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Madagascar

Affrontements violents à Fianarantsoa

La crise politique à Madagascar s’enlise. Les blocages administratifs, politiques et économiques cèdent progressivement le pas à des affrontements physiques entre les deux camps, notamment à Fianarantsoa (centre) où cinq soldats ont été tués samedi matin par des partisans de Ravalomanana. De part et d’autre on cherche à toucher de l’intérieur le système mis en place par l’adversaire en organisant des attaques et arrestations ciblées. Les médiateurs internationaux craignent des dérapages vers une guerre civile.
La tension est montée d’un cran sur la grande île depuis la mort en quelques jours de militants des deux parties. La légendaire retenue des Malgaches, dont les deux camps se vantaient n’est plus de rigueur. Les partisans de Didier Ratsiraka convaincus de détruire le régime Ravalomanana par l’asphyxie maintiennent les barrages sur les routes et détruisent les ponts qui conduisent à la capitale. La réponse des partisans de Ravalomanana est de déloger les fidèles de Ratsiraka qui vivent encore à Antananarivo. Marc Ravalomanana avait lui-même appelé la population et les forces de l’ordre à «pourchasser les ennemis du peuple» qui organisent le blocus de la capitale. La réaction des militants a été naturellement d’aller à l’assaut des barrages ou en conduisant de véritables expéditions contre les demeures des dignitaires de l’ancien régime. Un jeune militant du camp Ravalomamana a été tué par des militaires qui protégeaient l’une des maisons.

Face à cette implication de l’armée, qui jusque là gardait une certaine distance, malgré les ralliements en faveur de l’un où l’autre camp, quelques officiers supérieurs sont sortis de leur réserve pour engager une mission de médiation entre les «deux présidents rivaux». «Nous sommes légalistes, pas derrière un dirigeant, mais derrière la loi et ses valeurs républicaines» a déclaré le général Rajaonson, le chef d’état-major adjoint des armées. Bien que respectant la hiérarchie il rejette l’idée d’ordonner l’ouverture du feu sur des populations civiles même si ses supérieurs le lui demandaient. Deux autres généraux, Olaf Zafitsiarendrika et Alban Rabarisoa Ririva le rejoignent pour défendre une place de neutralité de l’armée dans ce conflit politique. Tout en demandant au président Ratsiraka de faire lever les barrages et en signifiant au «président» Ravalomanana qu’ils ne reconnaissaient pas son «auto-proclamation», ils ont aussi avoué «qu’il manque aux deux présidents rivaux la tolérance nécessaire pour se rencontrer et dénouer la crise pour le bien du peuple malgache».

L’armée attend de voir

L’autorité des deux hommes se cantonne à leur zone respective d’influence : Antananarivo pour l’un et la province pour l’autre. Selon les officiers supérieurs la résolution de la crise ne peut être que politique, mais ils n’excluent pas non plus, qu’un jour où l’autre l’armée prenne ses responsabilités pour défendre l’unité du pays. C’est pour éviter cette ultime éventualité que les deux camps rivaux cherchent à porter un coup décisif et fatal dans les structures de l’adversaire. Aussi les services de la nouvelle présidence à Antananarivo ont-ils lancé des mandats d’arrêt contre certains partisans, réputés «très durs» de Didier Ratsiraka, parmi lesquels sa propre fille, Sophie Ratsiraka. Selon les pro-Ravalomanana, un ancien policier, rugbyman et fidèle de Didier Ratsiraka, Rolanad Ravalomaso aurait projeté, avec d’autres complices d’enlever le «Premier ministre», Jacques Sylla, dans un hôtel où il devait rencontrer une délégation de la Réunion. Les agents du gouvernement bis ont procédé à son arrestation dans ledit hôtel le 10 avril, mais il serait décédé dans la soirée, des suites d’un traumatisme crânien dont il aurait été victime. Embarrassé le «gouvernement» Ravalomanana ordonne une enquête.

Après la prise des ministères et le contrôle de la plupart des attributs de l’Etat, dans la capitale, l’équipe Ravalomanana engage la deuxième phase de sa stratégie de contrôle total du pouvoir. Placer les provinces sous son autorité directe alors que leurs gouverneurs ont fait allégeance à Didier Ratsiraka, toujours retranché dans son fief de Taomasina, le plus important port du pays qui donne son nom à la province de l’est. Il est aussi vital pour le pouvoir installé à Antananarivo de casser le blocus organisé par les gouverneurs des cinq provinces qui entourent la capitale enclavée au centre de l’île.

La recherche de la façade maritime qui devrait favoriser l’approvisionnement de la capitale, a poussé le pouvoir Ravalomanana à prendre Fianarantsoa, la troisième du pays, à 400 kilomètres au sud d’Antananarivo, sur la route des ports de Manakara et de Mananjary. Mais le gouverneur nommé par Didier Ratsiraka refuse d’abandonner son pouvoir, ce qui a conduit à une confrontation armée engagée le 12 avril entre des soldats ralliés à Marc Ravalomanana et ceux restés fidèles à Didier Ratsiraka. Samedi matin cinq militaires ont été tués et dix-huit blessés à Fianarantsoa, dans une embuscade dressée par des partisans du président auto-proclamé Marc Ravalomanana : les victimes faisaient partie d'un convoi destiné à renforcer la défense du palais du gouverneur fidèle au président sortant Didier Ratsiraka.

L’engrenage de la violence inquiète les voisins de l’Océan indien, l’Organisation de l’unité africaine (OUA), et la France qui réagit officiellement par un communiqué du ministère des Affaires étrangères. Elle s’inquiète des «graves conséquences économiques et sociales, mais également humanitaires, des barrages et des destructions d’infrastructures, qui mettent en péril l’économie et l’unité du pays». La France appuie les initiatives de la Commission de l’Océan indien qui travaille avec l’OUA pour trouver une solution à la crise politique à Madagascar. Amara Essy, le secrétaire général de l’OUA a informé les instances de l’ONU et
du Commonwealth de l’état d’avancement de ses propositions qui consistent à mettre en place un gouvernement de réconciliation nationale. Abdoulaye Wade, le président sénégalais se fend aussi d’une invitation aux deux protagonistes à se rendre à Dakar, afin de discuter avec les autres chefs d’Etats africains qui s’y retrouveront, dès la semaine prochaine, pour évoquer le NEPAD, le Nouveau partenariat pour le développement en Afrique. «Deux hommes, par leurs ambitions et parce qu’ils n’arrivent pas à trouver des règles du jeu pour les départager, en viennent à détruire un pays» a t-il déclaré.

En marge de ces tractations internationales pour un règlement à l’amiable, de nouveaux éléments apparaissent dans le dossier politique malgache. La cour suprême de Madagascar a invalidé le 10 avril, la nomination de six des neuf membres de la Haute cour constitutionnelle, qui avait proclamé les résultats officiels de l’élection présidentielle. L’opposition malgache avait émis des réserves sur le renouvellement de la HCC, le 22 novembre 2001, à trois jours seulement de l’ouverture officielle de la campagne électorale. L’invalidation des nominations est une décision politique lourde de sens. Elle soulève de nombreuses interrogations qui peuvent remettre en cause tout le processus électoral. Cette annulation remet-elle en cause les résultats proclamés par la HCC, qui donnaient à Marc Ravalomanana 46,21% des suffrages contre 40,89% à Didier Ratsiraka ? Marc Ravalomanana avait contesté ces chiffres, estimant avoir remporté l’élection présidentielle dès le premier tour. Ses partisans et lui pensent que ces «nominations tardives» ont fait le jeu du pouvoir sortant.



par Didier  Samson

Article publié le 13/04/2002