Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Madagascar

Le pire n’est pas sûr

Alors que la loi martiale reste en partie ignorée par les habitants de la capitale malgache, Marc Ravalomanana nomme un «gouvernement». Pendant ce temps on négocie en coulisse.
«La loi martiale ne nous concerne pas, nous ne sommes pas inquiets». Ces quelques mots de Marc Ravalomanana témoignent de l’ambiance qui prévaut dans la capitale malgache. «Etat de nécessité nationale, (état d’urgence), couvre-feu, loi martiale», sont des mots qui semblent totalement inconnus dans le vocabulaire du commun des Tananariviens. Détachés de ces termes de guerre, des milliers d’habitants de la capitale, ont bravé les restrictions exceptionnelles que prévoient, en principe, les dispositions prises par le pouvoir Ratsiraka. La plus élémentaire étant l’interdiction d’attroupement. Mais la place du 13 mai a connu son animation «normale», même au lendemain du décret instaurant la loi martiale. Les militants pro-Ravalomanana y ont manifesté à nouveau leur soutien à leur leader, qui selon eux, doit légitimement occuper le fauteuil présidentiel malgache.

A quoi sert la loi martiale? Question que se posent les manifestants qui ne remarquent aucun déploiement, ni des forces de police, ni d’unités de l’armée. «Nous n’avons pas peur de l’armée, ce sont des membres de notre famille, ce sont nos frères», déclare Marc Ravalomanana qui est persuadé que l’armée a déjà «choisi son camp». Il s’en convainc d’autant plus que le nouveau gouverneur militaire d’Antananarivo, désigné par le président Ratsiraka, le général Léon-Claude Raveloarison, n’a pas pris la voie de la répression, comme l’y autorise l’application de la loi mariale. «J’entends d’abord privilégier la négociation, mon premier souci n’est pas d’aller à l’affrontement, mais de négocier» a-t-il déclaré, lors d’une conférence de presse, peu après sa nomination. Le gouvernement militaire s’est fait médiateur en annonçant, par ailleurs, avoir établi des contacts avec et entre les deux parties en conflit.

Une solution «à la malgache»

Ces contacts paraissent primordiaux, au moment où Marc Ravalomanana brave la loi martiale en acceptant la liste du gouvernement que lui soumet son «Premier ministre», Jacques Sylla. Au nombre de dix-sept ministres, le gouvernement compte dans ses rangs une femme, Alice Rajoaonah, qui hérite du ministère de la Justice. Deux portefeuilles restent néanmoins non attribuées : la Défense et les Affaires étrangères. Dans le contexte actuel Marc Ravalomanana retarde la nomination des titulaires de ses portefeuilles parce que des tractations se poursuivraient encore dans son «QG» de l’hôtel de ville d’Antananarivo rebaptisé «palais présidentiel d’Ambohitsirohitra» par ses supporters. La Défense devrait être confiée à un militaire qui fait l’unanimité dans l’armée et les Affaires étrangères à une personnalité qui jouit d’une grande réputation sur le plan international. Ces choix paraissent essentiels dans la stratégie de Marc Ravalomanana, qui a accepté par ailleurs un gouvernement composé de personnes peu connues dans les turpitudes politiques malgaches.

«Le Premier ministre», Jacques Sylla, qui entend se mettre très vite au travail, annonce pour sa part que ses ministres prendront «progressivement leurs poste et fonctions». Mais comment? C’est la grande question à la quelle personne ne répond précisément. En attendant l’économie du pays est exsangue. Les grèves dans la fonction publique ont paralysé tous les secteurs vitaux de l’économie nationale. Deux villes, symboles des pouvoirs politique et économique y ont pris aussi une part active.

A Antananarivo, fief de Ravalomanana, grand pourvoyeur de fruits et légumes et autres denrées de premières nécessités, le pouvoir Ratsiraka oppose Tamatave, premier port malgache qui alimente la capitale en carburant et produits d’importation. En effet le gouverneur de la province de Tamatave tolère un barrage des pro-Ratsiraka sur la route nationale 2, seule voie de communication qui relie et favorise les échanges entre les deux métropoles. Malgré les protestations des transporteurs, l’état de nécessité nationale, le couvre-feu et enfin la loi martiale, ce barrage n’a pas été levé, pas plus que les barricades érigées un peu partout par les partisans de Marc Ravalomanana. Cette guerre des villes s’est traduite par une pénurie de carburant et de produits manufacturés dans la capitale et à l’inverse le port Tamatave connaît actuellement une pénurie des denrées alimentaires.

L’exemple de ce deux villes montre la situation de blocage à tous les niveaux que vit Madagascar. Le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères estime que «seule la reprise du dialogue peut permettre de dégager une solution politique», sous entendant que la loi martiale n’est pas de nature à apaiser les esprits. Mais selon certains observateurs de la vie politique malgache, la nomination d’un gouverneur militaire à Antananarivo, loin de crisper les protagonistes pourrait apporter des solutions de sortie de crise, «à la malgache», ambiance bon enfant, et peut-être même à contre-courant de la volonté de ceux qui ont pris cette initiative.



par Didier  Samson

Article publié le 01/03/2002