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Madagascar

Les anciens dignitaires croupissent en prison

A Madagascar, les procédures judiciaires sont en cours, après la crise politique. Plusieurs dizaines de partisans de l’ancien président Ratsiraka sont actuellement incarcérés en prison. Et visiblement, traités correctement.
De notre correspondant à Madagascar

En ouvrant les portes des prisons à la presse, le temps d’une journée, les autorités malgaches ont voulu jouer le jeu de la transparence, et mettre ainsi au clair certaines informations qui circulent sur les conditions de détention des personnes arrêtées dans le cadre des «événements politiques» de ces derniers mois. «On a entendu des fausses informations selon lesquelles, à Madagascar, il y aurait des tortures, des traitements inhumains, dégradants, explique Alain Rajaonarivelo, directeur de l’administration pénitentiaire et des établissements surveillés. Mais en réalité, ici, il n’y a plus de tortures».

En fait, la violence est plus sournoise : dans les conditions de détention, misérables. Exemple, Tsiafahy, la maison de haute sécurité. Cette prison est située à 40 kilomètres de la capitale, en rase campagne. Une longue piste chaotique rejoint le bâtiment construit sur une colline. Ils sont environ 600 détenus, dans cet établissement prévu pour 200 personnes. La prison se divise en trois quartiers, avec chacun une grande chambre et une cour. La «chambre» en fait, est un dortoir où chaque détenu dispose d’un demi mètre carré. Dans la cour, cette surface passe à un mètre carré par personne. Pas d’électricité, encore moins de chauffage. Pas d’infirmerie. D’après les chiffres de l’administration pénitentiaire, 6 personnes sont décédées depuis janvier 2002, dont trois durant l’évacuation sanitaire.

La majorité des détenus sont des prisonniers de droit commun, l’un d’entre eux attend son procès depuis seize ans. Et puis, il y a les détenus dits «de sécurité». C’est l’appellation pour qualifier les personnes arrêtées durant la crise politique malgache du premier semestre 2002. Ils sont ainsi plusieurs dizaines : des militaires, des gendarmes, des colonels, des «miliciens» civils… appréhendés dans la capitale ou en province surtout entre juin et août. Ils étaient du camp Ratsiraka. Parmi eux, le colonel Repifiny, qui accepte de parler à la presse, en présence des gardiens. «Ca fait trois mois que je suis ici, explique-t-il. Il n’y a pas de problème au point de vue de la détention. On peut pas dire qu’on est bien, mais en tant que prisonnier, on supporte tout ce qui se passe ici». Interrogé sur d’éventuelles tortures ou mauvais traitements, il précise : «les actes de torture, ça s’est passé au moment des arrestations. Pour moi, particulièrement, quand j’étais à Tuléar, il y avait quelques bousculades, quelques brutalités. Mais ici, à Tsiafahy, on n’a pas reçu de tortures. On était bien reçu, si on peut le dire…»

Ni torture, ni traitements dégradants

Il y a quelques semaines, une délégation du Comité internationale de la Croix-rouge est venue à Madagascar, pour visiter entre autre, cet établissement de Tsiafahy. Le colonel Repifiny raconte : «On a discuté ensemble. Ils sont entrés dans nos chambres, ils ont tout vu, nos conditions de vie. Ils ont demandé quels étaient nos problèmes. On a relaté quelques problèmes de vie dans la prison. Ils ont pris note, puis ils sont partis». A son tour, Alain Rajaonarivelo, le directeur de l’administration pénitentiaire revient sur cette visite du CICR. «Ils ont constaté qu’il n’y avait pas de tortures, ni de traitements dégradants».

Antanimoro, la grande maison d’arrêt située dans la capitale Antananarivo. Comme à Tsiafahy, les détenus «de sécurité» sont mélangés aux prisonniers de droit commun. L’établissement est prévu pour 800 personnes. Ils sont plus de 2400 au total, dont une soixantaine de personnes appréhendées durant la crise politique. On trouve là notamment les anciens ministres du régime Ratsiraka : Tantely Andrianarivo, ex-Premier ministre, Fredo Betsimifira, ex-ministre de l’information et de la culture, le colonel Ndrianasolo, ex-ministre de la Jeunesse et des Sports. Et puis d’anciens gouverneurs de province, du temps de Didier Ratsiraka : Samuel Lahady, de Tamatave, Etienne Razafindehibe, de Majunga, Edmilson, de Fianarantsoa. Citons encore des officiers supérieurs, fidèles à l’Amiral : les généraux Victor Ramahatra, Boba, Andrianafeno… Ils ont dû se faire à ce nouveau mode de vie plutôt sordide, à mille lieux de ce qu’ils avaient connu avant, du temps où ils étaient au pouvoir. Les costumes-cravates ont laissé place aux simples survêtements, aux modestes sandales. Sans doute ouvrent-ils les yeux sur la réalité du monde carcéral à Madagascar.

«On considère cette situation comme une dégradation physique et morale de la personne, explique Samuel Lahady, les cheveux blanchis, le regard plus vague derrière ses petites lunettes. On est séparé de nos familles. On vit dans une situation de détresse». Et de manière unanime, tous déplorent le manque de moyens financiers et humains de l’administration pénitentiaire. Et savent gré au personnel de la prison de faire son maximum dans la limite des moyens.

En tout cas, devant les caméras, ces différentes personnalités apparaissent plutôt en bonne santé. Tous, ils affirment ne pas être l’objet de mauvais traitements. «Pas de tortures, pas d’intimidation, pas de vexation durant la détention», précise Frédo Betsimifira. Mais il confirme les propos du colonel Repifiny, détenu à Tsiafahy : «on a été témoins oculaires de sévices et d’actes de violence commis sur certaines personnes au moment de leur arrestation».

Pour la plupart, ces détenus «de sécurité» attendent leur procès. Ils souhaiteraient que les procédures judiciaires soient accélérées. En guise de défense, ils estiment qu’à l’époque de la crise politique, ils ne faisaient qu’obéir aux ordres. Implicitement, cela vise Didier Ratsiraka. L’ancien président est aujourd’hui réfugié dans sa villa, en France. Eux, anciens dignitaires du régime, croupissent dans les geôles malgaches.



par Olivier  Péguy

Article publié le 29/10/2002