Libye
Les nouveaux amis du colonel Kadhafi
La conclusion d’une longue négociation secrète triangulaire entre Washington, Londres et Tripoli sur les armes de destruction massive marginalise la France. Cette affaire souligne la profondeur et la persistance du différend entre Paris et Tripoli. Toutefois, le succès américano-britannique n’écarte pas Paris de la scène diplomatique internationale. Mais il révèle la capacité américaine à s’adapter à de nouvelles configurations.
Le ministre français des Affaires étrangères a confirmé lundi que la France n’avait pas été tenue informée des négociations menées en secret au cours de ces neuf derniers mois par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. En revanche, dimanche, sa collègue de la Défense affirmait que «la France était parfaitement informée de ces négociations», et «depuis plusieurs mois».
Cette contradiction traduit au moins l’unité française dans l’embarras. Il n’est certes pas honteux de n’en avoir rien su, ou de n’en avoir rien dit, tant il est vrai que les plus épineuses des négociations ne peuvent bien souvent aboutir que si elles sont entourées d’un minimum de sérénité ; autant dire de confidentialité. En revanche, ne pas l’assumer et parler ainsi, dans la précipitation, d’une voix discordante indique une certaine confusion ou, au moins, une absence de concertation préalable, traduction probable de l’effet de surprise provoquée par l’annonce de l’accord. Et donc de l’ignorance française de sa conclusion.
Paris et Tripoli entretiennent de sérieux contentieux. Depuis plus de vingt ans, les deux capitales s’emploient à se contrarier mutuellement dans leur destin africain respectif. La France, les armes à la main, a contré les ambitions libyennes au Tchad. Aux yeux des chancelleries occidentales, et de Paris en particulier, la volonté libyenne, et ses pétrodollars, sont à l’origine de bien des conflits africains. Paris a eu droit a un traitement distinct, et toujours pendant, dans l’affaire de l’indemnisation des familles des 170 victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, en 1989, alors que les familles américaines et britanniques étaient, elles, généreusement indemnisées. On comprend mieux la distance entretenue par le colonel Kadhafi à l’égard de son homologue français lors du sommet euro-maghrébin du début du mois, à Tunis : Mouammar Kadhafi était sur le point de se faire de nouveaux amis, après tant d’années de détestation mêlée de fascination.
Paris reste un outil diplomatique
La France est-elle pour autant marginalisée ? Une négociation réussie sans la France vaut-elle échec pour Paris ? Si, incontestablement, Paris a été éloigné du tapis vert pour régler l’affaire libyenne, la France n’est pas à l’écart des outils diplomatiques que Washington peut actionner pour rendre le monde plus sûr. Paris, malgré ses différences, a continué tout au long de ces derniers mois à jouer son rôle auprès de l’allié américain pour rendre le monde conforme à ses ambitions sécuritaires. La signature du protocole additionnel du traité de non-prolifération nucléaire par l’Iran a été acquis après l’ultime négociation d’une troïka européenne dans laquelle la France a pesé de tout son poids.
En réalité, la diplomatie américaine n’écarte aucune formule et révèle même une étonnante capacité d’adaptation, en relatif décalage avec les discours musclés auxquels elle avait habitué l’opinion publique internationale. Avec sa démonstration de puissance, le traitement du cas irakien a fourni un cadre pédagogique global visant à lui adosser dans les meilleures conditions une diplomatie dissuasive. Cette dernière n’est pas du seul ressort de Washington, comme on l’a vu avec le cas iranien où le multilatéralisme a incontestablement porté ses fruits, mais la Maison Blanche démontre là sa capacité à l’utiliser avec succès. L’approche systémique est également favorisée dans le traitement du dossier nord-coréen, où la diplomatie régionale est privilégiée, même si la formule n’a pas encore porté tous ses fruits. Avec ce dénouement de la question libyenne, l’administration américaine montre une nouvelle dimension de ses dispositions : la négociation longue, secrète et réussie.
Selon le haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère Javier Solana, l’accord avec la Libye «prouve à l’évidence que la diplomatie peut l’emporter en matière de prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques». Les partisans de la coercition retournent le raisonnement et affirment que les événements démontrent, au contraire, que sans les moyens de la guerre (en Irak), ce dénouement n’aurait pas eu lieu. «L’axe du mal» s’effrite et, avec le temps, les anciens «voyous» rentrent dans le rang. Le Soudan a changé de discours à l’égard de Washington et manifeste son souci de prendre de la distance vis à vis des ennemis de l’Amérique. La Syrie manifeste sa bonne volonté et annonçait en fin de semaine avoir saisi des fonds appartenant à Al Qaïda. Au train où sont allées les choses, seule la Corée du Nord figure donc encore sur la liste. On ignore bien sûr encore pour combien de temps. Les Etats-Unis viennent simplement d’infliger à leurs alliés de la «vieille Europe» la démonstration que personne n’a le monopole de la (bonne) diplomatie.
Ecouter également : Renaud Donnedieu de Vabres, Porte-parole de l'UMP. La France a-t-elle été informée des négociations américano-britanniques avec la Libye ? Renaud Donnedieu de Vabres répond aux questions de Bruno Daroux.(23/12/03)
Cette contradiction traduit au moins l’unité française dans l’embarras. Il n’est certes pas honteux de n’en avoir rien su, ou de n’en avoir rien dit, tant il est vrai que les plus épineuses des négociations ne peuvent bien souvent aboutir que si elles sont entourées d’un minimum de sérénité ; autant dire de confidentialité. En revanche, ne pas l’assumer et parler ainsi, dans la précipitation, d’une voix discordante indique une certaine confusion ou, au moins, une absence de concertation préalable, traduction probable de l’effet de surprise provoquée par l’annonce de l’accord. Et donc de l’ignorance française de sa conclusion.
Paris et Tripoli entretiennent de sérieux contentieux. Depuis plus de vingt ans, les deux capitales s’emploient à se contrarier mutuellement dans leur destin africain respectif. La France, les armes à la main, a contré les ambitions libyennes au Tchad. Aux yeux des chancelleries occidentales, et de Paris en particulier, la volonté libyenne, et ses pétrodollars, sont à l’origine de bien des conflits africains. Paris a eu droit a un traitement distinct, et toujours pendant, dans l’affaire de l’indemnisation des familles des 170 victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, en 1989, alors que les familles américaines et britanniques étaient, elles, généreusement indemnisées. On comprend mieux la distance entretenue par le colonel Kadhafi à l’égard de son homologue français lors du sommet euro-maghrébin du début du mois, à Tunis : Mouammar Kadhafi était sur le point de se faire de nouveaux amis, après tant d’années de détestation mêlée de fascination.
Paris reste un outil diplomatique
La France est-elle pour autant marginalisée ? Une négociation réussie sans la France vaut-elle échec pour Paris ? Si, incontestablement, Paris a été éloigné du tapis vert pour régler l’affaire libyenne, la France n’est pas à l’écart des outils diplomatiques que Washington peut actionner pour rendre le monde plus sûr. Paris, malgré ses différences, a continué tout au long de ces derniers mois à jouer son rôle auprès de l’allié américain pour rendre le monde conforme à ses ambitions sécuritaires. La signature du protocole additionnel du traité de non-prolifération nucléaire par l’Iran a été acquis après l’ultime négociation d’une troïka européenne dans laquelle la France a pesé de tout son poids.
En réalité, la diplomatie américaine n’écarte aucune formule et révèle même une étonnante capacité d’adaptation, en relatif décalage avec les discours musclés auxquels elle avait habitué l’opinion publique internationale. Avec sa démonstration de puissance, le traitement du cas irakien a fourni un cadre pédagogique global visant à lui adosser dans les meilleures conditions une diplomatie dissuasive. Cette dernière n’est pas du seul ressort de Washington, comme on l’a vu avec le cas iranien où le multilatéralisme a incontestablement porté ses fruits, mais la Maison Blanche démontre là sa capacité à l’utiliser avec succès. L’approche systémique est également favorisée dans le traitement du dossier nord-coréen, où la diplomatie régionale est privilégiée, même si la formule n’a pas encore porté tous ses fruits. Avec ce dénouement de la question libyenne, l’administration américaine montre une nouvelle dimension de ses dispositions : la négociation longue, secrète et réussie.
Selon le haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère Javier Solana, l’accord avec la Libye «prouve à l’évidence que la diplomatie peut l’emporter en matière de prolifération des armes nucléaires, biologiques et chimiques». Les partisans de la coercition retournent le raisonnement et affirment que les événements démontrent, au contraire, que sans les moyens de la guerre (en Irak), ce dénouement n’aurait pas eu lieu. «L’axe du mal» s’effrite et, avec le temps, les anciens «voyous» rentrent dans le rang. Le Soudan a changé de discours à l’égard de Washington et manifeste son souci de prendre de la distance vis à vis des ennemis de l’Amérique. La Syrie manifeste sa bonne volonté et annonçait en fin de semaine avoir saisi des fonds appartenant à Al Qaïda. Au train où sont allées les choses, seule la Corée du Nord figure donc encore sur la liste. On ignore bien sûr encore pour combien de temps. Les Etats-Unis viennent simplement d’infliger à leurs alliés de la «vieille Europe» la démonstration que personne n’a le monopole de la (bonne) diplomatie.
Ecouter également : Renaud Donnedieu de Vabres, Porte-parole de l'UMP. La France a-t-elle été informée des négociations américano-britanniques avec la Libye ? Renaud Donnedieu de Vabres répond aux questions de Bruno Daroux.(23/12/03)
par Georges Abou
Article publié le 22/12/2003