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Madagascar

Veillée d’armes

La crise politique majeure que vit Madagascar s’additionne à une catastrophe naturelle, le passage d’une tempête tropicale baptisée Kesiny, pour créer les conditions d’un désastre économique et humanitaire. Une action militaire à l’initiative du président Marc Ravalomanana semble désormais inévitable pour que les deux parties opposées cessent de se regarder en chiens de faïence.
Depuis le 17 mai, le camp du président élu de Madagascar change de ton et de stratégie dans la gestion de la crise que traverse le pays. Les grèves de fonctionnaires, l’occupation des ministères, l’installation pacifique des ministres dans leurs fonction et lieu de travail, le ralliement d’une majorité de l’armée montrent aujourd’hui ses limites. Ces différentes mesures ont isolé le président sortant Didier Ratsiraka dans son entêtement à refuser l’élection dès le premier tour de la présidentielle de son rival Marc Ravalomanana. Ses fidèles et lui, en se retirant de Toamasina, principal port du pays, organisent à leur tour l’isolement de la capitale Antananarivo, fief de Marc Ravalomanana. Les barrages érigés et contrôlés par les pro-Ratsiraka empêchent tout approvisionnement de la ville et de la province d’Antananarivo qui n’ont aucune façade maritime.

Les gouverneurs de provinces pro-Ratsiraka, participent à l’asphyxie d’Antananarivo, mais proclament l’indépendance de leur province respective: Mahanjaga, Antsiranana, Toamasina et Toliara. Ils se définissent dans un nouvel ensemble confédéral ayant pour capitale Toamasina. Les provinces de Fianarantsoa et d’Antananarivo constituent le bloc favorable à Marc Ravalomanana. La province de Fianarantsoa offrant sa façade maritime ne vainc pas entièrement le blocus dont est victime la capitale. Son principal port Manakara n’est qu’un port de cabotage, contrairement à Toamasina spécialisé en navigation au long cours. Les produits manufacturés et le carburant alimentant toute l’île y transitent, d’où son importance l’économie malgache.

Approvisionnement chaotique

Depuis le début de la crise, le prix de certains produits a été multiplié par quatre. L’essence est aujourd’hui à 25.000 francs malgaches le litre (3,81 euros). La pénurie favorise un marché noir et déstabilise l’économie locale. La course de taxi est passée de 10.000 FM (1,52 euros) à 50.000 FM (7,52 euros) clouant au garage la plupart des taxis de la ville. Seul le transport en commun par des mini bus assure encore des liaisons inter-urbaines et inter-villes. Cette activité est maintenue par le seule volonté de l’administration Ravalomanana qui a recours maintenant au stock stratégique de l’Etat pour parer au plus urgent. L’Office malgache des hydrocarbures (OMH) procède aujourd’hui à une répartition par quota de ce stock en fonction des besoins et privilégiant les hôpitaux. De fait la distribution d’énergie et d’eau courante dans certaines communes isolées n’est plus que partiellement assurée. Même la capitale Antananarivo n’est pas épargnée et subit des délestages tous les jours entre 17h30 et 20h30 et de manière tournante dans les différents quartiers. Selon certaines prévisions, la capitale ne pourrait vivre ainsi que quelques jours encore.

Les effets de ce blocus ne se ressentent pas que dans la capitale. A Toamasina l’approvisionnement en produits vivriers est chaotique. La province d’Antananarivo, dans les plateaux est le grenier de tout le pays. Sa production en fruits et légumes nourrit ses habitants, mais du fait barrages ne parvient pas aux autres grandes agglomérations et ne part pas non plus à l’exportation. Les prix des aliments de premières nécessités ont flambé mettant le sac de 50 kg de riz à plus de 125.000 FM (19,06 euros). La pénurie de riz, aliment de base, est aujourd’hui durement vécue par les populations de Toamasina. La production propre de cette province, qui s’élève à environ 15.000 tonnes, a été détruite par le passage de la tempête tropicale Kesiny. Seulement trois mille tonnes pourront être sauvées cette année.

Depuis le passage ce cyclone le 11 mai, c’est aussi une catastrophe humanitaire qui se profile à l’horizon. Ces pluies torrentielles qui ont entraîné la mort de plusieurs dizaines de personnes ont également provoqué des inondations et éboulements de terre. Elles ont emporté des ponts, détruit des voies et coupé du monde de nombreux villages. Les populations isolées attendent des secours qui ont beaucoup moins de mal à franchir les barrages «naturels» dus au cyclone que ceux érigés par les hommes. Selon les organisations humanitaires qui tentent de porter secours aux populations sinistrées, les effets conjugués de ces «deux barrages» pourraient faire le lit du choléra, du paludisme et d’autres maladies mortelles «si les populations continuent d’être privées de soins et de nourriture».

Un sentiment d’exaspération commence à envahir les différents camps opposés sur la Grande île. Tous ceux qui fondaient leur espoir dans une nouvelle rencontre à Dakar manifestent leur impatience pour un règlement rapide de la crise. L’administration Ravalomanana qui considère toujours la nation malgache, une et indivisible, envisage maintenant la manière forte pour instaurer l’autorité de l’Etat. Le général Mamizara, ministre de la Défense a lancé une opération de mobilisation des réservistes de l’armée et promet une action imminente. Déjà 500 personnes ont répondu à l’appel, mais dans le camp Ravalomanana on attend une plus grande mobilisation avant de lancer des offensives militaires pour la levée des barrages. Même si une grande majorité des différents corps d’armée ont fait allégeance au pouvoir d’Antananarivo, de nombreuses unités d’élite détenant d’importants stocks de munitions sont restées fidèles à Didier Ratsiraka. Les gouverneurs de provinces sécessionnistes les ont réquisitionnées et mises en alerte maximale. Une de leurs premières actions a été de mettre aux arrêts des officiers supérieurs dépêchés à Toliara par le pouvoir d’Antananarivo. Ils avaient une mission d’évaluation de la situation et de négociation avec le gouverneur. Ils sont aujourd’hui des otages qui pourraient servir de bouclier humain contre toute attaque d’Antananarivo.

Les provinces de Toliara, de Mahajanga et leurs ports font partie des axes prioritaires à ramener sous contrôle de l’Etat. Le choix de ces deux provinces est essentiellement commandé par le vote majoritaire des populations en faveur de Marc Ravalomanana, alors que leurs gouverneurs sont des «ratsirakistes». L’affrontement qui pourrait déboucher sur un guerre civile inquiète les partenaires traditionnels de Madagascar qui renouvellent leur confiance dans l’Accord de Dakar, signé le 18 avril. Le parlement européen vient de demander à la Commission «d’octroyer une aide d’urgence à Madagascar» et appelle également à la levée des barrages. Le président Wade du Sénégal ne désespère pas non plus de provoquer une nouvelle rencontre à Dakar en vue d’un règlement pacifique de la crise malgache.



par Didier  Samson

Article publié le 22/05/2002