Justice
Coup de théâtre dans l'affaire d'Outreau
(Photo: AFP)
Glauque, sordide, sinistre, terrifiante, l’affaire d’Outreau -sur laquelle a certainement déteint l’affaire Dutroux- se trouve embourbée, depuis décembre 2000, dans des accusations d’enfants victimes de pédophilie. Les services sociaux alertent la justice et ce sont 17 adultes qui se retrouvent accusés de viols sur 18 enfants âgés de 3 à 12 ans. Les victimes auraient subi des violences entre 1995 et 2000, et la plupart des enfants sont ceux des personnes accusées.
En toile de fond, la misère et la pauvreté, des tentatives de suicide, l’alcool et la violence ordinaire avec tout son cortège d’horreurs, un appartement sombre, celui des Delay, où se déroulaient des séances de pédophilie en réunion, et où auraient défilé les 17 inculpés aujourd’hui sur le banc des accusés, dénoncés par les enfants victimes.
De la cour de récréation à la cour d’assisesLes assistantes maternelles, tout d’abord, alertées par les troubles comportementaux des enfants Delay ont saisi les services sociaux. Les enfants ont associé d’autres noms d’enfants victimes, tous scolarisés dans la même école, et ont impliqué ensuite plusieurs noms d’adultes qui auraient participé aux sévices infligés. Les services sociaux signalent à la justice des suspicions d’abus sexuels. Rapidement, de la cour de récréation où la parole se libère, l’affaire passe devant la cour d’assises, et plusieurs adultes se retrouvent accusés «pour viols avec tortures et actes de barbarie».
Les enfants, aussitôt retirés à leurs familles, sont placés en familles d’accueil. Les parents tortionnaires sont, quant à eux, écroués. Certains parents n’ont pas revu leurs enfants depuis 3 ans, certains ont perdu leur travail et leur ménage. Un inculpé s’est suicidé en prison. Pourtant, depuis l’ouverture du procès, l’affaire semble compliquée, et l’instruction oscille entre aveux et cris d’innocence des accusés, accusations et rétractation.
En effet, bien qu’inculpés depuis 3 ans sur témoignages d’enfants, et dossiers montés -comment?- par les services sociaux, chauffeur de taxi, huissier de justice, boulangère, prêtre ouvrier, métallier… clament leur innocence depuis le début. Certains d’entre - eux connaissent les couples Delay et Delplanque, les couples de parents violeurs et tortionnaires qui ont reconnu les faits. D’autres affirment ne pas les connaître du tout. On parle dès lors de deux cercles d’accusés, celui des couples Delay et Delplanque, et celui des notables, dénonçant «l’horreur» que leur inspirent les faits.
Après avoir reconnu les faits, Thierry Delay et David Delplanque, son voisin de palier, ont mis hors de cause les 13 autres accusés du procès: «on n’était que quatre. Du début à la fin, on n’était que quatre, en 1998. (…) ça fait trois ans que j’arrivais pas à dormir, et je veux dire qui a fait et qui a pas fait ces choses» ajoute David Delplanque. Quant à leur épouse et ex-compagne –Myriam Delay et Aurélie Grenon, elles ont continué à charger tous les autres prévenus. Il y a dix jours cependant, Myriam Delay est apparue en difficulté et s’est rétractée à plusieurs reprises, reconnaissant «j’ai confondu et j’ai menti», plusieurs avocats de la Défense dénonçant «l’incohérence des propos» en ce qui la concernait.
«En 33 années de barreau, je n’ai jamais vu ça»
Hier, coup de théâtre, les deux aînés -sur les quatre enfants du couple Delay- sont entendus. La mère, et principale accusatrice, Myriam Delay, se rétracte au terme de l’audition de son fils Dimitri, pointant son doigt en direction de plusieurs accusés en les désignant, et en expliquant qu’ils n’avaient rien fait: «je suis une malade et une menteuse», ajoutant «je ne voulais pas que l’on traite mes enfants de menteur, j’ai suivi les enfants dans leurs déclarations». L’ex-compagne de David Delplanque, Aurélie, explique qu’elle aussi «a menti (…) je (l’)ai entendue [Myriam Delay] citer les autres alors je l’ai suivie». Consternation, confusion.
Innocentée et soulagée, l’assemblée accusée s’effondre en larmes: «cela fait trois ans que je dis que je n’ai rien fait, je veux revoir mes enfants maintenant, je veux voir mon petit» dit une mère, «j’ai tout perdu, je n’ai plus rien, cela soulage bien sûr, mais cela fait tellement longtemps que j’explique que je n’ai rien fait» dit un autre, et une femme d’ajouter entre ses sanglots, «il va falloir que je reconstruise tout ce que j’ai perdu (…) les mois de prison, la vie gâchée, ça je ne pourrai jamais l’effacer». La cour se retrouve en totale climat de confusion, et lève la séance.
En attendant, dans ce climat de grande émotion, les avocats de la Défense regrettent déjà la manière dont a été menée l’enquête «qui n’aurait jamais dû aboutir au renvoi de 17 personnes devant les assises». Me Eric Dupont-Moretti, avocat d’une boulangère accusée a commenté «on a sacralisé à outrance la parole des enfants, cela a amené à une catastrophe judiciaire; l’institution judiciaire n’a pas fait ce qu’il fallait, d’où ce gâchis. L’acquittement de ces gens, ce ne sera pas la victoire de la défense, mais la victoire de la justice. Ce dossier a explosé, c’est une sorte de libération».
Les avocats de la partie civile, qui insistaient depuis plusieurs jours sur le crédit de la parole des enfants, étaient aussi sous le choc de ce coup de théâtre: «il faut que la justice sache prendre ses responsabilités et que les uns et les autres acceptent ce qui s’est dit pendant cette audience. En 33 années de barreau, je n’avais jamais vu ça. Les enfants vont se retrouver traités de menteurs, j’ose espérer qu’ils pourront se reconstruire».
Mercredi, les deux femmes Myriam Delay et Aurélie Delplanque devaient à nouveau confirmer à la barre leurs propos et détailler le cas de tous ces accusés mis hors de cause. Les couples Delplanque et Delay, qui n’avaient jusqu’à présent reconnu que les viols exercés sur les quatre enfants de la famille Delay, devaient se prononcer sur les sévices qu’ils auraient fait subir aux deux enfants du couple Delplanque. Myriam Delay a reconnu, quant à elle, avoir agi. Les enfants devaient aussi être réentendus, se retrouvant seuls désormais à accuser d’autres adultes que leurs parents et voisins de palier.
Sur les dix-huit enfants présumés victimes, il se pourrait que seuls les six enfants de ces deux couples soient réellement concernés. Le procès, qui doit se poursuivre jusqu’à la mi-juin, va désormais devoir se pencher sur le cas des 12 autres petites victimes présumées, âgées de 3 à 8 ans, et éclairer dans quelles conditions les enfants ont pu mettre en cause tant de personnes que les adultes innocentent maintenant. La justice va devoir aussi s’interroger sur la procédure qui a été suivie pour se retrouver ainsi enlisée dans un tel marigot.
par Dominique Raizon
Article publié le 19/05/2004 Dernière mise à jour le 20/05/2004 à 08:42 TU