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Madagascar

Menaces sur l’unité nationale

La crise politique se poursuit à Madagascar, plus de quatre mois après l’élection présidentielle. Et pourtant, Marc Ravalomanana a été déclaré vainqueur du scrutin au 1er tour, par la Haute Cour constitutionnelle. Mais le camp adverse, de Didier Ratsiraka ne l’entend pas ainsi, et fait sécession en province. L’actuelle mission de l’OUA, venue aider à la réconciliation nationale, paraît bien délicate.
De notre correspondant à Madagascar

Ambovombe est une petite ville tout au sud de Madagascar, dans la province de Toliara. La population a appris jeudi que le gouverneur, à 300 kilomètres de là, avait proclamé l’indépendance de la province, en réponse à la décision de la Haute cour constitutionnelle. Cette déclaration d’indépendance mettra sans doute plusieurs jours encore pour atteindre les villages les plus reculés. Et quand elle arrivera, cette nouvelle, il n’est pas certain qu’elle fasse l’effet d’un séisme, tant les préoccupations au fin fond de la brousse, sont éloignées des décisions politiciennes. La région d’Ambovombe est peut être une des régions les plus pauvres de Madagascar. «Ici, c’est simple, explique un religieux, il n’y a rien. Même pas la pluie.» Et ce constat vaut pour presque toute la province de Toliara. D’où l’interrogation de certains sur l’intérêt de faire sécession. Et le religieux de conclure : «cette décision du gouverneur, c’est peut être bon pour lui, mais ce n’est pas bon pour les Malgaches.»

La population a beau s’interroger, cela n’arrête pas la démarche indépendantiste. Les gouverneurs des 4 provinces sécessionnistes (Antsiranana, Toamasina, Toliara et Mahajanga), assistés d’experts et d’élus locaux, sont en train d’élaborer les textes politico-juridiques de leur «Confédération des États Indépendants». Autrement dit, ils élaborent une constitution. Vraisemblablement, ils s’inspirent des prérogatives dont jouissent les gouverneurs depuis la mise en place de provinces autonomes. D’après la Constitution de la République, révisée en 1998, les gouverneurs dirigent l’administration locale, gèrent leur propre budget. Et depuis le décret du 22 février 2002, portant proclamation de l’état de nécessité nationale, les gouverneurs disposent d’un large pouvoir policier.

En fait le processus de décentralisation, initié depuis quelques années, connaît actuellement un gros coup d’accélérateur. Simplement, les transferts de compétences et de moyens n’ont pas été achevés. Alors, pour les questions financières, par exemple, certains gouverneurs ou leurs hommes de main, prélèvent des impôts locaux parfois de manière arbitraire. Dans la province d’Antsiranana, et plus précisément à Nosy Be, des habitants dénoncent un racket organisé. «Les gouverneurs jouent à leur petit chef», avoue un homme de Toliara, sous couvert d’anonymat. L’indépendance des provinces ? Ils sont peu nombreux à y croire sérieusement.

Une population dubitative

Dans la capitale également, la population est dubitative. «Madagascar est une île, constate un chauffeur de taxi. Il ne peut pas y avoir plusieurs pays sur cette île.» en fait, pour les habitants d’Antananarivo, il n’y a qu’un président pour tous les Malgaches, c’est Marc Ravalomanana. Il a été proclamé vainqueur de l’élection présidentielle, et il sera officiellement investi lundi. La journée a été décrétée fériée et chômée. Cette prestation de serment aurait du avoir lieu ce vendredi, mais elle a été reportée, à la demande des médiateurs africains qui suivent le dossier malgache, et qui voulaient ne pas précipiter les choses. Dans le camp Ravalomanana, on estime avoir donné satisfaction à l’OUA (l’Organisation de l’unité africaine, qui a diligenté à Madagascar, la délégation de médiateurs).

Ce vendredi, Marc Ravalomanana a apporté un autre gage de bonne volonté, en manifestant son intention de mettre en place un gouvernement «pour réconcilier les Malgaches», comme l’expliquent ses conseillers dans un communiqué. Dans ce même communiqué, le nouveau président élu se dit prêt à organiser une consultation électorale, sans pour autant préciser ni la forme, ni la date. En fait, dans le camp Ravalomanana, on dit s’attacher à l’esprit de l’accord signé à Dakar le 18 avril dernier. Un accord prévu théoriquement pour sortir de la crise et pour arriver à une réconciliation nationale. «La balle est maintenant dans le camp Ratsiraka», analyse un observateur étranger.

Dans le camp Ratsiraka, justement, le ton reste ferme. «Comment Marc Ravalomanana veut-il réconcilier les Malgaches, alors qu’il ne tient pas compte de la communauté internationale et notamment de l’OUA ?», s’interroge un des gouverneurs sécessionnistes, en référence à un accord verbal qui aurait conclu au Sénégal. Et ce vendredi soir, dans un communiqué, ces gouverneurs ont dénoncé purement et simplement l’accord de Dakar et confirmé l’indépendance de leurs provinces. Et des barrages continuent d’entraver la circulation dans le pays. Et des ponts continuent à être dynamités… autant d’actes supposés orchestrés par le camp Ratsiraka.

La délégation des médiateurs africains, conduite par le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheick Tidiane Gadio, est arrivée ce jeudi à Madagascar, pour des rencontres avec les deux protagonistes, Didier Ratsiraka d’abord, puis Marc Ravalomanana. Cette mission de bons offices semble bien délicate. Les médiateurs sont là pour essayer de sauver de l’accord de Dakar, ce qui peut encore être sauvé. Mais comme dans chaque camp, il y a toujours une lecture différente de cet accord, la marge de manœuvre des diplomates est plutôt réduite.

En tout cas, dans la capitale Antananarivo, beaucoup pensent que c’est au camp Ratsiraka de faire preuve de bonne volonté, en respectant ce qui a été signé à Dakar, et ce qui en a découlé. Et la population s’impatiente pour que l’OUA œuvre dans ce sens. Aux yeux de cette dame âgée, «c’est la crédibilité de la communauté internationale qui est en jeu



par Olivier  Péguy

Article publié le 04/05/2002