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Madagascar

Flambée des prix sur la vanille

Madagascar est le premier producteur et exportateur mondial de vanille naturelle. Mais cette année, les prix de la vanille sont en train de flamber, ce qui menace l’avenir de la filière.
De notre envoyé spécial à Sambava

On l’appelle le «triangle de la vanille», cette région sur la côte Nord-est de Madagascar, quelques milliers d’hectares délimités par les villes de Sambava, Antalaha, Vohémar et Andapa. C’est là qu’est produite la majorité de la vanille naturelle sur le marché mondial. Habituellement, la production oscille entre 1 000 et 1 200 tonnes. Mais cette année, ce sera sans doute beaucoup moins. Les plus optimistes disent 700 tonnes, 500 tonnes selon les plus pessimistes. Cette baisse de la production est due à la pluie, trop abondante, au moment de la floraison. Et puis il y a eu aussi la sécheresse.

Mais le gros problème, cette année, c’est surtout la flambée des prix. Le kilo de vanille verte se négociait ces dernières semaines, à plus de 450 000 francs malgaches (environ 65 Euros). La hausse des cours a été continue, depuis quelques années. Mais elle atteint à présent des sommets vertigineux. «Aujourd’hui, nous sommes inquiets par rapport au prix», explique Dominique Andreas, responsable local de Vanille Mad, une des plus importantes sociétés de Sambava. «Mais on est un peu tributaire des prix que nous demandent les paysans. Parce qu’il faut bien comprendre que le paysan n’a qu’une récolte, et il compte sur cette récolte-là pour vivre tout au long de l’année. Donc aujourd’hui, il demande des prix exorbitants à nos yeux, et aux yeux du client final», ajoute-t-il. Les paysans ont sans doute leur part de responsabilité. Les collecteurs et les exportateurs aussi. En fait, dans la filière de la vanille verte à la vanille préparée, chacun défend ses propres intérêts, chacun achète cher et revend cher. Et finalement, tous participent à cette spéculation à la hausse. Même au bout de la chaîne, les clients, en Europe ou aux Etats-Unis, peuvent avoir leur stock de vanille en réserve, qu’ils cherchent à valoriser d’une année sur l’autre. En tout cas, pour tous les niveaux de la filière, ce jeu d’offre et de demande prend en ce moment une tournure dangereuse. Il y a certes, beaucoup à gagner aujourd’hui, mais peut être beaucoup à perdre demain.

«Il ne faut pas oublier qu’en ayant un prix trop excessif, on risque de détruire la filière de la vanille». Cet avertissement émane de Fayol Makboul, directeur général d’une autre grosse société, Hachmann Madagascar Export. Il ajoute : «on risque d’inciter des pays qui ont le même climat que nous, à planter de la vanille». Et de citer pêle-mêle, l’Ouganda, l’Equateur, la Nouvelle Papouasie, l’Inde, la Chine, le Vietnam… La vanille malgache est donc sous la menace d’une concurrence étrangère. Sous la menace aussi de la concurrence de la vanille de synthèse, produite en laboratoires. Certes, la vanille de substitution n’a pas le même goût. Reste qu’elle revient beaucoup moins chère. Mais voilà, à Sambava, on préfère ne pas trop y penser. L’important, c’est la richesse que la vanille procure à la région aujourd’hui. Avec les prix qui s’envolent, les têtes se mettent à tourner. Ici, on négocie en millions, voire en milliards de francs malgaches. De gigantesques fortunes se sont bâties en quelques années. Alors évidemment, cela suscite des convoitises…

Un marché opaque

«Le vol de vanille, c’est comme un sport national», raconte un opérateur. Un sport dangereux. Ici, les comptes se règlent à coup de kalachnikovs. Les forces de l’ordre parlent de bandes organisées, qui dérobent des dizaines, voire des centaines de kilos de vanille, dans les entrepôts ou même directement dans les plantations. Sous couvert d’anonymat, un expert estime que plus d’un quart des gousses de vanille produit disparaît du marché officiel. Y aurait-il donc un marché parallèle ? Sujet visiblement tabou. Madame Safia était le sous-préfet de Sambava jusqu’à ces dernières semaines. Interrogée par RFI, elle expliquait : «En principe, il n’y a que le marché officiel, organisé. Mais, je crois que la vanille volée ne passe pas au marché officiel. Je crains que ce soit de la mafia. Les voleurs volent, et il y a toujours des acheteurs. S’il n’y avait pas d’acheteurs, ils (les voleurs) n’arriveraient pas à écouler leur produit. Et qui sont alors les acheteurs ?» Autre interrogation soulevée alors par la représentante de l’Etat : «Qui sont les grands patrons qui financent tous ces actes ? Ils sont motorisés, ils sont armés…» Madame le sous-préfet n’aura pas l’occasion d’enquêter davantage, puisque dans les jours qui ont suivi cette déclaration, elle a subitement été limogée…

En tout cas, parmi les gros opérateurs, personne n’ose trop se mouiller, sinon de manière évasive. Des réponses du genre : «oui, il y a des combines locales», «oui, paraît-il, il y a de la vanille qui part en douce à l’étranger»… Il faut donc se rendre à l’évidence : le marché de la vanille est ici très opaque. En tout cas, beaucoup trouvent leur compte à la flambée des prix. Plusieurs explications : il y a d’abord ceux qui se servent de la vanille pour se débarrasser de faux-billets, pour recycler des millions de francs malgaches qui ont disparu dans la nature, lors de la crise politique de l’an dernier. En plus, comme Madagascar s’est lancé dans une opération de changement de monnaie, il s’agit pour certaines personnes, d’écouler l’argent sale, avant que les nouveaux billets ne soient complètement en circulation. Evidemment, tout cela fausse les règles du marché en tirant les prix à la hausse, souvent au détriment de la qualité du produit. La vanille malgache est prise dans une spirale dangereuse. Les perspectives ne sont guère encourageantes. De nombreux opérateurs prédisent un effondrement des cours, sans doute l’an prochain.



par Olivier  Péguy

Article publié le 22/09/2003