix en la personne du numéro 1 britannique. Et ce n’est qu’un début puisque la compagnie annonce la signature prochaine d’un autre contrat de deux cents millions de dollars, qui pourrait atteindre un milliard à terme, pour l’exploitation de gaz off-shore.

Les affaires militaires sont aussi en bonne voie. Lors de la conférence de presse de clôture de la visite, Tony Blair a aussi annoncé l’imminence de la signature d’un contrat de défense avec le groupe BAe Systems, confirmant implicitement les rumeurs selon lesquelles le chasseur-bombardier Eurofighter est en bonne place pour le renouvellement de la flotte de combat aéronautique libyenne.

«En établissant un partenariat aujourd’hui, nous n’oublions pas le passé, mais nous tentons (…) de le surmonter», a déclaré le chef du gouvernement britannique pour expliquer sa démarche et sa visite dans ce pays dont ses compatriotes, et l’opinion publique internationale occidentale, n’ont pas oublié qu’il incarnait hier encore le stéréotype de «l’Etat voyou». Revenant sur ce registre, M. Blair a notamment annoncé l’arrivée début avril d’enquêteurs de la police britannique en charge du dossier de la femme policier Yvonne Fletcher, tuée en 1984 par des balles tirées de l’intérieur de l’ambassade de Libye à Londres, lors d’une manifestation devant la représentation diplomatique. C’est à la suite de ce meurtre que Londres et Tripoli avaient interrompu leurs relations diplomatiques, avant de les reprendre en 1999 après la reconnaissance par la Libye de ses responsabilités et qu’elle ait accepté d’indemniser la famille de la victime.

Le club des amis du colonel Kadhafi

Selon Tony Blair, la réconciliation en cours constitue «un important signal pour le monde arabe» et lui montre qu’il peut «travailler avec les Etats-Unis et la Grande-Bretagne» dans la lutte contre le terrorisme. Il s’est également déclaré «particulièrement frappé» dans son entretien avec le colonel Kadhafi «par non seulement la détermination de la Libye de poursuivre dans cette voie de la coopération, mais également par la reconnaissance que l’avenir de la Libye est plus sûr par cette nouvelle relation avec le monde extérieur». «Si la Libye devient un partenaire stable, cela sera un gain important», a ajouté le Premier ministre britannique.

En accomplissant ce pas décisif, Londres rejoint donc aujourd’hui sans complexe le club des amis de la Libye et va se faire l’avocat auprès de ses partenaires européens de l’abandon des dernières sanctions communautaires contre le régime de Tripoli. Mais il faudra auparavant qu’une solution soit trouvée pour régler les derniers contentieux liés au passé terroriste du régime. Car une réhabilitation complète du colonel Kadhafi, au sein des instances européennes, passera nécessairement aussi par la résolution du dossier de l’attentat perpétré en 1986 dans une discothèque berlinoise. Il y avait eu 3 morts et 260 blessés. La question de la reconnaissance d’Israël compte également parmi les exigences européennes.

Mais Tony Blair n’est plus seul pour affronter une opinion publique dubitative ou des homologues récalcitrants. Sa visite, la première d’un Premier ministre britannique depuis celle de Winston Churchill en 1943, avait été précédée par celles de ses homologues espagnol et italien. Elle intervient deux jours après la visite du secrétaire d’Etat adjoint américain chargé du Proche-Orient, Richard Burns, porteur d’un message du président Bush. Elle intervient enfin dans un contexte de précipitation internationale vers un eldorado libyen que plus personne ne néglige depuis que Washington a sifflé la fin de la mise en quarantaine du régime, après le règlement l’année dernière du contentieux de l’attentat contre le Boeing de la Pan Am, en décembre 1988. Après le Premier ministre britannique, d’autres chefs d’Etat iront à Tripoli. D’ores et déjà la France a manifesté son souci de ne pas être écartée du chantier. Et pour faire bonne mesure, en recevant le 8 mars le fils du leader libyen, Jacques Chirac l’a assuré qu’il ferait le voyage.



par Georges  Abou

Article publié le 25/03/2004