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Madagascar

Madagascar : le mystère des grenades

A plusieurs reprises, ce sont les intérêts proches du pouvoir qui ont été visés, parmi lesquels le groupe Tiko, fondé par le président actuel Marc Ravalomanana. 

		(Photo: AFP)
A plusieurs reprises, ce sont les intérêts proches du pouvoir qui ont été visés, parmi lesquels le groupe Tiko, fondé par le président actuel Marc Ravalomanana.
(Photo: AFP)
Plusieurs grandes villes de Madagascar ont été le théâtre d’explosions de grenades ces dernières semaines, faisant surtout des dégâts matériels. Ces actes n’ont pas été revendiqués. Sans céder à la panique, l’opinion publique s’interroge sur les auteurs de ces violences.

De notre correspondant à Antananarivo

Costume impeccable gris, comme ses cheveux, l’inspecteur général de police Lucien Razakanarina se veut rassurant. Entre deux bouffées de cigarettes, ce presque sexagénaire, ministre de la Sécurité publique répète depuis plusieurs jours que les explosions de grenades sont «des actes terroristes commis par des personnes mal-intentionnées, qui veulent faire croire que l’insécurité règne à Madagascar. Or ce n’est pas vrai.» Pourtant, une dizaine d’explosions en moins d’un mois, cela fait un peu désordre.

La première grenade a éclaté le 15 juin, à l’issue d’une manifestation d’ex-réservistes dans la capitale. Bilan: une trentaine de blessés. Sans doute s’agissait-il alors d’un acte isolé. Dix jours plus tard, à l’occasion des festivités de l’anniversaire de l’Indépendance malgache, des troubles surviennent dans des villes de province. A Tuléar (sud-ouest), une grenade est lancée durant le feu d’artifice, en direction de la tribune officielle, faisant une vingtaine de blessés parmi la foule. A Fianarantsoa (centre-sud), c’est le domicile d’un député de la majorité présidentielle qui est visé. Enfin à Majunga (nord-ouest), un assemblage de pétards explose à l’issue du défilé militaire, causant plus de peur que de mal. Après dix jours de répit, nouvelles détonations. Dans la nuit du 7 au 8 juillet, une grenade est lancée à Fianarantsoa, dans l’enceinte du magasin Magro, un établissement qui fait partie du groupe agro-alimentaire Tiko, fondé par l’actuel chef de l’État. La même nuit, un autre grenade explose au domicile du leader de l’opposition radicale, l’ancien président Albert Zafy. Dans la nuit du 8 au 9 juillet, c’est à Antsiranana (extrême nord) que deux détonations se font entendre, un cocktail Molotov devant le domicile d’un ancien responsable du parti présidentiel, et une grenade à proximité du campus universitaire. Violences également à Tuléar, avec deux grenades qui visent le domicile du directeur de cabinet d’un ministre et la propriété du directeur du magasin Magro. Enfin, un explosif est lancé dans la ville de Tamatave (est), dans la maison d’un général chargé de la sécurité du port. La grenade n’est pas dégoupillée.

Suite à ces violences, les autorités ont diligenté des enquêtes, «qui vont bientôt aboutir», promet le ministre de la Sécurité publique. Et puis, dans chacune des grandes villes du pays, les forces de l’ordre ont été déployés en nombre, pour prévenir de nouvelles explosions, mais aussi, peut être, pour rassurer.

L’opinion publique s’interroge

La population ne semble pas franchement traumatisée. Pour preuve, ce patron d’une célèbre boîte de nuit d’une ville côtière, qui confirme que la fréquentation de son établissement n’a pas diminué. Cette relative absence de psychose s’explique par le fait que les «attentats» semblent être ciblés, sur des personnes ou des intérêts précis. De plus, ces violences surviennent la nuit et ne cherchent visiblement pas à tuer.

Pour autant, beaucoup de mystère entoure ces explosions de grenade, notamment du fait de l’absence de revendications.

Première piste pour les enquêteurs: les grenades. D’où proviennent-elles ? «Plusieurs d’armes ont disparu dans la nature durant la crise politique de 2002», explique un colonel de gendarmerie sous couvert d’anonymat, qui ajoute que «différents groupes d’individus mal-intentionnés peuvent s’en servir». De son côté, l’ancien président Albert Zafy renvoie la responsabilité sur les autorités, notamment les militaires, «seules personnes susceptibles d’utiliser ce genre d’armes», selon lui.

Deuxième piste pour l’enquête: les cibles. A plusieurs reprises, ce sont les intérêts proches du pouvoir qui ont été visés. Intérêts économiques lorsque cela affecte le groupe Tiko fondé par le président actuel Marc Ravalomanana, et intérêts politiques lorsque l’explosion se produit par exemple chez le directeur de cabinet d’un ministre. D’où la réaction du pouvoir: «Ce sont des actes de déstabilisation». Faut-il alors y voir la marque d’éléments de l’opposition ? Réponse pas forcément évidente si l’on considère le fait que le chef de l’opposition, Albert Zafy, a lui-même été victime d’un «attentat».

Y aurait-il alors une part de bluff, de cinéma ? C’est une hypothèse qui revient fréquemment dans les discussions. Dans son éditorial de ce lundi, notre confrère de Midi Madagasikara s’interroge sur les auteurs de ces violences: «Parmi les politiques, certains y voient la main des adversaires du régime qui expriment tout simplement leur ras-le-bol. D’autres pensent que ces actes sont perpétrés par les tenants du pouvoir eux-même pour pouvoir réprimer l’opposition. D’autres encore expliquent que des étrangers pourraient être derrière ces coups qui poussent les uns et les autres à s’affronter».

En tout cas, les avis sont unanimes pour dire que Madagascar n’a pas besoin de cette effervescence. La population aspire au calme et au développement, après la période troublée de 2002. Et puis, cette impression de relatif désordre, si elle persistait, pourrait nuire à l’image de stabilité, revendiquée par les autorités, et voulue par l’immense majorité des Malgaches.



par Olivier  Péguy

Article publié le 12/07/2004 Dernière mise à jour le 12/07/2004 à 13:14 TU