Madagascar
Le «développement rapide» marque le pas
(Photo: AFP)
(Photo: AFP)
C’est l’hiver dans l’hémisphère sud. En quelques jours, la température dans la capitale a chuté. Une ambiance morose, mais une situation sociale qui s’échauffe. Mardi 15 juin, quelques centaines de réservistes se rassemblent dans la capitale. La manifestation turbulente est dispersée par les forces de l’ordre à coup de gaz lacrymogènes. Les accrochages font une vingtaine de blessés. Ce dossier des réservistes commence à être embarrassant pour les autorités. Depuis plusieurs mois, ces hommes se rappellent régulièrement au bon souvenir du président Marc Ravalomanana, qu’ils ont soutenu durant la crise politique de 2002. Et si aujourd’hui, ils sont officiellement démobilisés, ils aimeraient bien être mieux récompensés pour leur engagement d’alors. Or, les autorités disent avoir déjà fait le nécessaire. Ce mouvement de contestation s’ajoute à différents petits foyers de tensions, apparus ces dernières semaines. Dans les universités, des enseignants-chercheurs ont mené un mouvement de grève, pour réclamer une amélioration de leur statut. Les étudiants également se sont fait entendre, pour dénoncer l’augmentation des prix des transports urbains. Les syndicats de transporteurs justement ont entamé un bras-de-fer avec les autorités qui ont libéralisé le secteur. Et puis, il y a eu des mouvements de mécontentement chez certains fonctionnaires en province, chez certains magistrats. Et puis, il y a une population silencieuse qui continue de se serrer la ceinture, face à l’augmentation du coût de la vie.
Les autorités malgaches admettent que le pays traverse une mauvaise passe sur le plan économique. L’évolution du cours du pétrole sur le marché international a entraîné une hausse des prix des carburants. A cela s’ajoute la dépréciation importante de la monnaie nationale. En six mois, le franc malgache a perdu la moitié de sa valeur par rapport aux devises étrangères. Résultat: les prix à la consommation ont augmenté. Par ailleurs, la prometteuse mesure de détaxation permettant d’alléger les charges des investisseurs, adoptée en septembre 2003, vient d’être partiellement abrogée, n’ayant visiblement pas eu tous les effets escomptés.
«Soyez patients!»
Pour autant, les autorités ne cèdent pas à l’affolement. «Soyez patients!», exhorte régulièrement le chef de l’Etat à l’attention de la population. Pour alléger les difficultés des habitants les plus défavorisés, le Premier ministre a annoncé la mise en place, prochainement, d’un «filet de sécurité», autrement dit, une aide financière spéciale. Le gouvernement s’efforce d’éteindre un à un les foyers de tensions sociales. «La situation n’est pas facile, constate un diplomate en poste dans la capitale, il ne faudrait pas que le pouvoir en place soit obligé de jouer uniquement le rôle de pompier». Un autre ambassadeur rassure: «C’est vrai que le pays traverse une période difficile, mais les prévisions économiques à moyen et long terme n’ont rien d’alarmant. »
En dépit des passages des cyclones Elita et Gafilo en février et mars, la production agricole devrait être plus que suffisante. Les plantations de vanille, importante source de devises, n’ont quasiment pas été affectées. La saison touristique qui va commencer s’annonce prometteuse. Enfin, les projets de développement, dans les secteurs éducation, santé et infrastructures, ne sont pas remis en question du fait des difficultés économiques actuellement rencontrées. Le calendrier défini avec les bailleurs de fonds dans le Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) devrait être globalement respecté. La Banque mondiale prévoit d’ailleurs le déblocage d’une importante enveloppe financière, dans les prochaines semaines.
Deux ans après la difficile et douloureuse alternance politique, les partisans de Marc Ravalomanana mettent en avant la stabilité du régime. Le président de la République peut s’appuyer sur une nette majorité de son parti Tim («Tiako i Madagasikara», traduction: «J’aime Madagascar») à l’Assemblée nationale, ainsi qu’au niveau des élus locaux. Pour autant, la popularité du chef de l’Etat commence à s’effriter, du fait notamment des difficultés économiques du moment. Des difficultés liées en partie à la conjoncture internationale. «Bien sûr, la population garde espoir, explique un observateur indépendant, mais les gens savent que le "développement rapide et durable" promis par le président ne sera sans doute pas aussi rapide que ça!» En ordre très dispersée, l’opposition politique trouve dans les mouvements sociaux, une occasion de critiquer le pouvoir en place. Et de réclamer, pêle-mêle: la réconciliation nationale, un remaniement gouvernemental, voire un départ du président. Réponse d’un baron du régime: «On ne cèdera pas aux manœuvres de déstabilisation politique».
Cette agitation va sans doute connaître un relatif répit dans les tout prochains jours. Le 26 juin, ce sera la fête nationale. Et les Malgaches se préparent déjà à ces festivités. Pour oublier le reste ?
par Olivier Péguy
Article publié le 18/06/2004 Dernière mise à jour le 18/06/2004 à 09:24 TU