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Madagascar

Grève générale sur fond de crise politique

La crise politique se poursuit à Madagascar. Après l’annonce des résultats officiels, contestés par l’opposition, Marc Ravalomanana a lancé un mot d’ordre de grève générale qui est très largement suivi.
De notre correspondant à Madagascar

Lundi 28 janvier : 1er jour de grève générale. Des centaines de milliers de personnes se réunissent dans le centre-ville de la capitale. Ils sont près d’un million, selon les organisateurs. «On n’a jamais vu ça depuis l’Indépendance (en 1960, NDLR)» confie un des manifestants. Sur toutes les banderoles, un même slogan : «Non au 2ème tour». Et derrière ces banderoles, beaucoup de lycéens et d’étudiants –les cours sont suspendus–, des employés d’entreprises, des commerçants, des fonctionnaires venus des administrations et des entreprises publiques, et même des hommes et des femmes d’église. La ville est paralysée : les transporteurs suivent le mouvement de grève ; l’activité de l’aéroport d’Antananarivo est suspendue ; les services publics, assurés au minimum.

Pendant 5 heures, les manifestants défilent, sous le soleil et dans le calme. Les forces de l’ordre ne sont pas déployées. Le mouvement, depuis qu’il a commencé il y a quelques semaines, est assez structuré. D’ailleurs, c’est une demande en permanence réaffirmée par Marc Ravalomanana : qu’il n’y ait aucun débordement. Son autre exigence : continuer la mobilisation «jusqu’au bout, jusqu’à la victoire». A la tribune, le maire d’Antananarivo explique à ses partisans que «le pouvoir n’a plus la confiance des Malgaches. Et j’appelle l’armée, la gendarmerie et la police à venir défendre le peuple».

L’économie tourne au ralenti

Mardi 29 janvier : 2ème jour de grève générale. Quelques membres des forces de l’ordre ont répondu à l’appel de Marc Ravalomanana. Ils défilent en civil au milieu de tous les manifestants. La foule est encore plus nombreuse que la veille. Toujours les mêmes banderoles, toujours le même enthousiasme quand le leader de l’opposition fait son apparition. «Ravalomanana président», scandent les centaines de milliers de personnes rassemblées avenue de l’Indépendance. La grève est largement suivie dans la capitale. Et dans les villes de province, les habitants descendent aussi dans les rues. L’économie du pays tourne au ralenti. Ce qui commence à inquiéter certains opérateurs économiques qui évaluent entre 7 et 8 milliards de francs malgaches (entre 1,18 et 1,35 millions d’euros) la perte occasionnée chaque jour par la grève.

Mais contrairement aux jours précédents, Marc Ravalomanana entraîne la foule dans les rues de la capitale. Une partie des manifestants se regroupent devant le siège de la télévision nationale, l’autre partie devant la radio nationale. Objectif de l’opération : faire pression sur les journalistes du service public pour qu’ils «disent enfin la vérité», selon les explications données par un manifestant. L’enjeu est de taille : les media publics sont les seuls à couvrir l’ensemble du territoire. Et ils sont accusés de faire de la rétention d’information. Une petite délégation d’hommes politiques est autorisée à entrer dans l’enceinte des bâtiments. «Nous avons expliqué aux responsables de la radio et de la télévision que ce pays a besoin de démocratie, raconte à la sortie, Alain Ramaroson, membre du Comité de soutien de Marc Ravalomanana. C’est terminé la censure et toute la clique.» L’opposition obtient de ces media qu’ils assurent une couverture des manifestations de la Place du 13-Mai. Et pour s’en assurer, les membres du comité de soutien de Marc Ravalomanana promettent que les journalistes du secteur public pourront venir sans crainte participer aux défilés.

Mercredi 30 : 3ème jour de grève générale. Toujours sur la Place du 13-Mai. Toujours des centaines de milliers de personnes, parmi lesquelles, des représentants de la radio et de la télévision nationale. Toujours les mêmes revendications. Mais une question anime tous les esprits : que s’est-il passé avec le Père Ralibera ? Rémi Ralibera, est secrétaire général du FFKM, le conseil des Eglises chrétiennes de Madagascar. Le matin même, dans une interview accordée à RFI, il suggérait l’idée d’un deuxième tour, moyennant de sérieuses garanties pour la sincérité du scrutin. Ces propos ont suscité une vive réaction dans la capitale. Les 4 chefs des Eglises chrétiennes (catholique, réformée, luthérienne et anglicane) rédigent immédiatement un communiqué en forme de démenti. En substance : il ne peut y avoir de 2ème tour, puisqu’il n’y a pas eu de confrontation des documents électoraux au 1er tour. Et de réaffirmer l’exigence de «transparence» et de «vérité». Ce communiqué est lu devant la foule rassemblée sur la Place du 13-Mai. Et juste après, dans son discours, Marc Ravalomanana rejette lui aussi catégoriquement l’idée d’un second tour, toujours au nom du «respect du choix du peuple». Par la même occasion, le candidat de l’opposition remercie les 4 chefs d’Eglises pour leur déclaration, et implicitement pour leur soutien. Autre temps fort de cette matinée : Marc Ravalomanana se fait remettre symboliquement les clés de la Banque centrale de Madagascar. La plupart des employés de cette institution se sont joints au mouvement de grève. Tout comme le personnel des banques privées. La grève est largement suivie. «Et on ira jusqu’à la victoire finale», proclament les militants.

Plus discrètement, un touriste européen confie que «ça commence à être la galère». Depuis 3 jours, il est bloqué dans la capitale malgache. Son avion aurait dû décoller lundi matin. Mais en raison de la grève, le vol a été annulé, reporté à une date indéterminée. Ils sont des centaines à se retrouver dans cette situation, obligés de prolonger leur séjour sur la Grande Ile. Avec un problème de taille : comment retirer de l’argent quand toutes les banques sont fermées ? Certains ont les réserves suffisantes pour aller à l’hôtel. Les autres doivent se replier sur des campements de fortune aux abords de l’aéroport. Le Consulat général de France, en liaison avec le Ministère français des Affaires étrangères, a mis en place une cellule de crise à Antananarivo. Reste que ces touristes bloqués espèrent bien qu’une solution sera rapidement trouvée dans cette affaire politique malgache qui ne les concerne pas.



par Olivier  Péguy

Article publié le 31/01/2002