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Madagascar

A qui le pouvoir ?

La politique est à double sens à Madagascar, tirée par des forces opposées. Elles évaluent aujourd’hui leur impact au nombre des fidèles que compte chaque camp. Les uns et les autres s’évitent pour éviter la confrontation armée, pendant que deux généraux se disputent un fauteuil au ministère de la Défense.
«C’est irréversible, mais cela peut prendre du temps» commente un expert étranger, en poste à Antananarivo, cité par l’AFP, parlant de la prise de pouvoir par Marc Ravalomanana. Sans précipitation, le président auto-proclamé prend le contrôle effectif de l’appareil de l’Etat. Ses ministres ont tour à tour été installés selon un scénario bien huilé, sans confrontation directe avec les forces de l’ordre en faction devant les bâtiments publics. La foule des partisans qui se porte caution de la prise de pouvoir, revendiquant la légitimité et la souveraineté du peuple, a surtout profité de la passivité des soldats censés faire respecter la «loi martiale» en principe en vigueur dans la capitale.

Ce comportement des soldats a rapidement été interprété par le camp Ravalomanana comme une prise de position claire. Il lui fallait donc transformer l’essai en «validant» ce capital-sympathie par des ralliements francs et massifs. Marc Ravalomanana et son Premier ministre Jacques Sylla ont mené des négociations fermes, pour convaincre les officiers supérieurs de choisir «l’avenir qu’ils représentent». Ces arguments ont fait mouche puisque plusieurs dizaines de généraux ont reconnu publiquement le pouvoir. Ce n’est qu’après ce constat que Marc Ravalomanana a autorisé l’installation du ministre de la Défense. Ce ministère classé «zone rouge», fortement gardé par l’armée, a pourtant été investi sans encombre, le 8 mars par un nouveau locataire, le général Jules Mamizara, ministre de la Défense du gouvernement Sylla.

Le général Marcel Ranjeva, ministre de la Défense, a donné dès le lendemain sa démission du gouvernement Ratsiraka et a été rapidement remplacé le général Jean-Paul Bory, ancien secrétaire d’Etat à la gendarmerie. Le 11 mars au matin, le camp du président Ratsiraka manifestait une résistance à l’installation «pacifique» des adversaires. Les soldats en faction devant le ministère de la Défense ont refusé l’entrée au «nouveau» ministre qui allait à son bureau. La réaction a été immédiate de la part des officiers et sous-officiers pro-Ravalomanana qui se sont à leur tour regroupés pour empêcher l’entrée annoncée du ministre de la Défense nommé par Didier Ratsiraka. Ils étaient plus d’une centaine, en uniforme mais non armés, face à une vingtaine de soldats pro-Ratsiraka en armes.

Montrer que la nouvelle équipe est déjà au travail

Ce premier accroc dans la prise des ministères par les partisans de Marc Ravalomanana a eu pour effet de remobiliser les troupes de l’opposition qui se sont retrouvées place du 13 mai en attendant des instructions. Les leaders ont appelé à la non-violence et ont beaucoup parlé des points marqués sur le terrain. La réouverture des stations de radio et de télévision publiques a été présentée comme un acte majeur du «nouveau pouvoir» assurant la liberté d’expression et d’opinion. Le pouvoir Ravalomanana a également profité de cette tribune pour annoncer à la foule quelques priorités décidées lors du premier conseil des ministres du «nouveau gouvernement». L’aménagement des programmes scolaires et universitaires pour une reprise prochaine des cours, la levée des barrages sur les routes nationales, pour une relance l’économie et le démenti d’une rumeur selon laquelle l’eau courante à Antananarivo aurait été empoisonnée, ont été salués par la population.

Ces annonces publiques qui ont pour but de rassurer les populations répondent aussi à une intention, celle de montrer que le pays est gouverné et qu’une équipe est déjà au travail. Cela étant, la grève générale lancée depuis le 28 janvier, n’est toujours pas levée et la reprise du travail reste encore timide. Les pro-Ravalomanana hésitent encore à décréter la fin effective du mouvement de grève car une grande incertitude plane toujours sur l’évolution institutionnelle et politique du pays. Cinq gouverneurs de provinces ont fait allégeance à Didier Ratsiraka, alors que les populations ne leur sont pas partout acquises. Ils ont engagé un blocus d’Antananarivo, fief de Ravalomanana, faisant même de Tamatave, grand centre portuaire et fief de Ratsiraka, la capitale de leurs provinces regroupées.

Cette sécession qui ne dit pas son nom est condamnée par un collectif de députés de l’Assemblée nationale, toutes tendances confondues. Ils entendent bientôt déposer une plainte auprès du procureur de la république pour violation de la constitution et attendent par ailleurs la condamnation par la communauté internationale de cet acte. La mission de l’OUA a été interpellée sur la question mais elle reste silencieuse. Elle se contente tout simplement de dire qu’elle renoue les files du dialogue rompus entre les «frères malgaches». Mais selon des observateurs, la mission de l’OUA travaillerait plutôt à négocier une sortie honorable du président Ratsiraka.



par Didier  Samson

Article publié le 11/03/2002