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Madagascar

La Grande île lave plus blanc

A l'heure où le monde occidental mène une guerre financière contre l'argent du terrorisme, certains regards se tournent vers Madagascar. La Grande Ile n'est pas réputée pour la transparence dans ses transactions commerciales... un environnement propice à d'éventuelles opérations de blanchiment d'argent.
De notre correspondant à Madagascar

Il y a quelques jours, RFI lançait un pavé dans la mare: «Ben Laden utiliserait les importations de riz malgache pour blanchir ses dollars». Les Malgaches sont parmi les premiers consommateurs de riz au monde. En dépit des efforts pour améliorer les rendements des rizières, la production locale n'est pas susceptible de satisfaire toute la demande. En plus, l'insuffisance des infrastructures de communication sur la Grande Ile pose un problème d'acheminement des centres de productions vers les sites de consommation. Enfin, le riz malgache est considéré comme de moins bonne qualité que d'autres riz. Tout ceci explique le recours à l'importation de cette denrée. Avec un partenaire commercial traditionnel : le Pakistan.

Si on se fie aux statistiques des services douaniers, en 1999, 115 000 tonnes de riz ont été importées. Rien que pour le premier semestre 2001, ce chiffre atteint déjà 140 000 tonnes. Une croissance exponentielle pour le moins étonnante, d'autant que 2001 s'annonce comme une bonne année pour la production locale. Alors pourquoi toutes ces importations?

Autre interrogation, concernant les cours du marché. A en croire les chiffres des douanes, les prix d'importation à Madagascar, hors taxes, se sont effondrés (231 dollars par tonne en décembre 99, 159 dollars par tonne en septembre 2001), cassant ainsi le marché local, avec des prix de vente bien inférieur aux coûts de production.


Les valises de billets circulent sur le marché des pierres précieuses

Des importations étonnement élevées, écoulées à des prix étonnement basà de quoi éveiller la suspicion d'un éventuel mécanisme de blanchiment d'argent. «Ca ne tient pas debout», estime le président malgache. Interrogé par la presse suite aux révélations de RFI, Didier Ratsiraka avance une autre explication: «La loi de l'offre et de la demande joue. Les opérateurs en profitent. La belle affaire! Pour moi, ça n'est pas une question de blanchiment, c'est une question d'offre et de demande. Point.»

Mais que dire de l'identité des importateurs? «Il y a des Malgaches importateurs de riz», répond le président de la République. Certes, mais ce marché est aussi et surtout organisé à Madagascar par des commerçants d'origine indo-pakistanaise. Fait troublant: certains n'ont investi dans le riz que depuis quelques mois. Et ils importent du riz... pakistanais. 82 000 tonnes importés de ce pays rien que pour le premier semestre 2001. Le président malgache se ravise : «Admettons qu'il y ait 300 000 tonnes de riz. Ca ne fait même pas 60 millions de dollars. Qu'est-ce que c'est que 60 millions de dollars par rapport à l'argent de Ben Laden ? C'est des gouttelettes». Mais chacun sait que ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Plus approprié «ce sont les petites et nombreuses lessives qui font les grands ménages», commente le quotidien malgache L'Express, dans son éditorial, daté du jeudi 27 septembre.

Si Didier Ratsiraka minimise le blanchiment d'argent via les importations de riz, en revanche, il reconnaît qu'un autre paravent est susceptible d'être utilisé à des fins suspectes : les pierres précieuses. Le sous-sol malgache regorge de gisement d'émeraudes, de rubis et autres saphirs. Il y en a pour plusieurs milliards de dollars, estime un expert de la Banque Mondiale. Un de ses collègues du FMI est plus explicite: «C'est un produit facilement transportable, un canal privilégié, à Madagascar, pour des opérations de blanchiment d'argent».

Toute une économie parallèle semble s'être instaurée dans les sites miniers. Avec comme règle, la loi du plus fort. Ou plutôt, la loi du plus riche. Face à cette situation, le président de la République malgache affiche de louables intentions : «J'ai dit aux policiers et aux gendarmes : quand vous voyez des étrangers venir avec des valises d'argent malgache par centaines de millions sinon par milliards, il faut les arrêter. Demandez à ces gens-là où, quand et combien ils ont échangé de devises pour avoir cet argent malgache. S'ils ne peuvent pas justifier l'origine de tous ces billets, coffrez-les.»

Dans le contexte de la lutte contre l'argent sale, l'appel international lancé par le président malgache ressemble d'ailleurs à un aveu : «Aidez-nous on veut de l'argent propre.»



par Olivier  Péguy

Article publié le 29/09/2001