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République démocratique du Congo

Le pouvoir à Kinshasa se joue dans le Kivu

La population banyamulengue a fui Bukavu. 

		(Photo : AFP)
La population banyamulengue a fui Bukavu.
(Photo : AFP)
L’Onu redoute encore un mouvement de troupes hostile à la nouvelle administration militaire du Sud Kivu où elle a perdu samedi un observateur et où une quinzaine de Congolais dont sept civils ont payé un lourd tribut aux rivalités qui secouent la transition politique. Dans l’Est congolais, la nouvelle administration militaire paraît en effet bien loin de la volonté d’intégration nationale affichée par les anciens belligérants dans le partage du pouvoir entre «les composantes du dialogue intercongolais» issu de «l'accord global et inclusif» adopté le 4 avril 2003 à Sun City, en Afrique du Sud. En fait, au Sud Kivu la logique de guerre a cédé le pas à une compétition sanglante entre les «composantes» - régime Kabila, anciens rebelles et combattants maï maï - qui avivent les tensions intercommunautaires dans une région où opèrent toujours des groupes armés étrangers (rwandais et burundais).

Rien n’est réglé à Bukavu, métropole lacustre du Sud Kivu frontalière du Rwanda où les tirs avaient cessé vendredi, après trois jours d’une querelle militaire qui laisse derrière elle son cortège habituel de morts et de pillages. Ce week-end, des Casques bleus armés et des blindés de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc) étaient déployés à chaque carrefour et des hélicoptères de combat tournaient dans le ciel. Mais, dimanche, de nouveaux bruits de bottes dans cette région sensible inquiétaient la Monuc. Bukavu n’ en effet jamais connu la sérénité malgré le lancement à Kinshasa de la transition politique chargée de conduire le pays à des élections législatives et présidentielle en juin et juillet 2005. Bien au contraire. Fief de la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) allié du Rwanda pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003), le Sud Kivu – et avec lui le Nord Kivu ainsi que de nombreux autres arpents de l’Est congolais – s’avère un enjeu crucial pour le contrôle du vaste Congo. La fin de la guerre décrétée, la clef de l’Est sera peut-être électorale. En attendant, la réalité de la nouvelle armée nationale achoppe au Sud Kivu avec des conflits d’autorité en forme de querelle de souveraineté. En même temps les anciennes accusations de traîtrise et de «nationalité douteuse» (déjà formulées sous Mobutu avec en filigrane des conflits fonciers et électoraux) sont relancées avec vigueur contre les populations congolaises banyamulenge. Cette communauté «rwandophone», régulièrement instrumentalisée dans l’histoire tourmentée du Zaïre-Congo est elle-même divisée entre nationalistes congolais, partisans ou non du président Kabila ou bien fidèles du RCD. Le RCD d’où provient l’un des quatre vice-présidents de la transition, Azarias Ruberwa, lui-même munyamulenge (singulier de banyamulenge).

Pas de véritable intégration militaire

Bien évidemment chacune des parties impute à l’autre la responsabilité des affrontements engagés le 26 mai dernier entre des soldats du général Prosper Nabyolwa qui commande la zone militaire de Bukavu et des gardes du corps de son ancien second, le colonel Jules Mutebesi. C’est Kinshasa qui, au début de l’année, a confié au général Nabyolwa le commandement de la dixième zone militaire (celle de Bukavu), au titre de la composante gouvernementale. Conformément aux accords militaires de la transition, son adjoint dans la nouvelle administration militaire régionale devait être issu du RCD. Un premier gradé «nominé» par le mouvement d’Azarias Ruberwa, le colonel Eric Ruhorinbere, avait pour sa part décliné la proposition, arguant de l’absence d’intégration militaire au niveau des troupes. Une situation ingérable selon lui dans la mesure où jusqu’à présent le passage du Kivu sous administration militaire nationale s’est limité à la nomination du commandant de la région, à l’octroi de grades aux officiers des composantes concernées et au paiement de quelques mois de salaires. Rien d’après lui n’a permis le brassage des anciennes troupes adverses dans une armée réellement nationale. Sollicité à son tour par le RCD, e colonel Mutebesi, avait pour sa part accepté de relever le défi. Il servait donc d’adjoint au général Nabyolwa jusqu’à son éviction en mars dernier, à la suite d’un premier litige qui refait surface.

En février 2004, peu après sa prise de commandement, le général Nyabwola avait entrepris d’extrader à Kinshasa un dignitaire du RCD, le major Joseph Kasongo, l’accusant de dissimuler une cache d’arme importante dans le quartier de Nguba. Le 22 février, un avion avait été spécialement affrété pour livrer le major à la sécurité militaire chargée de l’interroger dans la lointaine capitale congolaise. Immédiatement monté au créneau et menaçant de quitter les institutions de transition, le RCD avait finalement obtenu sa libération avec l’appui du Comité international d'accompagnement de la transition (CIAT), soucieux de sauvegarder l’accord de paix. Dans cette affaire à rebondissement en forme de ballon d’essai - qui avait déjà entraîné des fusillades et des morts à Bukavu -, le colonel Mutebusi avait directement menacé son supérieur, le général Nyabwola, plaçant des troupes en ordre de bataille. Au final, Kasongo était revenu à Bukavu, Mutebesi avait été suspendu et Nyabwola conforté dans ses fonctions, tant par Kinshasa que par le RCD.

Au cours de ce nouveau bras de fer, la Monuc a été amenée à ouvrir le tir sur les troupes de Mutebesi, à partir d’un hélicoptères. Vendredi, elle lui a donné ordre de cantonner ses hommes dans cinq sites de la ville, ce qui aurait été fait. Mais le chef de mission de la Monuc à Bukavu, Alpha Sow croit savoir que des renforts RCD sont en route pour prêter main forte à Mutebusi. «Nous avons eu confirmation qu'ils sont en route, mais ils sont arrêtés pour l'instant vers Kalehe», à une soixantaine de kilomètres au nord, affirme-t-il tout en assurant que la Monuc a pris des «dispositions pour contrer une éventuelle attaque» contre l’aéroport de Bukavu qui se trouve justement dans la direction d’où arriveraient «deux ou trois bataillons, c'est-à-dire un millier d'hommes», qui seraient dirigés par le général Laurent Nkunda, du RCD. Les intentions de ce dernier n’étaient pas éclaircies dimanche après-midi. Mais ces informations alarmantes sont venues augmenter la tension à Bukavu, vidée de la plupart de ses 2 800 Banyamulenge et où les habitants qui se hasardent dans les rues continuent de répandre l’idée d’une félonie de leur part.

Discours venimeux et globalisant

Les populations dites «autochtones» de l’Est congolais restent promptes à faire l’amalgame entre partisans du RCD, Banyamulenge et Rwanda. Kigali a fini par retirer ses troupes d’occupation, officiellement fin 2002. Mais nombre de Kivutiens continuent à voir sa main dans leur région. «Les gens de Mutebusi se disent congolais mais ils ne le sont pas, ils viennent de le prouver en tuant d'autres Congolais», assure un passant en ajoutant, «le pire, c'est que tous les Banyamulenge se sont rangés derrière lui». Ce discours venimeux et globalisant laisse de côté les combattants Banyamulenge qui ont porté Kabila père dans le fauteuil présidentiel de Kinshasa en mai 1997 comme les troupes banyamulenge du capitaine Masunzu qui s’est battu des mois durant contre les forces d’occupation rwandaise. Ils attendent d’ailleurs leur affectation dans la nouvelle armée nationale et ne sont en tout cas pas du même bord que le colonel Mutebusi qui dénonce aujourd’hui «un coup monté pour s'en prendre aux Banyamulenge», boucs émissaires bien commodes qui évitent aux «autochtones» de s’attarder sur leurs propres déchirures et contradictions.

Au total, la province reste soumise à une insécurité tous azimuts alimentée par la présence de groupes armés nationaux concurrents mais aussi par la circulation de groupes étrangers. Selon la Monuc, les soldats de l’ancienne armée nationale congolaise (c’est-à-dire ceux qui ressortissent de la composante gouvernementale) contrôlent la plupart des routes et des centres urbains du Sud Kivu tandis que les Maï Maï du général Padiri – lui-même délégué au titre de sa composante dans le commandement de la zone militaire de Kisangani – restent répandus dans les zones rurales de Bunyakiri, Mwenga, Walungu ou Shabunda (l’ancien quartier général de Padiri) où opèrent également les rebelles rwandais. D’autres factions maï maï sont présentes du côté du lac Tanganyika, entre Kamanyola, Uvira et Fizi notamment, région de prédilection des rebelles burundais.

Les anciens combattants congolais sont censés participer à un savant échafaudage civil et militaire dans lequel ils se retrouvent dans des positions hiérarchiques dictées par la logique du partage du pouvoir entre composantes. C’est ainsi que tel chef maï maï s’est vu confier l’administration d’un territoire jusque là contrôlé par son pire ennemi, le RCD, et que tel militaire RCD doit désormais obéir à son ennemi d’hier, dépêché par Kinshasa dans une région où le gradé pro-Kabila est chargé de diriger des troupes sous influence contraire. A ce pataquès, se superpose la question des groupes rebelles étrangers dont le départ reste suspendu au programme onusien de DDRRR (démobilisation, désarmement, réinsertion, réintégration voire rapatriement) sans cesse renvoyé à plus tard. En attendant, les militaires et miliciens de l’ancien régime rwandais en particulier contribuent à faire bouillir le chaudron de l’Est congolais, après avoir été le fer de lance de l’armée de Joseph Kabila, comme certains d’entre eux le revendiquent (avec leurs soldes jamais payées) aujourd’hui encore.

Jeu de dupes politico-militaire

Le jeu de dupes politico-militaire n’a pas cessé malgré le renforcement considérable de la Monuc dans la région. Depuis le 15 mars dernier, celle-ci a en effet commencé à déployer les 3 500 à 4 000 casques bleus de sa «Brigade des deux Kivu» basée à Bukavu et chargée de surveiller le Maniema ainsi que les Kivu Nord et Sud, dans le cadre du Chapitre VII de la charte du Conseil de sécurité qui autorise le recours à la force. Samedi, elle a perdu un homme, un observateur non armé qui s’était rendu à une cinquantaine de kilomètres de là, dans une zone où d’autres affrontements d’origine incertaine étaient signalés. Et la tâche s’annonce de plus en plus difficile. Les Congolais n’ont pas forcément besoin des Rwandais pour s’entredéchirer.

Le 28 mai, le ministre congolais des Affaires étrangères, Antoine Ghonda, a effectué une visite éclair à Kigali pour «lever tout malentendu» avec le gouvernement rwandais tandis que des réfugiés banyamulenge continuaient d’affluer dans la ville frontière rwandaise de Cyangugu, au sud du lac Kivu. Les affrontements de Bukavu constituent «un problème interne», assure le diplomate congolais, «c'est un problème de discipline pour lequel nous devons sanctionner» les responsables, ajoute-t-il, précisant qu’il entend «ne pas mêler le Rwanda» à cette affaire. Pour autant, son homologue rwandais, Charles Murigande, continue de s’inquiéter «des réfugiés qui fuient» le Congo et affluent au Rwanda, justement parce que leurs compatriotes les «traitent de Rwandais», ce que dénie le ministre Ghonda, rappelant que «c'est la mission du gouvernement de protéger tout le monde, y compris les Banyamulenge congolais».



par Monique  Mas

Article publié le 30/05/2004 Dernière mise à jour le 30/05/2004 à 16:16 TU