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Madagascar

Chronique d'une faillite annoncée

Air Madagascar vit au rythme des événements politiques sur la Grande île. La confusion actuelle met son existence en péril. Direction bicéphale, blocages de toute sorte, surendettement, et perte de crédibilité auprès des partenaires étrangers, la faillite semble imminente.
Suspensions de vols vers l'étranger, appareil cloué au sol pour non-paiement de la location, grève du personnel dans les services de maintenance… Air Madagascar continue sa descente aux enfers avec des pertes de clientèle avoisinant les 70% au départ de Paris. Les demandes de remboursement pour annulation de réservations se multiplient. Les partenaires de la compagnie s'inquiètent. La plupart des créanciers, dont Air France et la société de leasing de Boeing, s'impatientent devant les impayés. On parle d'une dette de 10 millions d'euros. Les employés s'interrogent sur leur avenir immédiat. Tout le monde s'accorde pour annoncer une faillite imminente, une situation encore aggravée par l’existence de deux directions concurrentes. Un administrateur délégué a été nommé en lieu et place de l'ancien directeur général. Ce dernier ayant refusé de reconnaître la décision, la société se retrouve dans la même situation que le pays, avec deux responsables à sa tête.

Nommé par l’équipe de Ravolomanana et soutenu par les actionnaires, Roland Ranjatoelina, le nouveau venu, semble avoir les pleins pouvoirs. Les administrateurs représentants l'État au sein de la compagnie vont théoriquement être tous remplacés pour lui faciliter la tâche. Les vols doivent reprendre durant cette première quinzaine du mois de mai, malgré une décision prise hâtivement au 2 avril d'arrêter l'exploitation. Le conseil d'administration doit être renouvelé. Mais James Andrianalisoa, l'ancien directeur général, proche du camp Ratsiraka, persiste à se vouloir seul chef à bord. Il a la confiance de certains partenaires. Des banques, des fournisseurs également, ainsi que des compagnies locataires d'appareils, pour qui il a été le principal interlocuteur depuis le début de la crise. La politisation manifeste du dossier risque de mettre en cause la crédibilité de Air Madagascar sur un plan international.

Une crise qui coûte 100 000 euros par jour

En attendant de solutionner ce problème, entrer et sortir de l'île est devenu un exercice plus que difficile. Nombreux sont les Malgaches qui souhaitent se rendre à l’étranger sans succès. Les employés rassurent tant bien que mal les voyageurs frustrés de ne pouvoir partir. Les clients ayant réservé demandent à être remboursés. La date fixée pour la reprise des vols au départ de la France, grande pourvoyeuse de voyageurs pour l'île rouge, n'a pas été honorée. L'espoir d'une reprise de l'activité n'est cependant pas perdu. Depuis janvier, chaque jour de prolongement de cette crise coûte d’après le conseil d’administration près de 100.000 euros en frais fixes non compressibles. Certains responsables insistent même sur les pertes d'argent ou sur les manques à gagner pour accélérer le mouvement. «Nos partenaires sont encore là, nous explique un membre de l'équipe parisienne d'Air Madagascar, mais la question est de savoir avec qui ils vont travailler». Selon lui, la conjoncture était favorable après la crise du 11 septembre denier. Il y aurait eu un engouement pour l'océan Indien, sur lequel la compagnie n'a pas su surfer. «Nous avons eu 92% de taux d'occupation, suite à ce qui s'est passé à New York. Le phénomène devait se répéter en février et mars». Mais la compagnie, à l'instar du pays, se retrouve bloquée dans son fonctionnement.

Si la question du bicéphalisme parvenait à être réglée, la compagnie n'en aurait pas pour autant terminé avec les difficultés. Les créances à payer sont énormes. Une renégociation de la dette s’impose afin de «limiter la casse», comme nous l’a confié un responsable. Mais il faudra «réinjecter de l'argent frais pour pouvoir repartir sur de bonnes bases. Une réduction de voilure est à prévoir», durant une certaine période du moins. Le tourisme local devra se refaire une beauté pour attirer à nouveau les devises étrangères. Reste à savoir si la confiance revenue, les instances financières internationales, qui ont planché il y a deux ans sur une privatisation de la compagnie, accepteront de financer le plan de restructuration nécessaire au redémarrage. Il fut un temps où Air Madagascar était considérée comme l'une des compagnies nationales les plus sérieuses du Sud.

En même temps, la concurrence est rude. Air France, qui a pourtant rapatrié son personnel en poste à Tana en février dernier, ne cache pas sa volonté de mettre la main sur ce marché. Dans un premier temps, la compagnie française avait négocié le partage de la moitié des sièges sur les vols d'Air Madagascar, tout en réclamant le paiement de ses créances. Présente dans le capital d'Air Austral à hauteur de 36%, partenaire de Air Seychelles sur certaines dessertes, dont les Comores, Air France voudrait bien contrôler le ciel des îles du sud-ouest de l'océan Indien. Une option est d'ailleurs prise par elle sur l'ouverture prochaine d'une desserte Paris-Mayotte-Paris. Dans ce contexte, la faillite d'Air Madagascar, l'une des compagnies les plus importantes de la région, annonce une redistribution possible des cartes. Une autre possibilité existe pour les concurrents comme Air France. Il s'agirait de rentrer dans le capital de la compagnie. Pour l’heure, aucune perspective de sortie de crise n’est nettement établie. Il faudra sûrement attendre la fin des hostilités entre les clans Ravolomanana et Ratsiraka pour rassurer les 1200 employés sous pression.



par Soeuf  Elbadawi

Article publié le 20/05/2002