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République démocratique du Congo

Dans Bukavu en guerre

La population Banyamulenge, dont sont issus les militaires dissidents, craint des représailles et  continue de rejoindre le Rwanda voisin. 

		(Photo: AFP)
La population Banyamulenge, dont sont issus les militaires dissidents, craint des représailles et continue de rejoindre le Rwanda voisin.
(Photo: AFP)
Des combats opposent depuis une semaine, dans la région de Bukavu dans l’est de la République démocratique du Congo, l’armée régulière congolaise à des groupes de soldats dissidents issus de la communauté banyamulenge. Ces derniers disent que les civils de leur ethnie sont menacés, mais le reste de la population les considère comme des agresseurs. Dans la ville, les combats ont fait 39 morts et 81 blessés avant le retour du calme. Mais la situation reste tendue au nord de Bukavu. Reportage.
De notre envoyée spéciale

Une trentaine de personnes rassemblées au coin d’une rue recueillent les dernières informations et commentent à vive voix la situation, animant leur discours de gestes incontrôlés. Dans le quartier de Nguba, le plus touché par les affrontements de la semaine dernière, à proximité de la frontière rwandaise, la tension est toujours palpable. Les soldats dissidents du colonel Mutebutsi sont cantonnés dans des villas des environs, mais les combats se poursuivent à une vingtaine de kilomètres au nord de la ville.

Même si un cessez-le-feu vient d’être accepté par les deux parties belligérantes, la colonne de renfort de soldats rebellés, momentanément stationnée à une vingtaine de kilomètres de Bukavu, menace la ville. La population Banyamulenge, dont sont issus les militaires dissidents, craint des représailles. Bringuebalant matelas et casseroles sur la tête, un flux de personnes continue de défiler sur la route qui relie Bukavu au Rwanda voisin. «On ne peut plus vivre ici. On nous tue, on nous tue !», s’écrie une femme rwandophone, visiblement traumatisée par les affrontements des derniers jours. «On regarde notre visage et on nous tue, ajoute-elle la voix tremblante, sur la route pour Cyangugu, la ville rwandaise frontalière. Pourtant je suis congolaise. Ma famille habite ici depuis des générations et des générations».

Ras-le-bol

Sur la route, des Congolais non-banyamulenge observent d’un air méfiant cette population en fuite. Un groupe de cinq personnes, auquel se joint rapidement une foule en colère, exprime son ras-le-bol vis-à-vis de la population banyamulenge. «Ils disent qu’ils sont Congolais, mais dès qu’il y a un problème, ils choisissent l’autre camp, ils fuient vers le Rwanda. Ils ne nous causent que des ennuis», lance un jeune étudiant. D’un vif mouvement de tête, les autres approuvent ses dires, ne faisant aucune différence entre la population civile et les militaires banyamulenge qui ont «une nouvelle fois» pris les armes mercredi dernier. Une «maman», habillée d’un pagne bleu, tente cependant d’apaiser les esprits. «Ce sont nos frères, explique-t-elle d’une voix calme et souriante, ils habitent ici depuis longtemps. Nous pouvons vivre ensemble mais il faut que les militaires rebelles déposent les armes».

Car la situation reste très tendue. Après les violents combats de dimanche soir, de nouveaux échanges de tirs à l’arme lourde ont opposé lundi en début de soirée les troupes de l’armée régulière à celle du général Laurent Nkunda, chef des soldats dissidents, arrivées en renfort samedi depuis le Nord Kivu. Et les combats se sont poursuvis dans la journée de mardi, au point de contact entre les deux forces, à une vingtaine de kilomètres de l’aéroport. Les troupes du général Buja Mabe, commandant la 10è région militaire et celles de Nkunda ont accepté un cessez-le-feu qui devait entrer en vigueur mercredi matin.

Les forces de la Monuc vont s’intercaler entre les belligérants pour observer le respect du cessez-le-feu. Une délégation en provenance de Kinshasa et de Goma devrait rencontrer les belligérants dans la journée afin de trouver une solution politique à la crise. Elle comprend notamment des ministres congolais et le vice-président Azarias Ruberwa, un banyamulenge comme les militaires dissidents.

Exactions contre les civils

Mais dans la ville de Bukavu, la population est sceptique. Elle attend des changements en profondeur, car les autorités du Sud Kivu, issues des différentes mouvances congolaises, n’ont jamais trouvé de modus vivendi même après la réunification et la fin officielle de la guerre l’an dernier. La population civile est la première touchée. A l’hôpital général, la même tension que dans la ville est perceptible. Les blessés Banyamulenge sont soignés dans des dortoirs séparés. Une vingtaine de victimes civiles et militaires non banyamulenge sont accompagnées de leurs proches et de soldats en uniforme dans une autre salle.

Alitée et toujours en proie à de vives douleurs, Denise, une jeune femme Banyamulenge de 25 ans a échappé de justesse à la mort. Ses deux jeunes frères qui marchaient à ses côtés jeudi après-midi ont été tués sur le coup. Prise au piège dans des échanges de tirs, elle a été blessée à la jambe et au bassin par un militaire congolais qui l’a ensuite transportée lui-même à l’hôpital. «Je connaissais bien cet homme, je sais qu’il ne l’a pas fait exprès», gémit-elle à bout de force. Espérant qu’on ne fera pas d’amalgame entre la population civile et les militaires dissidents. La Monuc vient d’entamer des enquêtes sur les exactions présumées commises à l’encontre de tous les civils congolais, sans distinction.

par Pauline  Simonet

Article publié le 02/06/2004 Dernière mise à jour le 02/06/2004 à 12:26 TU