Histoire
Le Père Lachaise fête son bicentenaire
(Photo : AFP)
Après la Tour Eiffel, le Louvre et Notre-Dame, le Père Lachaise est le site touristique le plus visité à Paris. C'est aussi le cimetière le plus visité au monde. Les sépultures s’y bousculent en un étrange labyrinthe, la verdure y foisonne, reprenant quelquefois ses droits sur une pierre qui s’enfonce. «Dans ce site classé, tous les monuments funéraires antérieurs à 1900, c’est-à-dire environ 30 000, sont inscrits à l’inventaire des monuments historiques» rappelle Christian Charlet, conseiller culturel du service central des cimetières. Toutes les religions du monde, toutes les civilisations, cultures et philosophies sont représentées dans cet enclos magique. Faut-il être mort pour que tout soit réconcilié? «Le jardin cimetière» ne manque ni d’intérêt ni de pittoresque.
C’est sur une des sept collines de Paris, celle de Champ-l’Evêque, que fut implanté voici 200 ans le cimetière paysager que visitent chaque année deux millions de personnes. Au Moyen-âge y poussent la vigne, les légumes et les céréales, puis au XVe siècle, la propriété est rachetée par un riche commerçant en épices, Régnault de Wandonne, qui se fait construire une petite maison de villégiature, blottie sous les feuillages, la Folie Régnault. Au fil des ans, le domaine change de propriétaire. Au XVIIe, la maison devient un lieu de convalescence et de repos pour les pères jésuites.
Le Père Lachaise y possède un appartement lorsqu’il devient, en 1675, le confesseur du roi Louis XIV. Agrandie, embellie, plantée d’essences rares, agrémentée d’une orangerie et de pièces d’eau, la propriété est coquette et séduisante, elle attire les courtisans aux fêtes que donne le frère du père jésuite, le Comte de Lachaise. Puis, en raison d’une dette impayée, la compagnie de Jésus est obligée de céder le domaine. Le dernier propriétaire, Jacques Baron, lui-même ruiné par la Révolution et l’Empire, cède les 17 hectares de l’époque au préfet de la Seine, Nicolas Frochot, au nom de la ville de Paris.
C’est à l’architecte Alexandre Brongniart (à qui l’on doit aussi le palais de la Bourse) qu’est confié l’aménagement des lieux en cimetière. Les cours d’eau, qui alimentaient la colline, sont arrêtés, mais les grandes allées de tilleuls et de châtaigniers, les petits sentiers et les vallonnements, qui confèrent à ce lieu charme et sérénité, sont préservés. Malheureusement, le cimetière de l’Est parisien est situé dans un faubourg pauvre et populaire, près de Ménilmontant, et les gens fortunés ne veulent pas y être inhumés. Ne remportant pas le succès escompté, il faut alors imaginer un coup médiatique.
En 1817, le gouvernement de la Restauration fait transférer au cimetière les restes supposés de Molière et de La Fontaine, ainsi que ceux d’ Héloïse et d’Abélard. Les amants légendaires du Moyen Age sont honorés de monuments prestigieux, sur le modèle des somptueux gisants inhumés dans la nécropole des rois de France dans la cathédrale de Saint-Denis. Louis XVIII et ses ministres donnent une ampleur médiatique à cet événement et, aussitôt, se faire enterrer au Père Lachaise est mis au goût du jour.
Dès lors, aux fosses communes et aux premières tombes très austères -qui fleurirent entre 1804 et 1815- succèdent, tout au long du XIXe siècle, de magnifiques sépultures qui rivalisent de grandiloquence. Personnalités politiques de la Restauration, de la Monarchie de Juillet et du second Empire, maréchaux, industriels, savants, aristocrates, écrivains, musiciens … choisissent de s’y faire inhumer, et on fait appel aux sculpteurs les plus renommés de l’époque pour dresser tombes, chapelles et mausolées. Le cimetière a failli disparaître sous Napoléon III, lorsque le Baron Haussmann révolutionne Paris. L’empire chute, les projets du Baron avec, et le Père Lachaise demeure.
(Photo © Artifica)
Si le lieu fascine, c’est parce qu’il est à lui seul un résumé d’histoire et de mémoire. L’abécédaire des célébrités, qui reposent dans ce lieu romantique à souhait, est impressionnant.
Sur le monument néogothique qui abrite la sépulture d’Héloïse et d’Abélard, on peut lire «tous les deux réunis jadis par l’étude, par l’esprit, par l’amour, par des noeuds infortunés, et par le repentir». La tombe de Frédéric Chopin est l’une des plus fleuries, notamment d’oeillets rouges et blancs, couleurs nationales polonaises, toute l’année. Sur la tombe de Jean-François Champollion, génial égyptologue à qui l’on doit le décryptage des hiéroglyphes, un obélisque est dressé. Sur la tombe d’Antoine-Augustin Parmentier, un sac de pommes de terre a récemment été répandu, hommage sans doute d’un fétichiste amateur de frite, de hachis, et de purée! Sur celle d’Alfred de Musset, une bachelière remercie d’un petit billet le poète auquel elle doit un 14 à l’examen: «merci! t’es un vrai pote».
De Guillaume Apollinaire à Oscar Wilde, la liste est longue, les tombes fétiches aussi. Celle de Jim Morrison, fondateur du groupe rock les Doors et mort à 27 ans d’une overdose, fait souvent parler d’elle. Taggée, graphitée, nettoyée régulièrement , elle vient d’être protégée par des barrières métalliques. Celles de Balzac, Colette, Piaf, Montand, Signoret, Sarah Bernard sont réunies dans ce même «jardin du souvenir» où se côtoient tout aussi bien un monument de style précolombien, un cimetière juif, le premier crématorium-colombarium de France, et le Mur des Fédérés devant lequel furent fusillés 147 communards.
De la pyramide égyptienne au temple néo-classique, en passant par les monuments qui rendent hommage aux déportés martyrs et victimes du fascisme et du nazisme, tout est représenté dans ce microcosme silencieux, bordé de personnalités. Cette variété fait de ce parc un lieu d’exception où, pour le bicentenaire, concerts, expositions, et visites spéciales sont prévus.
par Dominique Raizon
Article publié le 20/05/2004 Dernière mise à jour le 21/05/2004 à 09:08 TU