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Libye

Retrouvailles franco-libyennes

Après une longue période d’antagonisme, Paris et Tripoli ont entamé un rapprochement ardemment souhaité de part et d’autre. La tendance est en cours depuis plusieurs années. Mais la démarche est encore hésitante en raison des cicatrices laissées par l’attentat contre le DC-10 d’UTA. La réunion de la commission mixte franco-libyenne, inédite depuis vingt ans, doit ouvrir la voie.
Entre Paris et Tripoli il y a, depuis vingt ans, comme une atmosphère de rendez-vous manqué et de destin sans cesse contrarié par l’histoire et la géographie. La Libye a tellement incarné, pour les pays occidentaux, le stéréotype de «l’Etat-voyou» des années 70 et 80 qu’on ne peut manquer de s’interroger sur cette brusque embellie dans les relations bilatérales. Depuis l’arrivée au pouvoir de la junte libyenne en 1969, ce pays a inscrit l’essentiel de son activité internationale dans une logique d’affrontements envers un Nord stigmatisé pour son «impérialisme» et son «néo-colonialisme», Tripoli lui opposant un internationalisme militant, solidaire de tous les mouvements visant à perturber l’ordre des choses selon Washington, Londres ou Paris. Avant Saddam Hussein, et même avant Khomeiny, le «grand Satan» des Occidentaux était le colonel Kadhafi.

C’est au début des années 80, sur le dossier tchadien, que Paris et Tripoli traversent leur plus grave crise bilatérale. Les ambitions africaines des deux capitales s’avèrent en effet divergentes et incompatibles sur cette question. La France intervient et porte un coup d’arrêt militaire aux appétits libyens sur le Tchad en s’engageant directement dans le conflit. A dater de cet épisode, les intérêts français deviennent une cible. En 1989, un DC-10 de la compagnie française UTA explose au-dessus du désert africain du Ténéré avec 170 personnes à bord. Il n’y a aucun survivant. Très rapidement l’enquête s’oriente vers les services libyens. Dix ans plus tard, le 31 mars 1999, au terme d’une longue enquête, la cour d’assises de Paris condamne par contumace six agents libyens pour leur responsabilité dans l’attentat. Entre-temps, pour sortir d’un long bras de fer avec Washington, Tripoli avait accepté de livrer ses deux ressortissants mis en cause dans l’explosion, au-dessus du village écossais de Lockerbie, d’un Boeing, causant la mort de ses 259 passagers et membres d’équipage. Début avril l’Onu suspend ses sanctions contre la Libye.

Tripoli à nouveau fréquentable

Cette levée des sanctions sonne comme le signal d’un retour en grâce. En réalité, ce «retour» est déjà amorcé et l’ONU ne peut que l’entériner sous peine de voir son crédit largement entamé. En effet, au cours de toutes ces années de mise au ban, Tripoli n’a pas renoncé à manifester sa présence sur toutes les scènes mises à sa disposition, à commencer par la scène africaine sur laquelle la Libye se présente comme l’intermédiaire obligatoire. Une médiation par-ci, une mission de bons offices par-là, un bataillon mis à disposition au titre de la prévention des conflits et un grand dessein pour l’Afrique, l’Union Africaine, dont le colonel Kadhafi fut l’un des militants les plus ardents: rares furent, ces dernières années, les opérations délicates sur la scène panafricaine dont les acteurs ne marquèrent pas l’escale de Tripoli, partenaire désormais incontournable!

Ce travail de rapprochement avec Tripoli est aujourd’hui d’autant plus facile à réaliser que la Libye est redevenue fréquentable. Elle ne figure plus sur la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme et il n’est donc plus honteux que la France soit devenu son quatrième partenaire commercial, qu’une ligne aérienne directe relie désormais, depuis le 9 octobre, Paris et Tripoli et qu’une commission mixte ait recommencé à travailler après vingt ans d’interruption totale. Ce pays dispose d’un revenu pétrolier de quinze milliards de dollars par an. Mais à part quelques grands groupes (TotalFinaElf, Alcatel), les industriels français peinent à s’implanter. L’explication de cette difficulté, dans un contexte théoriquement apaisé, réside peut-être justement dans le fait que le contentieux n’est pas épuisé. La discrétion des diplomates n’y fait rien: chaque pas vers la normalisation des relations entre les deux pays butte immanquablement sur une marche de protestation des familles des victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA qui viennent rappeler aux autorités que le temps du pardon n’est pas venu puisque les peines prononcées n’ont pas été exécutées. Elles réclament en préalable l’application des mandats d’arrêt internationaux à l’encontre des six agents libyens reconnus coupables par la cour d’assises de Paris.

Ecouter aussi:

Ecoutez Christian Graeff, diplomate français et spécialiste de la Libye (Invité Afrique, 21 octobre 2002, 5'30").



par Georges  Abou

Article publié le 22/10/2002