Libye
La France fait peser son veto sur la Libye
La France a obtenu un report jusqu'à vendredi d'un vote de levée des sanctions contre la Libye, en menaçant d'user de son droit de veto au Conseil de sécurité. Ce report est destiné à donner du temps aux familles des victimes de l'attentat contre le vol de l'UTA, dont les compensations sont dérisoires, au regard de celles promises aux proches des victimes de l'attentat de Lockerbie.
De notre correspondant à New York (Nations unies)
L'affaire a tourné au psychodrame. Alors qu'un vote sur la levée des sanctions de l'ONU contre la Libye était programmé depuis plusieurs jours, hier, à deux heures du scrutin, les diplomates de la mission française à l'ONU n'avaient toujours aucune consigne de vote. Depuis 48 heures, la diplomatie française maintenait un curieux silence radio sur la question. Puis le vote a été reporté de deux heures. La nouvelle est ensuite tombée de Paris : «Si un vote devait intervenir sur la levée des sanctions contre la Libye aux Nations unies, et en l'absence d'un accord équitable qui apparaît aujourd'hui à portée de main entre les représentants des familles et la partie libyenne, la France n'aurait pas d'autre choix que de s'opposer au projet de résolution», a déclaré le porte-parole du quai d'Orsay, Hervé Ladsous.
Pour les diplomates onusiens, le message est limpide : la France est sur le point de faire usage de son droit de veto. Consternation à l'ONU. A quinze minutes du vote, une réunion de crise du Conseil de sécurité est organisée pour décider de la marche à suivre.
Au cours de la réunion, particulièrement tendue, l'ambassadeur de France, Jean-Marc de la Sablière, lit le communiqué de son gouvernement. Tour à tour, les États-Unis et la Grande-Bretagne se prononcent malgré tout pour la tenue d'un vote, défiant Paris d'utiliser son veto, l'arme ultime du Conseil de sécurité dont les bénéfices à court terme peuvent s'avérer coûteux à long terme. Mais Presque tous les autres pays du Conseil viennent au secours de la France. Ils se disent prêts à lever les sanctions contre la Libye, mais veulent accorder quelques jours de plus à la France. Le temps de donner une dernière chance aux familles des victimes du vol français de l'UTA, pour négocier avec la Libye des dédommagements décents -équitables, au regard des millions de dollars promis aux familles américaines et britanniques des victimes de l'attentat de Lockerbie, un autre attentat sponsorisé par la Libye.
Par dépit, l'ambassadeur britannique, qui préside ce mois-ci le Conseil de sécurité, renvoie de la salle de consultations tous les conseillers et traducteurs. Les ambassadeurs poursuivent la négociation en tête-à-tête, débattant surtout de l'opportunité du renvoi des traducteurs et des conseillers. Ils décident finalement de reporter le vote à vendredi 10h30. Pour bien signifier à la France qu'il s'agit du dernier report, l'ambassadeur britannique fait voter la décision à main levée -une procédure inhabituelle.
Soulagement pour l'ambassadeur français. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il aura à faire usage de son droit de veto, que la France n'a pas utilisé depuis 1989 (avec les Etats-Unis et la Grande Bretagne) sur la question de Panama, et depuis 1976 seule, (sur la question de Mayotte). Mais ce n'est pas la fin du calvaire du diplomate français. Après des heures de négociation, il doit maintenant faire face à une cinquantaine de membres des familles des victimes de l'attentat de Lockerbie, auxquelles la Libye a promis entre 5 et 10 millions de dollars de dédommagement par famille, dès que les sanctions de l'ONU à son encontre seront levées. Ces familles ont été amenées au Conseil de sécurité par le gouvernement américain, désireux de faire monter la pression sur la France.
Dans une salle du sous-sol des Nations unies, Jean-Marc de la Sablière se prête au périlleux exercice. Après presque une heure de discussions, l'ambassadeur ressort, visiblement éprouvé. «Il faut comprendre la douleur et la détresse de ces familles, mais il faut aussi comprendre la détresse et les problèmes des familles du vol UTA» explique-t-il à RFI. «J'ai essayé de leur faire passer comme message la possibilité, avec ces trois jours supplémentaires qui ont été donné, d'avoir une situation où tout le monde sortirait vainqueur.»
Détermination totale
Son message n'est pas passé. Les familles américaines des proches des victimes de Lockerbie ont copieusement attaqué le diplomate français. «Ces trois dernières années, la France a choisi de rétablir des relations diplomatiques et économiques avec la Libye dès que les sanctions de l'ONU ont été suspendues» explique à RFI Brian Flynn, frère d'une victime de l'attentat de Lockerbie. «Et voilà qu'aujourd’hui la France compte sur l’influence qu’exercent les États-Unis pour dire ‘non, non,non’, maintenant nous voulons une compensation pour les familles’ Et ce, alors que la France refuse toujours de faire quoi que ce soit pour punir la Libye. Leur seul pouvoir de négociation en ce moment, c'est nous, les familles qu'ils tiennent aujourd'hui en otage», s'emporte-t-il. Et de poursuivre : «J’éprouve de la sympathie pour les familles françaises et c’est vrai qu’elles n'ont obtenu que des miettes. Elles devraient être furieuses contre leur gouvernement. Mais la première chose qu'elles devraient faire, c'est d'arrêter d’acheter des produits libyens, arrêter d’acheter du pétrole libyen, arrêter de permettre à des vols Libyens d’atterrir à Paris semaine après semaine. C’est incompréhensible !»
Pour Jean-Marc de la sablière, «tout ceci dépend de la négociation entre les autorités libyennes et les familles».
Or, ces négociations semblent chaotiques. Alors qu'un accord imminent a été à plusieurs reprises annoncé, la Libye semble toujours se dérober au dernier moment. «Il n'y a aucun progrès sur la voie d'un accord», a déclaré hier à l'AFP Guillaume Denoix de Saint-Marc, porte-parole d'un collectif des familles de l'UTA. «Si le choix est entre la levée des sanctions sans accord ou sans début d'accord d'une part, et le véto d'autre part, les familles sont pour le veto» a-t-il assuré. Mais la veille, il semblait prêt à accepter la levée des sanctions, avant la conclusion d'un accord définitif. Vu l'évolution de cette discussion, il semble peu probable qu'un accord soit trouvé avant vendredi. La France sera donc cette fois au pied du mur. En l'absence d'un accord entre la Libye et les familles de l'UTA, les Français semblent toujours prêts à user de leur droit de veto. «Notre détermination est totale, et elle sera totale aussi vendredi», se contente de dire Jean-Marc de la Sablière.
L'affaire a tourné au psychodrame. Alors qu'un vote sur la levée des sanctions de l'ONU contre la Libye était programmé depuis plusieurs jours, hier, à deux heures du scrutin, les diplomates de la mission française à l'ONU n'avaient toujours aucune consigne de vote. Depuis 48 heures, la diplomatie française maintenait un curieux silence radio sur la question. Puis le vote a été reporté de deux heures. La nouvelle est ensuite tombée de Paris : «Si un vote devait intervenir sur la levée des sanctions contre la Libye aux Nations unies, et en l'absence d'un accord équitable qui apparaît aujourd'hui à portée de main entre les représentants des familles et la partie libyenne, la France n'aurait pas d'autre choix que de s'opposer au projet de résolution», a déclaré le porte-parole du quai d'Orsay, Hervé Ladsous.
Pour les diplomates onusiens, le message est limpide : la France est sur le point de faire usage de son droit de veto. Consternation à l'ONU. A quinze minutes du vote, une réunion de crise du Conseil de sécurité est organisée pour décider de la marche à suivre.
Au cours de la réunion, particulièrement tendue, l'ambassadeur de France, Jean-Marc de la Sablière, lit le communiqué de son gouvernement. Tour à tour, les États-Unis et la Grande-Bretagne se prononcent malgré tout pour la tenue d'un vote, défiant Paris d'utiliser son veto, l'arme ultime du Conseil de sécurité dont les bénéfices à court terme peuvent s'avérer coûteux à long terme. Mais Presque tous les autres pays du Conseil viennent au secours de la France. Ils se disent prêts à lever les sanctions contre la Libye, mais veulent accorder quelques jours de plus à la France. Le temps de donner une dernière chance aux familles des victimes du vol français de l'UTA, pour négocier avec la Libye des dédommagements décents -équitables, au regard des millions de dollars promis aux familles américaines et britanniques des victimes de l'attentat de Lockerbie, un autre attentat sponsorisé par la Libye.
Par dépit, l'ambassadeur britannique, qui préside ce mois-ci le Conseil de sécurité, renvoie de la salle de consultations tous les conseillers et traducteurs. Les ambassadeurs poursuivent la négociation en tête-à-tête, débattant surtout de l'opportunité du renvoi des traducteurs et des conseillers. Ils décident finalement de reporter le vote à vendredi 10h30. Pour bien signifier à la France qu'il s'agit du dernier report, l'ambassadeur britannique fait voter la décision à main levée -une procédure inhabituelle.
Soulagement pour l'ambassadeur français. Ce n'est pas aujourd'hui qu'il aura à faire usage de son droit de veto, que la France n'a pas utilisé depuis 1989 (avec les Etats-Unis et la Grande Bretagne) sur la question de Panama, et depuis 1976 seule, (sur la question de Mayotte). Mais ce n'est pas la fin du calvaire du diplomate français. Après des heures de négociation, il doit maintenant faire face à une cinquantaine de membres des familles des victimes de l'attentat de Lockerbie, auxquelles la Libye a promis entre 5 et 10 millions de dollars de dédommagement par famille, dès que les sanctions de l'ONU à son encontre seront levées. Ces familles ont été amenées au Conseil de sécurité par le gouvernement américain, désireux de faire monter la pression sur la France.
Dans une salle du sous-sol des Nations unies, Jean-Marc de la Sablière se prête au périlleux exercice. Après presque une heure de discussions, l'ambassadeur ressort, visiblement éprouvé. «Il faut comprendre la douleur et la détresse de ces familles, mais il faut aussi comprendre la détresse et les problèmes des familles du vol UTA» explique-t-il à RFI. «J'ai essayé de leur faire passer comme message la possibilité, avec ces trois jours supplémentaires qui ont été donné, d'avoir une situation où tout le monde sortirait vainqueur.»
Détermination totale
Son message n'est pas passé. Les familles américaines des proches des victimes de Lockerbie ont copieusement attaqué le diplomate français. «Ces trois dernières années, la France a choisi de rétablir des relations diplomatiques et économiques avec la Libye dès que les sanctions de l'ONU ont été suspendues» explique à RFI Brian Flynn, frère d'une victime de l'attentat de Lockerbie. «Et voilà qu'aujourd’hui la France compte sur l’influence qu’exercent les États-Unis pour dire ‘non, non,non’, maintenant nous voulons une compensation pour les familles’ Et ce, alors que la France refuse toujours de faire quoi que ce soit pour punir la Libye. Leur seul pouvoir de négociation en ce moment, c'est nous, les familles qu'ils tiennent aujourd'hui en otage», s'emporte-t-il. Et de poursuivre : «J’éprouve de la sympathie pour les familles françaises et c’est vrai qu’elles n'ont obtenu que des miettes. Elles devraient être furieuses contre leur gouvernement. Mais la première chose qu'elles devraient faire, c'est d'arrêter d’acheter des produits libyens, arrêter d’acheter du pétrole libyen, arrêter de permettre à des vols Libyens d’atterrir à Paris semaine après semaine. C’est incompréhensible !»
Pour Jean-Marc de la sablière, «tout ceci dépend de la négociation entre les autorités libyennes et les familles».
Or, ces négociations semblent chaotiques. Alors qu'un accord imminent a été à plusieurs reprises annoncé, la Libye semble toujours se dérober au dernier moment. «Il n'y a aucun progrès sur la voie d'un accord», a déclaré hier à l'AFP Guillaume Denoix de Saint-Marc, porte-parole d'un collectif des familles de l'UTA. «Si le choix est entre la levée des sanctions sans accord ou sans début d'accord d'une part, et le véto d'autre part, les familles sont pour le veto» a-t-il assuré. Mais la veille, il semblait prêt à accepter la levée des sanctions, avant la conclusion d'un accord définitif. Vu l'évolution de cette discussion, il semble peu probable qu'un accord soit trouvé avant vendredi. La France sera donc cette fois au pied du mur. En l'absence d'un accord entre la Libye et les familles de l'UTA, les Français semblent toujours prêts à user de leur droit de veto. «Notre détermination est totale, et elle sera totale aussi vendredi», se contente de dire Jean-Marc de la Sablière.
par Philippe Bolopion
Article publié le 10/09/2003