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Guinée

La crise du riz

Un paysan extrait des mauvaises herbes de son champ de NERICA (New rice for Afrika : « nouveau riz pour l'Afrique »), à Faranah en Guinée. 

		(Photo : AFP)
Un paysan extrait des mauvaises herbes de son champ de NERICA (New rice for Afrika : « nouveau riz pour l'Afrique »), à Faranah en Guinée.
(Photo : AFP)
La hausse du prix de vente du riz provoque des émeutes à Conakry. L’Etat tente d’éviter la contagion et propose des mesures de subvention à la consommation mais qui sont loin de satisfaire tout le monde.

Les Guinéens n’avaient encore jamais imaginé que leur pays pourrait être un jour confronté à un problème d’approvisionnement en denrées de première nécessité. Le climat humide et tropical offre à la Guinée une bonne pluviométrie. La luxuriance du sud du pays contraste avec un paysage sahélien du nord auquel une production agricole de subsistance a été adaptée. Mais depuis quelques années, ce pays qui connaît une auto suffisance alimentaire tire le diable par la queue. Les équilibres entre production agricole, approvisionnement et distribution sont précaires et le moindre grain de sable dans le système met le mécanisme en péril.

Depuis quelques semaines des magasins appartenant à d’importants détaillants de produits alimentaires sont mis à sac par des individus très déterminés mais qui n’ont pas le profil de délinquants. Ce sont plutôt des affamés qui hurlent leur ras-le-bol se sentant victimes d’un système dans lequel ils sont laissés pour compte. Ces nouveaux pilleurs ne sont pas organisés en bande mais agissent par instinct et font des coups pour se ravitailler. Ils interceptent des camions qui vont ou reviennent des marchés régionaux et se servent tout simplement sans violence. Les femmes, tenancières de l’économie domestique, ont aussi crié leur désarroi lors d’un récent rassemblement des femmes du Parti de l’unité et du progrès (PUP), le parti au pouvoir.

Mais à Conakry la police tente d’enrayer la spirale du pillage des magasins de vente du riz en procédant à l’interpellation de plusieurs dizaines de jeunes. Ces opérations ont donné lieu à quelques échauffourées faisant de nombreux blessés légers parmi les jeunes et les policiers, les 8 et 9 juillet dernier. «Ventre affamé n’a point d’oreille», rétorquent les manifestants qu’un commissaire de Conakry appelle à la retenue. Les populations n’ont plus les moyens d’acheter le sac de riz dont le prix est multiplié par deux pour cause de pénurie sur le marché. Les deux effets conjugués mettent la Guinée en situation de disette annoncée. En début d’année le sac de riz de 50 kg coûtait 27 000 francs guinéens, soit plus de 7 300 francs CFA (11,17 euros). A la fin du mois de juin il fallait plus de 50 000 francs guinéens, plus de 13 700 francs CFA (21 euros) pour acheter le même sac de riz à Conakry.

A la radio nationale des communiqués invitent les commerçants à «avoir pitié de la population». L’effet est nul. Les pouvoirs publics ont très vite compris que les commerçants ne sont pas des philanthropes et qui leur fallait jouer leur rôle de garant de la cohésion sociale. Le 13 juillet, commerçants et gouvernement ont signé un protocole de partenariat par lequel l’Etat, a décidé d’accorder une subvention d’environ 11 000 francs guinéens (3 280 F CFA soit 5 euros) par sac de 50 kg aux consommateurs obtenant des commerçants l’engagement de maintenir le prix du sac de riz à 40 000 francs guinéens (10 000 francs CFA soit 15,24 euros). Pour les localités de l’intérieur du pays, «le prix sera majoré du coût du transport», précise Djéné Saran Camara, la ministre du Commerce et des Petites et moyennes entreprises (PME). Un mécanisme de contrôle et de suivi de cet accord implique les ministères de l’Economie et des Finances, du Commerce, de l’Industrie et des PME et de la Sécurité.


La Guinée 

		©DR
La Guinée
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Le riz du président

Par ailleurs, le gouvernement a fait un emprunt auprès de la Banque centrale de Guinée de 13 milliards de francs guinéens ( plus de 3 milliards de francs CFA soit plus de 5,35 millions d’euros) pour importer 23 250 tonnes de riz, rapporte le journal gouvernemental Horoya. Selon des sources proches du pouvoir 100 000 autres tonnes de riz seraient disponibles pour soulager le marché guinéen.

Le problème du riz en Guinée aujourd’hui n’est pas tant celui de l’approvisionnement que de la distribution. A la crise perceptible dès le début de cette année, le président de la République Lansana Conté a voulu y apporter une réponse personnelle avec la ferme intention d’en tirer un bénéfice politique. Il voulait avoir une image de «sauveur du peuple et d’un président à l’écoute des populations» après sa réélection contestée par l’opposition qui avait boycotté le scrutin présidentiel en décembre 2003. Il avait personnellement suivi l’importation de plusieurs milliers de tonnes de riz revendus à 26 000 francs guinéens le sac de 50 kg (un peu plus de 7 000 francs CFA, soit 10,7 euros) contre environ 50 000 francs guinéens dans le commerce. La distribution du riz du président est confiée à ses proches ce qui a eu pour corollaire de développer chez le consommateur l’image d’un président commerçant «qui veut encore s’enrichir un peu plus sur le dos du peuple». L’échec de cette opération est d’autant plus retentissant qu’il a alimenté une corruption déjà endémique à Conakry.

En tout cas, l’échec de son opération a poussé le président à révoquer de leurs fonctions les maires et autres chefs de quartiers qui avaient en charge la distribution de «son riz». Lansana Conté voulait-il relancer les principes de l’Etat providence du défunt régime de Sékou Touré ? Rappelons que «Alimentation de Guinée» (ALIMAG) était une centrale de distribution des produits alimentaires et de première nécessité avec des tickets d’approvisionnement par ménage. Malgré le rationnement, le riz, par exemple, n’a jamais manqué aux Guinéens. A la chute du régime en 1985 et à l’avènement au pouvoir de Lansana Conté un nouveau principe a été adopté et mis en vigueur dès 1991 : celui de la Lettre de politique de développement agricole (LPDA) qui a marqué le désengagement de l’Etat des activités de production et de commercialisation en faveur de l’entreprise privée.

Une évaluation de la LDPA a permis de faire le point sur la consommation de riz qui est en nette progression. Elle est passée de 50 kg par personne et par an en 1985 à plus de 90 kg/personne/an. Quatre types de riziculture assurent cette grande consommation : le riz pluvial, de plaine, de bas fonds et de la mangrove. Il est essentiellement cultivé en Guinée maritime, sur les contreforts du Fouta Djalon, en Haute guinée et en guinée forestière. La LDPA a aussi fourni un cadre de développement de la culture de riz en Guinée. A la fin des années 80 le pays produisait un peu plus de 400 000 tonnes et en quelques années a totalisé une production de 842 500 tonnes en 2002. Pour la même période la Guinée a importé environ 300 000 tonnes de riz.

Selon les prévisions et les statistiques officielles que la Guinée a fournies aux organisations internationales et bailleurs de fonds, le pays devrait atteindre une autosuffisance  et même envisager une exportation du riz à l’horizon 2010. Les mêmes sources prévoient une augmentation de la superficie arable qui était de 438 000 hectares en 1995 à 715 000 hectares en 2005. Les réalités aujourd’hui n’autorisent plus à cet optimisme.


par Didier  Samson

Article publié le 16/07/2004 Dernière mise à jour le 16/07/2004 à 14:55 TU