Madagascar
L'étrange équipée de douze «mercenaires» français
Leur «mission» a duré moins de quarante-huit heures. Le Falcon 900 privé transportant les douze «mercenaires» français, tous recrutés par l’entourage de l’ancien président malgache Didier Ratsiraka, a soigneusement évité de se poser à Paris, d’où il avait décollé mardi. Il a atterri dans la nuit de mercredi à jeudi à l’aéroport de Lyon-Satolas, à l’abri des médias et des cars de police. Après avoir été pris en charge par la police de l’air, tous les passagers du Falcon 900 ont quitté libres l’aéroport. «Au vu du droit français, a précisé à l’Agence France-Presse une source proche du dossier, il n’y avait aucune infraction».
Plusieurs voitures de police et cinq fourgons avaient bien été mobilisés à l’aéroport du Bourget, près de Paris. De nombreux journalistes attendaient le retour (peu glorieux) de ce commando «aux allures plus militaires que civiles» qui avait en vain tenté de se poser à Toamasina (ex-Tamatave), dans l’espoir de pouvoir en savoir davantage sur cette étrange tentative de débarquement sur la Grande Ile de Madagascar dans le but évident d’aider les partisans de l’amiral Ratsiraka. Leur déception a été à la mesure des questions qui demeurent sans réponse à propos d’une équipée presque dérisoire mais qui ne peut qu’aggraver la situation qui prévaut à Madagascar depuis les élections de décembre dernier.
Première question : qui sont ces mercenaires ?
Dès mercredi matin, lorsque leur avion, contraint d’atterrir à Dar-Es-Salam (officiellement pour se ravitailler en kérosène) avait été retenu par les autorités tanzaniennes, apparemment sur demande du gouvernement malgache, il est clair que ces «mercenaires» sont au service de Ratsiraka. L’état-major du nouveau président Ravalomanana, accuse aussitôt l’ancien président de vouloir monter un putsch. Selon des sources concordantes ils sont tous de nationalité française «mais originaires de divers pays». Une source militaire à Antananarivo précise que ces «mercenaires» sont dirigé par un certain «Garibaldi», un personnage bien connu dans les milieux para-militaires français, ainsi que sur plusieurs «fronts» africains.
Si l’on croit Le Figaro du 20 juin, ce commando avait pour mission soit d’encadrer des hommes demeurés fidèles à Ratsiraka dans les zones qu’il contrôle encore, soit d’organiser à Antananarivo un attentat contre Marc Ravalomana. Toujours d’après le quotidien français, l’entourage de Ratsiraka a contacté dernièrement à Paris une société spécialisée dans la sécurité et dirigée par un ancien responsable de la DGSE. Celui-ci aurait «sous-traité» cette demande auprès d’une «officine fortement impliquée dans l’ancienne guerre civile congolaise dans le camp du président Sassou Nguesso». Une entreprise dirigée par Marc Garibaldi, qui avait à l’époque dépêché sur Brazzaville une centaine de mercenaires et ainsi contribué à la victoire de Sassou Nguesso sur son adversaire, le président Lissouba.
Cette fois-ci, la mission de ces «mercenaires» était de «sécuriser une plate-forme aéroportuaire ainsi qu’un port» malgache ; mais, toujours selon Le Figaro, Marc Garibaldi était déjà «criblé», c’est-à-dire sous surveillance intensive des services de renseignement français.
Deuxième question : qui a aidé Ratsiraka à monter cette opération ?
Arrivé en France le 13 juin dernier, l’ancien président malgache avait quitté précipitamment son pays de façon quelque peu inattendue dans un Airbus qui avait été mis à sa disposition par la France. Ses explications avaient alors été ambiguës sinon inquiétantes. Tout en précisant qu’il ne «fuyait pas» son île, parce que «ce serait vraiment une désertion», Ratsiraka déclarait en effet qu’il allait «travailler à l’étranger à la recherche d’une solution à la crise malgache». En réalité, ses partisans venaient de perdre plusieurs régions au profit de son adversaire. D’où une certaine précipitation de la part d’un président sortant déterminé à reconquérir le pouvoir à Antananarivo.
Mercredi, alors que l’équipée des «mercenaires» semble déjà compromise, Ratsiraka rencontre à Paris son homologue togolais Eyadéma : il apparaît très «décidé et déterminé» à reprendre le pouvoir. Il dit vouloir rentrer au pays dès vendredi ou samedi. Le lendemain, son porte-parole déclare pour sa part qu’il «doit quitter» la capitale française dès ce jeudi soir 20 juin, pour se rendre à Addis Abeba, où doit se tenir vendredi un sommet spécial consacré à la crise malgache. De son côté le secrétaire général de l’OUA Amara Essy évoque l’hypothèse d’un report de ce sommet.
En ce qui concerne le Falcon 900 des «mercenaires», seul l’ambassadeur malgache en France, Malalazu Raolison ose s’exprimer. «Il n’y a pas de mercenaires dans l’avion, nous a-t-il déclaré. Ce sont des civils spécialisés dans la sécurisation des lieux publics. Si cela pose des problèmes avec des pays amis, et bien que l’avion fasse demi-tour. On va se former par correspondance».
Le ministère français de la Défense déclare pour sa part qu’il n’est «absolument pas concerné» par cette affaire de mercenaires. «L’année dernière des dispositions ont été prises afin de préciser que tout ce qui concerne le mercenariat avec recrutement n’était pas toléré sur le territoire français», a précisé le général Alain Raevel, porte-parole adjoint de la Défense.
Quant au ministère français des Affaires étrangères, il a fait savoir mercredi soir : «Dès que nous avons été informés qu’un avion privé ayant à son bord des passagers aux intentions suspectes volait à destination de Madagascar, nous avons immédiatement pris des dispositions appropriées afin d’interrompre ce vol en liaison avec les autorités en Afrique concernées par la route de cet avion». Son porte-parole adjoint Bernard Valéro a ensuite précisé : «Cette affaire me conduit à rappeler que la France condamne avec vigueur ce type d’action et ne saurait tolérer que son territoire soit utilisé pour des opérations de ce type». Quelques heures plus tôt le même porte-parole adjoint avait qualifié de simple «péripétie» l’équipée rocambolesque du Falcon 900 : «Je comprends qu’il s’agit d’un aéronef privé. Nous n’avons donc pas de commentaire particulier au delà des informations de presse que vous évoquez», a-t-il indiqué à la presse.
Enfin, il semble bien que le gouvernement français soit intervenu énergiquement pour arrêter une opération vouée à l’échec et aux conséquences politiques incalculables à Madagascar. Mais il est également évident que Didier Ratsiraka a bénéficié de l’aide d’amis basés à Paris. De plus, une source aéroportuaire à Paris citée par l’AFP s’étonnait mercredi que la douzaine d’hommes «aux allures plus militaires que civiles» aient pu «partir sans se faire remarquer par la Police de l’air et des frontières qui peut consulter».
Ecouter également Christophe Champin, journaliste à RFI, 3'10", 20/06/2002
Première question : qui sont ces mercenaires ?
Dès mercredi matin, lorsque leur avion, contraint d’atterrir à Dar-Es-Salam (officiellement pour se ravitailler en kérosène) avait été retenu par les autorités tanzaniennes, apparemment sur demande du gouvernement malgache, il est clair que ces «mercenaires» sont au service de Ratsiraka. L’état-major du nouveau président Ravalomanana, accuse aussitôt l’ancien président de vouloir monter un putsch. Selon des sources concordantes ils sont tous de nationalité française «mais originaires de divers pays». Une source militaire à Antananarivo précise que ces «mercenaires» sont dirigé par un certain «Garibaldi», un personnage bien connu dans les milieux para-militaires français, ainsi que sur plusieurs «fronts» africains.
Si l’on croit Le Figaro du 20 juin, ce commando avait pour mission soit d’encadrer des hommes demeurés fidèles à Ratsiraka dans les zones qu’il contrôle encore, soit d’organiser à Antananarivo un attentat contre Marc Ravalomana. Toujours d’après le quotidien français, l’entourage de Ratsiraka a contacté dernièrement à Paris une société spécialisée dans la sécurité et dirigée par un ancien responsable de la DGSE. Celui-ci aurait «sous-traité» cette demande auprès d’une «officine fortement impliquée dans l’ancienne guerre civile congolaise dans le camp du président Sassou Nguesso». Une entreprise dirigée par Marc Garibaldi, qui avait à l’époque dépêché sur Brazzaville une centaine de mercenaires et ainsi contribué à la victoire de Sassou Nguesso sur son adversaire, le président Lissouba.
Cette fois-ci, la mission de ces «mercenaires» était de «sécuriser une plate-forme aéroportuaire ainsi qu’un port» malgache ; mais, toujours selon Le Figaro, Marc Garibaldi était déjà «criblé», c’est-à-dire sous surveillance intensive des services de renseignement français.
Deuxième question : qui a aidé Ratsiraka à monter cette opération ?
Arrivé en France le 13 juin dernier, l’ancien président malgache avait quitté précipitamment son pays de façon quelque peu inattendue dans un Airbus qui avait été mis à sa disposition par la France. Ses explications avaient alors été ambiguës sinon inquiétantes. Tout en précisant qu’il ne «fuyait pas» son île, parce que «ce serait vraiment une désertion», Ratsiraka déclarait en effet qu’il allait «travailler à l’étranger à la recherche d’une solution à la crise malgache». En réalité, ses partisans venaient de perdre plusieurs régions au profit de son adversaire. D’où une certaine précipitation de la part d’un président sortant déterminé à reconquérir le pouvoir à Antananarivo.
Mercredi, alors que l’équipée des «mercenaires» semble déjà compromise, Ratsiraka rencontre à Paris son homologue togolais Eyadéma : il apparaît très «décidé et déterminé» à reprendre le pouvoir. Il dit vouloir rentrer au pays dès vendredi ou samedi. Le lendemain, son porte-parole déclare pour sa part qu’il «doit quitter» la capitale française dès ce jeudi soir 20 juin, pour se rendre à Addis Abeba, où doit se tenir vendredi un sommet spécial consacré à la crise malgache. De son côté le secrétaire général de l’OUA Amara Essy évoque l’hypothèse d’un report de ce sommet.
En ce qui concerne le Falcon 900 des «mercenaires», seul l’ambassadeur malgache en France, Malalazu Raolison ose s’exprimer. «Il n’y a pas de mercenaires dans l’avion, nous a-t-il déclaré. Ce sont des civils spécialisés dans la sécurisation des lieux publics. Si cela pose des problèmes avec des pays amis, et bien que l’avion fasse demi-tour. On va se former par correspondance».
Le ministère français de la Défense déclare pour sa part qu’il n’est «absolument pas concerné» par cette affaire de mercenaires. «L’année dernière des dispositions ont été prises afin de préciser que tout ce qui concerne le mercenariat avec recrutement n’était pas toléré sur le territoire français», a précisé le général Alain Raevel, porte-parole adjoint de la Défense.
Quant au ministère français des Affaires étrangères, il a fait savoir mercredi soir : «Dès que nous avons été informés qu’un avion privé ayant à son bord des passagers aux intentions suspectes volait à destination de Madagascar, nous avons immédiatement pris des dispositions appropriées afin d’interrompre ce vol en liaison avec les autorités en Afrique concernées par la route de cet avion». Son porte-parole adjoint Bernard Valéro a ensuite précisé : «Cette affaire me conduit à rappeler que la France condamne avec vigueur ce type d’action et ne saurait tolérer que son territoire soit utilisé pour des opérations de ce type». Quelques heures plus tôt le même porte-parole adjoint avait qualifié de simple «péripétie» l’équipée rocambolesque du Falcon 900 : «Je comprends qu’il s’agit d’un aéronef privé. Nous n’avons donc pas de commentaire particulier au delà des informations de presse que vous évoquez», a-t-il indiqué à la presse.
Enfin, il semble bien que le gouvernement français soit intervenu énergiquement pour arrêter une opération vouée à l’échec et aux conséquences politiques incalculables à Madagascar. Mais il est également évident que Didier Ratsiraka a bénéficié de l’aide d’amis basés à Paris. De plus, une source aéroportuaire à Paris citée par l’AFP s’étonnait mercredi que la douzaine d’hommes «aux allures plus militaires que civiles» aient pu «partir sans se faire remarquer par la Police de l’air et des frontières qui peut consulter».
Ecouter également Christophe Champin, journaliste à RFI, 3'10", 20/06/2002
par Elio Comarin
Article publié le 20/06/2002