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Madagascar

Deux artistes dans la bataille

Entretien croisé avec deux artistes engagés chacun au côté de l’un des candidat à l’élection présidentielle. Rossy soutient Didier Ratsiraka tandis que Eusèbe Jaojoby est derrière Marc Ravalomanana. Nommé conseiller du président de la République en mai 2001, Rossy est un fidèle de Dider Ratsiraka mais il est aussi l’une des vedettes de la musique malgache. Eusèbe Jaojoby, surnommé «le roi du salegy» et sacré artiste de l’année en 1998 et 1999, bénéficie lui aussi d’une forte popularité mais l’ancien journaliste qui a changé de camp apporte aujourd’hui son soutien à Marc Ravalomanana, maire d’Antananarivo et rival de Didier Ratisraka.
RFI : Quels sentiments vous inspire la situation politique actuelle à Madagascar ?
Eusèbe Jaojoby : Elle m’attriste. Il n’y a pas de justice et cela me met en colère. Ceux qui soutiennent Ratsiraka sont en train de dire que c’est lui qui a été à l’origine de l’autonomie des provinces, c’est lui le père qui doit élever son enfant. Ils disent aussi que c’est lui le garant de l’unité nationale, que sans lui ce sera la guerre civile, le tribalisme, mais ce sont eux qui terrorisent les gens dans les provinces. Le tribalisme n’est plus d’actualité, les Malgaches s’aiment. Que tu descendes d’une lignée princière ou d’esclaves affranchis, que tu sois des hautes terres ou de la côte, tu es Malgache, tu as le droit de voter, d’être élu, de diriger ton pays. On est loin du temps des seigneurs, maintenant on est en république Il faut être démocrate, faire des élections transparentes, et quand il y a des doutes comme c’est le cas actuellement, faire une confrontation. Pourquoi se réfugier dans des lois que tu as toi-même tissées ? Pour moi, c’est de la malhonnêteté.
Rossy : C’est ridicule, et c’est la décadence de la classe politique malgache. La fin de la vrai politique et l’apologie du pognon. Ravalomanana n’a pas de parti. Tous ceux qui ont un parti sont battus. Donc il y a un problème. Mais les gens s’en foutent, ils votent pour celui qui a le plus de moyens, qui est le plus beau. C’est ça, la faillite de la classe politique. Ils n’ont pas éduqué les gens - je parle des deux bords -, ils les ont toujours pris pour des cons et maintenant qu’il faut réfléchir pour voter, ça se retourne contre tout le monde. En fait, c’est la même chose qu’en 1991 : ils veulent bloquer tout, ils savent que ça va coûter cher mais ils continuent pour avoir un gouvernement de transition. Mais ils se trompent car le pouvoir n’est plus centralisé à Tana, les cinq autres provinces peuvent maintenant gouverner sans la capitale. C’est une nouvelle donne. Ratsiraka a bien verrouillé son affaire. Je lui tire mon chapeau, il est génial. Je ne sais pas si c’est dans le bon ou le mauvais sens, mais on ne peut rien contre lui.

Avez-vous été surpris par les résultats obtenus par Marc Ravalomanana au premier tour ?
Eusèbe Jaojoby : Je m’attendais à ce qu’il l’emporte dès le premier tour. J’ai accompagné Marc Ravalomanana depuis le début de la campagne jusqu’à aujourd’hui, j’ai vu l’intérêt, le soutien, l’engouement des gens pour lui quand on faisait les meetings en province. Que ce soit à Tuléar, à Tamatave, à Diego Suarez. Tu entends, tu vois avec tes yeux que ce n’est pas seulement de la curiosité. D’ailleurs son score l’atteste. Je sais que la majeure partie du peuple malgache veut le changement, l’alternance. Beaucoup d’entre nous avons été déçus par les gens qui nous gouvernent depuis tant d’années et qui nous ont amenés là où nous en sommes actuellement. En 1970, j’avais quinze ans, et on ne vivait pas comme ça. On vivait beaucoup mieux. Il y a eu une nette dégradation du niveau de vie des Malgaches. J’ai été dans le camp de Ratsiraka pendant une vingtaine d’années : journaliste de l’État épousant la cause gauchiste des années 70. Jusqu’en 1998, j’ai servi ce régime. Et puis je me suis rendu compte que ces dirigeants ne sont pas les meilleurs. D’autres Malgaches peuvent faire mieux qu’eux.
Rossy : Je fais plein de spectacles et vu la manière dont il a abordé sa campagne, je m’attendais à cela. J’ai averti l’autre camp, mais ils n’ont pas fait ce qu’il fallait. Quant au « 13 mai » (l’endroit où se rassemblent chaque jour les partisans de Marc Ravalomanana à Antananarivo, NDLR), c’est une manif qui est réussie, ce n’est pas une grève générale, ce n’est pas une explosion sociale Il y a une habitude des fonctionnaires, de la ville pour ce lieu-là. C’est comme une salle de spectacle qui est mythique : chaque fois que tu fais quelque chose avec une bonne publicité, tu remplis. Ce n’est pas plus profond que ça. C’est vrai que certains en ont marre de Ratsiraka, c’est l’usure du pouvoir, c’est normal. Donc il fallait qu’il fasse le double de Ravalomanana pour avoir le cœur des gens. Il n’a pas fait de cadeau, il n’a pas distribué de pognon, il n’a pas donné de sous. Ravalomanana a tout fait. Et il est nouveau. Mais être à la tête de Madagascar, ce n’est pas comme diriger la mairie de Tana. Il a déjà démontré qu’il ne connaît pas les rouages de la société et qu’il ne comprend rien à la psychologie des gens. Il traite tout le monde comme ses ouvriers.



par Propos recueillis par Bertrand  Lavaine

Article publié le 19/02/2002