Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Madagascar

Tout se joue à la Haute Cour constitutionnelle

Les tensions post-électorales semblent s’apaiser, si l’on s’en tient à la décision du camp de Marc Ravalomanana de suspendre les manifestations dans la capitale. Mais la pression demeure, dans l’attente des résultats officiels du 1er tour. Les cartes sont entre les mains de la Haute cour constitutionnelle (HCC).
De notre correspondant à Madagascar

«En matière de consultation populaire directe, la Haute Cour constitutionnelle rend des arrêts. (…) Ils ne sont susceptibles d’aucun recours.» L’article 124 de la constitution est explicite : d’un point de vue légal, la Haute cour constitutionnelle (HCC) est la seule habilitée à proclamer les résultats officiels. Pour cela, elle dispose des procès-verbaux établis par les commissions de recensement matériel des votes réparties sur l’ensemble du territoire. La HCC est également l’institution juridique suprême chargée de statuer sur d’éventuelles requêtes déposées par des électeurs, des candidats, des délégués de candidats ou des observateurs. Autant dire qu’actuellement, la HCC est au cœur du débat post-électoral. A ce titre, elle fait l’objet de nombreuses pressions.

Tout d’abord, de la part de l’opinion publique, qui n’accorde que peu de crédit à cette institution. Certains ironisent en disant même que ‘HCC’ signifie «Habituée à Changer les Chiffres». En mars 1998, la presse s’était étonnée que les neuf magistrats de l’époque aient tous reçu une voiture neuve avant la proclamation des résultats officiels. C’était à l’occasion d’un référendum sur les provinces autonomes et le renforcement du pouvoir présidentiel. Le oui l’avait emporté. Aujourd’hui, une partie de la population aspire à changer ces pratiques. D’où les appels lancés par le camp de Marc Ravalomanana, en vue d’une réelle transparence au sein de la Haute cour constitutionnelle.

Certains responsables de la classe politique s’associent à cette pression sur la HCC. Voici quelques mois, Norbert Ratsirahonana, président du parti d’opposition AVI réclamait un renouvellement des membres de cette juridiction. D’une certaine manière, le président de la République lui a donné satisfaction. Le 24 novembre, la veille de l’ouverture de la campagne électorale, 9 magistrats prêtaient serment devant la constitution. En fait, ces 9 magistrats sont nommés par les autorités (président de la République, président du sénat, président de l’Assemblée nationale et Conseil supérieur de la Magistrature. Cf. article 119 de la constitution). Or, ces institutions étant tenues par des fidèles du chef de l’État, les magistrats nommés à la HCC sont aussi a-priori, des personnes proches du régime. Interrogé par RFI le 24 novembre, Honoré Rakotomanana, président du Sénat relativise : «les nouveaux membres viennent de prêter serment, expliquait-il alors. Je les engage à respecter leur serment, c’est-à-dire à ne décider que conformément à la constitution et conformément à leur conscience. J’estime que ces nouveaux membres garderont leur indépendance d’esprit.» Reste que fin décembre, soit quelques jours après le 1er tour, le parc automobile de la HCC a été renouvelé…

La bataille des procès-verbaux

Depuis le 16 décembre, on assiste à une bataille des chiffres. Comme à l’accoutumée, le ministère de l’Intérieur a procédé à la collecte des résultats, dans tous les bureaux de vote. Des résultats complets mais officieux, puisque seule la Haute cour constitutionnelle est autorisée à fournir des résultats officiels. Mais pour la première fois, l’opposition réunie autour du candidat Marc Ravalomanana a réalisé son propre décompte à partir de ses procès-verbaux, faisant apparaître des chiffres différents de ceux du ministère de l’Intérieur. Et dans le même temps, le consortium des observateurs a lui aussi collecté ses propres données, là-aussi à partir de ses procès-verbaux, et faisant apparaître là-aussi des résultats différents. C’est la raison pour laquelle, des voix se sont élevées pour réclamer une confrontation des procès-verbaux, c’est-à-dire une comparaison entre ceux établis par l’administration et ceux recueillis par les différents candidats et observateurs, le jour du scrutin. L’ancien Premier ministre et responsable d’un parti d’opposition, Norbert Ratsirahonana explique : «Nous avons des suspicions concernant l’ensemble des procès-verbaux qui ont été communiqué à la Haute cour constitutionnelle. Nous avons des doutes sur la véracité et sur l’authenticité des résultats qui sont contenus dans ces procès-verbaux reçus par la Haute cour constitutionnelle. Par conséquent, nous demandons à la HCC une confrontation générale de tous les procès-verbaux

Dans un communiqué récent, plusieurs ambassadeurs ont formulé le souhait d’une «interprétation commune des résultats», ce qui va un peu dans le même sens que la demande de confrontation des procès-verbaux. Et cela fait réagir Honoré Rakotomanana, le président du Sénat. «Cette procédure n’est prévue dans aucun texte du pays, ni dans la constitution, ni dans des lois organiques. Ca veut dire qu’on essaye de substituer une décision de compromis à une décision de justice, on essaye de substituer un pouvoir de compromis à un pouvoir de décision de la Haute cour constitutionnelle. C’est dangereux parce que ce serait violer l’État de droit

Les autorités restent intransigeantes sur la ligne légaliste. Le chef de l’État lui-même l’a rappelé lors de la cérémonie officielles des vœux, vendredi au palais présidentiel : «Nous avons adopté une constitution et des lois électorales à Madagascar. Qui peut oser aller contre ces lois ? s’est interrogé Didier Ratsiraka. Je m’en remets, moi citoyen Ratsiraka, à la sagesse de la Haute Cour constitutionnelle, juge électoral par excellence, tout en demandant à cette HCC d’accélérer autant que faire se peut, la publication des résultats.»

Cette position d’attente, c’est aussi celle adopter depuis vendredi par le camp de Marc Ravalomanana, qui a décidé de suspendre ses manifestations de rue, d’ici à la proclamation officielle des résultats. Mais de prévenir : «Si le résultat [proclamé par la Haute cour, NDLR] n'est pas conforme à nos attentes, nous nous retrouverons à nouveau Place du 13-Mai.»

Les cartes sont donc entre les mains des magistrats de la HCC. Officiellement pour se mettre à l’abri de toute pression, ces membres ont déménagé, laissant vide leur bâtiment en centre-ville de la capitale, pour s’installer dans un lieu protégé par l’armée. Un lieu tenu secret. En vertu du code électoral, les magistrats de la Haute cour constitutionnelle ont jusqu’au 28 janvier pour rendre publics les résultats tant attendus.



par Olivier  Péguy

Article publié le 14/01/2002