Madagascar
Le cyclone Gafilo et le naufrage du <i>Samson</i>
«Tout le pays doit s’unir et, ensemble, on doit porter le deuil de ceux qui ont perdu des proches». Propos recueillis ce dimanche matin à l’entrée d’un temple protestant de la capitale. Dimanche, jour du Seigneur, également «Journée de deuil national» décrétée par le président de la République, à la mémoire des victimes des cyclones Elita et Gafilo. En un mois, Madagascar a été ravagée par deux grosses tempêtes tropicales. La dernière, Gafilo, est considérée par les experts, comme une des plus puissantes et dévastatrices de ces dernières décennies. D’après un bilan officiel encore provisoire, on dénombre au moins 59 morts et plus d’une centaine de disparus. La solidarité nationale et internationale se manifeste depuis plusieurs jours pour venir en aide aux dizaines de milliers de sinistrés.
Le cyclone Gafilo a été meurtrier sur terre. Il l’a aussi été sur mer. Dans la nuit du 7 au 8 mars, un ferry comorien, Le Samson, a coulé au large de Mahajanga sur la côte nord-ouest de Madagascar. D’après le représentant local de l’armateur, le bateau transportait 92 passagers et 21 membres d’équipage. Certains observateurs, sous couvert d’anonymat laissent entendre qu’il y avait peut-être aussi des passagers non-officiellement déclarés. A ce jour, trois personnes ont survécu au drame. Leur témoignage permet aux enquêteurs de savoir un peu mieux ce qui s’est passé.
Le Samson assurait depuis 9 ans, une liaison régulière entre les Comores et Madagascar. Il a quitté son port d’attache, Moroni, le vendredi et a fait escale sur l’île d’Anjouan le samedi. Il aurait normalement dû rallier la ville de Mahajanga dans la soirée du dimanche. D’après les éléments rassemblés par RFI, sur la base des témoignages des survivants, du représentant de l’armateur, et des autorités portuaires, le ferry aurait été victime, en plus des conditions météo extrêmes dues au cyclone, de trois pannes de moteur. La troisième ne pouvant être réparée, le capitaine du bateau aurait demandé aux passagers de se mettre à l’abri. A ce moment, Le Samson se trouve à 150 km environ des côtes. Au port de Mahajanga, on réaffirme aujourd’hui que jamais on n’a reçu de message radio du ferry, indiquant que le bateau se serait trouvé en difficulté, à proximité et qu’il se serait vu refuser l’accès au port. Cette hypothèse, relayée à un moment par l’AFP, est catégoriquement rejetée par les autorités portuaires.
Trois miraculés
Il est donc 23 heures. La mer est déchaînée. Un passager, Ibrahim Aboud, Comorien, sent que la situation est critique. Il détache un canot de sauvetage de type Bombard, puis se jette à l’eau pour grimper dans l’embarcation. Une femme, Fatima, Comorienne également, tombe du Samson et parvient malgré tout à se hisser dans le canot. Un énorme paquet d’eau s’abat sur le ferry, le retourne. Le bateau coule à pic. Poussés par les courants, les deux rescapés échouent le lundi matin sur le littoral, à une trentaine de kilomètres au nord de Mahajanga. Leur survie est quasi-miraculeuse. Encore plus inespérée, celle du troisième rescapé, retrouvé vendredi, soit cinq jours après le naufrage. L’homme, Mohamed, a été repéré sur le littoral, à peu près au même endroit que pour les deux premiers rescapés. Rejeté par la mer en même temps qu’une dizaine de corps sans vie, il a été hospitalisé. Sauf nouveau miracle, les chances de retrouver d’autres survivants sont épuisées.
A Mahajanga, les proches des victimes sont sous le choc. La tristesse et l’indignation. Des sentiments manifestés également par les membres de la communauté comorienne à Antananarivo. «Pourquoi ce ferry a-t-il pris la mer, alors qu’un cyclone touchait la zone?», s’interroge un étudiant. «Pourquoi, depuis deux ans, les liaisons aériennes Moroni-Antananarivo ne sont plus assurées, obligeant Malgaches et Comoriens à faire la traversée en bateau, avec CE bateau plus que trentenaire?», ajoute un autre. «Ce dimanche, nous prions pour nos camarades disparus», explique un des responsables de la communauté. Mais le deuil n’empêche pas la colère. Plusieurs proches des victimes songent à lancer des poursuites judiciaires. De son côté, la gendarmerie de Mahajanga a déjà ouvert une enquête, et continue ses recherches pour récupérer d’éventuels corps, ou même des débris du ferry disparu.
Mahajanga aura payé en tout cas un lourd tribu, suite au passage de Gafilo. En plus du naufrage du Samson, un autre bateau a coulé. Quinze personnes se trouvaient à bord du chalutier Vega 9 quand il s’est retourné, dans la nuit du 7 au 8 mars. Seules quatre personnes ont été retrouvées vivantes jusqu’à ce jour. Cette région du nord-ouest de Madagascar avait déjà été durement éprouvée par le passage du précédent cyclone, Elita, il y a un peu plus d’un mois.
par Olivier Péguy
Article publié le 14/03/2004