Madagascar
Le Grand Sud malgache a faim et soif
La région du Grand Sud malgache est confrontée depuis plusieurs mois à de graves difficultés alimentaires, dues principalement à la sécheresse. Une situation appelée Kéré en malgache. L’aide alimentaire arrive au compte-gouttes.
De notre envoyé spécial dans le Grand Sud malgache
Madame Aova est une belle femme, fière, avec son pagne coloré, qu’elle porte élégamment. Elle a les traits fins. Ses lèvres rouges donnent l’impression qu’elle est maquillée. C’est en fait la couleur laissée par les figues de Barbarie. «A cause de la sécheresse, dit-elle, il n’y a pas de récolte. On n’a que les fruits des cactus à manger !» Nous sommes dans la région de l’Androy, tout au sud de Madagascar. Une région aride : du sable, du soleil et des cactus, qui servent d’aliments, aussi, pour les zébus.
Chef-lieu de la région, la ville d’Ambovombe. C’est ici qu’est implanté le bureau du Système d’alerte précoce (SAP), un organisme financé par l’Union européenne, et chargé de suivre la situation alimentaire dans la région. Derrière son ordinateur, Jean de Dieu Mbola, le chef du projet, explique, statistiques à l’appui : «On ne perd pas espoir. Il y a un peu de manioc et de patates douces… Un tout petit peu de récolte…» Un optimisme bien relatif. Sur le marché d’un petit village voisin, on trouve bien quelques maigres produits agricoles. Et comme les denrées sont rares, les prix ont donc augmenté. En temps normal, c’est pas Byzance, raconte Jérôme, un paysan, mais là, c’est vraiment la disette. «Cette année, c’est plus dur que les autres années. Il n’a plu qu’en janvier-février. Depuis, plus rien. S’il ne pleut pas, la période de soudure –période entre 2 saisons de récoltes, entre septembre et février–sera difficile !»
Ces prévisions alarmistes sont confirmées par Manassé Razafison, responsable du CGDIS, le Commissariat général pour le développement intégré du Sud. «Dans les prochains mois, prédit-il, les problèmes risquent de s’aggraver, sans l’intervention des organismes internationaux et de l’Etat». Mais voilà, nous sommes dans une région bien éloignée du pouvoir central. Cette région du Grand Sud malgache semble écartée de tous les projets de développement. Et ce, depuis des décennies. Fataliste, Solo, un habitant du village d’Ankorakosy, constate l’inertie des autorités dans la capitale : «Ces gens-là ne s’intéressent pas beaucoup à ce qui nous arrive ici. Eux, ils se plaisent dans leur bureau, leur voiture, leur maison en dur, et ils ne pensent pas qu’ici, des gens souffrent». Pour preuve de cette souffrance, il suffit de se rendre dans le centre de santé le plus proche, à Tsihombe. Depuis le mois d’avril, un Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle intensive (CRENI) y est opérationnel et a accueilli une cinquantaine d’enfants souffrant de malnutrition. Un des responsables du centre, le Dr Emilien Razafimandimby, égrène les caractéristiques médicales de la malnutrition («Indice poids/taille inférieur à 70, périmètre brachial inférieur à 110 mm»…) et les conséquences sur la santé des enfants («risque d’infections, de diarrhées, de paludisme»…). Froidement, il analyse : «Dans la région, les enfants n’ont pas d’aliments régulièrement, ni en qualité, ni en quantité». C’est une situation de Kéré, comme disent les Malgaches. Autrement dit, peu de récoltes, peu d’aliments, donc une population qui a faim.
Aides d’urgence et projets de développement
Pour faire face à cette situation, les organismes nationaux et internationaux essayent de se mobiliser, notamment le Programme alimentaire mondial (PAM), qui multiplie les appels à l’aide auprès des bailleurs de fonds depuis plusieurs mois. Cette agence des Nations-Unies a recours au système Vivres contre travail (VCT). Les villageois réalisent des travaux d’intérêt généraux (réhabilitation de pistes, creusement de bassins pour retenir l’eau…) et en échange, ils reçoivent une certaine quantité de vivres, du riz ou du maïs. «Chaque fois qu’il y a sécheresse, il y a dérèglement du système économique local, explique Achilson Randrianjafizanaka, un des responsables du bureau régional du PAM. Donc, Nous intervenons seulement durant la période de soudure pour apporter un complément alimentaire». Il s’agit ainsi d’une sorte d’assistanat bien compris : des programmes d’urgence conjugués à des actions de développement à long terme.
Cela dit, parler de développement dans cette région semble bien dérisoire. Voilà des décennies que l’Androy est confrontée régulièrement à des difficultés alimentaires. Ici, tout le monde a en mémoire la terrible famine de 1991-92. Et rien n’a vraiment changé depuis. Présent dans la région depuis 36 ans, le Père Fermine Maroto avance même que «certains ont intérêt à ce que cette situation perdure, afin de recevoir des aides nationales et internationales… (silence)… à se mettre dans la poche». Tous les acteurs sur le terrain sont unanimes pour dire qu’il n’y aura de développement ici que si : 1/ de grands travaux sont effectués pour approvisionner la région en eau (puits, pipe-line, voire usine de dessalement de l’eau de mer) ; 2/ les routes sont réhabilitées pour désenclaver la région ; 3/ la population a accès plus massivement à l’éducation de base. Bref, c’est l’espoir de sortir du sous-développement. Et le Père Maroto de conclure : «C’est un rêve que je formule pour dans 20 ans…»
Madame Aova est une belle femme, fière, avec son pagne coloré, qu’elle porte élégamment. Elle a les traits fins. Ses lèvres rouges donnent l’impression qu’elle est maquillée. C’est en fait la couleur laissée par les figues de Barbarie. «A cause de la sécheresse, dit-elle, il n’y a pas de récolte. On n’a que les fruits des cactus à manger !» Nous sommes dans la région de l’Androy, tout au sud de Madagascar. Une région aride : du sable, du soleil et des cactus, qui servent d’aliments, aussi, pour les zébus.
Chef-lieu de la région, la ville d’Ambovombe. C’est ici qu’est implanté le bureau du Système d’alerte précoce (SAP), un organisme financé par l’Union européenne, et chargé de suivre la situation alimentaire dans la région. Derrière son ordinateur, Jean de Dieu Mbola, le chef du projet, explique, statistiques à l’appui : «On ne perd pas espoir. Il y a un peu de manioc et de patates douces… Un tout petit peu de récolte…» Un optimisme bien relatif. Sur le marché d’un petit village voisin, on trouve bien quelques maigres produits agricoles. Et comme les denrées sont rares, les prix ont donc augmenté. En temps normal, c’est pas Byzance, raconte Jérôme, un paysan, mais là, c’est vraiment la disette. «Cette année, c’est plus dur que les autres années. Il n’a plu qu’en janvier-février. Depuis, plus rien. S’il ne pleut pas, la période de soudure –période entre 2 saisons de récoltes, entre septembre et février–sera difficile !»
Ces prévisions alarmistes sont confirmées par Manassé Razafison, responsable du CGDIS, le Commissariat général pour le développement intégré du Sud. «Dans les prochains mois, prédit-il, les problèmes risquent de s’aggraver, sans l’intervention des organismes internationaux et de l’Etat». Mais voilà, nous sommes dans une région bien éloignée du pouvoir central. Cette région du Grand Sud malgache semble écartée de tous les projets de développement. Et ce, depuis des décennies. Fataliste, Solo, un habitant du village d’Ankorakosy, constate l’inertie des autorités dans la capitale : «Ces gens-là ne s’intéressent pas beaucoup à ce qui nous arrive ici. Eux, ils se plaisent dans leur bureau, leur voiture, leur maison en dur, et ils ne pensent pas qu’ici, des gens souffrent». Pour preuve de cette souffrance, il suffit de se rendre dans le centre de santé le plus proche, à Tsihombe. Depuis le mois d’avril, un Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle intensive (CRENI) y est opérationnel et a accueilli une cinquantaine d’enfants souffrant de malnutrition. Un des responsables du centre, le Dr Emilien Razafimandimby, égrène les caractéristiques médicales de la malnutrition («Indice poids/taille inférieur à 70, périmètre brachial inférieur à 110 mm»…) et les conséquences sur la santé des enfants («risque d’infections, de diarrhées, de paludisme»…). Froidement, il analyse : «Dans la région, les enfants n’ont pas d’aliments régulièrement, ni en qualité, ni en quantité». C’est une situation de Kéré, comme disent les Malgaches. Autrement dit, peu de récoltes, peu d’aliments, donc une population qui a faim.
Aides d’urgence et projets de développement
Pour faire face à cette situation, les organismes nationaux et internationaux essayent de se mobiliser, notamment le Programme alimentaire mondial (PAM), qui multiplie les appels à l’aide auprès des bailleurs de fonds depuis plusieurs mois. Cette agence des Nations-Unies a recours au système Vivres contre travail (VCT). Les villageois réalisent des travaux d’intérêt généraux (réhabilitation de pistes, creusement de bassins pour retenir l’eau…) et en échange, ils reçoivent une certaine quantité de vivres, du riz ou du maïs. «Chaque fois qu’il y a sécheresse, il y a dérèglement du système économique local, explique Achilson Randrianjafizanaka, un des responsables du bureau régional du PAM. Donc, Nous intervenons seulement durant la période de soudure pour apporter un complément alimentaire». Il s’agit ainsi d’une sorte d’assistanat bien compris : des programmes d’urgence conjugués à des actions de développement à long terme.
Cela dit, parler de développement dans cette région semble bien dérisoire. Voilà des décennies que l’Androy est confrontée régulièrement à des difficultés alimentaires. Ici, tout le monde a en mémoire la terrible famine de 1991-92. Et rien n’a vraiment changé depuis. Présent dans la région depuis 36 ans, le Père Fermine Maroto avance même que «certains ont intérêt à ce que cette situation perdure, afin de recevoir des aides nationales et internationales… (silence)… à se mettre dans la poche». Tous les acteurs sur le terrain sont unanimes pour dire qu’il n’y aura de développement ici que si : 1/ de grands travaux sont effectués pour approvisionner la région en eau (puits, pipe-line, voire usine de dessalement de l’eau de mer) ; 2/ les routes sont réhabilitées pour désenclaver la région ; 3/ la population a accès plus massivement à l’éducation de base. Bref, c’est l’espoir de sortir du sous-développement. Et le Père Maroto de conclure : «C’est un rêve que je formule pour dans 20 ans…»
par Olivier Péguy
Article publié le 26/07/2003