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Libye

Kadhafi annonce la privatisation du pétrole

Mouammar Kadhafi a formé samedi un nouveau gouvernement au lendemain d’un discours annonçant la fin du secteur étatique libyen. C’est l’ancien ministre de l’Économie, Choukri Ghanem, qui a été nommé à la tête du nouveau gouvernement chargé d’appliquer une politique d’ouverture économique. Vendredi, le leader libyen avait annoncé l’abolition des entreprises publiques et la privatisation du pétrole et des banques.
Le jeune colonel de 26 ans qui, ce 1er septembre 1969, renverse la monarchie sénoussie du roi Idriss, avait fixé deux objectifs principaux à la révolution qu’il conduisait : faire l’unité du monde arabe sous la conduite de Nasser et chasser les compagnies pétrolières étrangères qui prospéraient sous la monarchie pour rendre le pétrole aux Libyens par la nationalisation.

Depuis, il a multiplié les tentatives d’union avec un ou plusieurs pays arabes. Toutes se sont traduites par des échecs. Dans un souci d’accomplir une synthèse inédite entre l’islam et le socialisme, il a aboli l’État dans sa forme classique en transformant la République (joumhouriya) en «État des masses» (jamahiriya), dirigée directement par le peuple et les «bureaux populaires». Toutefois, Kadhafi, qui n’occupe aucune position officielle dans cette nouvelle structure, demeure le tout-puissant «Guide» et fait fonction de chef d’État, sans en avoir le titre.

L’argent du pétrole qui coule à flot à partir de 1974 dans les coffres de la Jamahiriya, il le consacre à accomplir son rêve de révolution mondiale en finançant de par le monde des organisations clandestines armées, de l’ETA (Espagne) à l’IRA (Irlande du Nord) en passant par plusieurs mouvements palestiniens hostiles à Yasser Arafat, notamment le fameux Abou Nidal. Son soutien à des opérations terroristes fera de lui l’ennemi public n°1 des États-Unis sous Ronald Reagan qui tente de l’éliminer en bombardant sa caserne en avril 1986. Son activisme au Tchad et dans certains pays d’Afrique de l’Ouest lui font heurter frontalement les intérêts français. Enfin, il est mis en cause dans les attentats contre le vol Pan Am 101 qui se disloque au-dessus de Lockerbie en 1988 et le DC-10 d’UTA qui se volatilise un an plus tard au-dessus du Ténéré.

Le meilleur ami potentiel des États-Unis

Cet activisme tous azimuts de Kadhafi ne réussit qu’à l’isoler de tous alors que les revenus du pétrole s’effondrent. Le leader libyen amorce alors une mue profonde qui trouve son quasi-épilogue dans les réformes annoncées. Déjà, depuis plusieurs années, Mouammar Kadhafi avait renoncé à ses rêves d’unité arabe. Rejetant la responsabilité de ses échecs sur les autres leaders arabes et sur le monde arabe lui-même, le dirigeant libyen s’est tourné vers le continent africain. Il est très largement à l’origine de la mutation de l’OUA en Union africaine. Naguère considéré avec suspicion par les autres dirigeants africains, il joue aujourd’hui au vieux sage du continent.

Quant à la nationalisation qui était au cœur de l’appropriation des ressources d’hydrocarbure par le peuple, il la rejette désormais comme un anachronisme. Dans son discours de vendredi, Kadhafi a annoncé non seulement la privatisation du pétrole, mais aussi celle des banques, des aciéries et des cimenteries, tout en critiquant l’«irresponsabilité» des fonctionnaires. Désormais, assure-t-il, ces compagnies ne seront plus la propriété de l’État, mais de Libyens qui «pourront faire appel à des experts de l’étranger».

Ces réformes devraient aider l’industrie pétrolière américaine à obtenir du congrès un amendement aux lois Helms-Burton et d’Amato, interdisant aux compagnies américaines de travailler en Libye. En vérité, cela fait déjà de nombreuses années que les experts américains, détenteurs de passeports canadiens ou européens, sont à pied d’œuvre et que les compagnies américaines elles-mêmes y sont également présentes par l’intermédiaire de filiales étrangères.

Tout indique en effet que Kadhafi cherche aujourd’hui à se comporter comme le meilleur ami potentiel des États-Unis, et que ces derniers n’y sont pas insensibles. Reste à savoir au profit de qui s’effectuera la privatisation des industries libyennes, dans un pays où les hommes d’affaires ne pouvaient réussir que s’ils étaient dans les petits papiers du Guide. Les mauvaises langues, qui observent le rôle croissant des deux fils de Mouammar Kadhafi dans la vie publique libyenne ces dernières années, se hasardent à risquer l’hypothèse que ces derniers ne seront pas oubliés dans la distribution.

Écouter également les explications d’Alexandre Buccianti



par Olivier  Da Lage

Article publié le 15/06/2003