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Cinéma

Des femmes et des couteaux

<EM>Moolaade</EM>, deuxième volet de la trilogie sur les femmes du cinéaste sénégalais Sembene Ousmane, est un plaidoyer contre une vieille tradition : l’excision. 

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Moolaade, deuxième volet de la trilogie sur les femmes du cinéaste sénégalais Sembene Ousmane, est un plaidoyer contre une vieille tradition : l’excision.
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Nouvelle fiction de Sembene Ousmane et deuxième volet de la trilogie sur les femmes du cinéaste sénégalais, Moolaade est un plaidoyer contre l’excision. Le film fait partie de la sélection officielle du festival de Cannes (12-23mai), section «Un certain regard».

Il règne une drôle d’animation dans la première séquence de Moolaade, neuvième long métrage de Sembene Ousmane. Des femmes s’agitent en tous sens, un gamin traverse le champ en galopant pour s’engouffrer dans un grenier à céréales d’où il extrait un panier de mil. Quelques minutes suffisent à Sembene pour tracer à grands traits un décor, une ambiance, un univers: celui d’une cour en plein labeur, où le paisible ordonnancement des gestes et des paroles obéit à une tradition que l’on devine millénaire. Le train-train de cette domesticité épanouie est interrompu par l’arrivée d’une bande de fillettes en larmes: elles viennent d’échapper aux mains des exciseuses, elles demandent protection. Une femme, Collé, va la leur donner grâce aux pouvoirs spéciaux que lui confère le «Moolaade».

C’est bien de l’affrontement de deux croyances qu’il s’agit: celle selon laquelle une Bilakoro (fille non excisée, donc fatalement «impure») ne trouvera pas de mari. L’autre voue à la mort quiconque franchirait sans permission les frontières de la cour: foudroyé d’emblée par le Moolaade, comme le fut en son temps ce roitelet désobéissant dont les restes reposent dans une termitière dressée non loin du baobab à palabres. C’est évidemment à Yeelen, de Souleymane Cissé, que l’on pense d’emblée. Mais c’est moins la représentation d’une cosmogonie qui intéresse Sembene Ousmane que la mise en place de tous les éléments susceptibles d’alimenter son brûlot anti-excision.

Chronique villageoise

Plus qu’en cinéaste, c’est donc en romancier, madré et aguerri, que Sembene pose les premiers jalons de sa démonstration. Plutôt que de tracer quelques lignes scénaristiques fortes (Collé saura-elle résister à la pression de moins en moins sourde du village, à sauver les fillettes, à entraîner derrière elle les femmes du village ?), il choisit de donner à son film la forme d’une chronique villageoise animée par une poignée de personnages hauts en couleur: «Mercenaire», le marchand ambulant, dragueur impénitent dont les dehors bonasses cachent un homme d’affaires impitoyable. La jeune Amsatou, fille de Collé, non excisée. Ciré, le mari de Collé, à qui Rasmane Ouedraogo prête sa nonchalante élégance.

La routine villageoise, déjà bien mise à mal par l’affaire des fillettes (conseil de guerre des Anciens, inquiétude des maris, défilé des exciseuses, rendues furieuses par ce chômage technique imprévu), est bouleversée par l’arrivée d’un nouveau venu, fils du pays parti travailler en France, revenu comme il se doit couvert de cadeaux pour les siens et sa promise, Amsatou. C’est à ce stade du film que Sembene achève de brouiller les pistes, désamorçant du même coup l’attente du spectateur. Le «Parisien», moins sensible qu’on pouvait l’espérer aux sirènes de la modernité, fait grise mine devant cette fiancée non excisée. Celle-ci se retourne contre sa mère, l’accusant d’avoir ruiné son mariage.

Le placide mari de Collé lui même cède à l’hystérie ambiante et finit par fouetter sa femme en public (en y mettant, il est vrai, l’enthousiasme d’un zombie). A l’instar des derniers films de Sembene Ousmane, où la volonté pédagogique semblait avoir balayé sur son passage toute velléité esthétique, Moolaade ne cherche pas à emporter l’adhésion du spectateur par des effets de brio. A l’instar de Faat Kiné, qui s’apparentait à la pure et simple mise en images d’un scénario, le film se fiche de l’élégance, cadre ses personnages en une série de champs contre-champs (figure la plus efficace, au fond, de l’affrontement), tente d’impossibles flashs back.

Reste alors en tête une image, celle d’une fillette que sa mère part livrer au couteau des exciseuses: silhouette minuscule et misérable, hurlant sa détresse aux arbres du bois sacré, ne sachant pas que sa mort donnera le signal de la révolte générale.

par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 12/05/2004 Dernière mise à jour le 12/05/2004 à 10:29 TU