Immigration
L'équipage du Cap Anamur libéré
(Photo: AFP)
L’odyssée avait débuté le 20 juin dernier en Méditerranée, lorsque trente-sept naufragés africains ont trouvé refuge sur le Cap Anamur, un navire affrété par une organisation humanitaire allemande éponyme spécialisée dans l’aide aux réfugiés. L’association avait ensuite choisi de mettre le cap sur l’Italie pour débarquer ses ressortissants. Rome avait d’abord refusé le droit d’accoster, arguant que selon le droit maritime international, le Cap Anamur aurait dû déposer ses naufragés à Malte, premier pays où le bateau avait accosté avant de rejoindre la Sicile. Ne trouvant terre d’accueil, le navire allemand a été contraint d’errer pendant plus de dix jours. L’Allemagne, l’Italie et Malte se rejetant mutuellement la responsabilité du sort de ces immigrants.
Lundi dernier, le gouvernement italien a finalement accepté de loger le Cap Anamur et a autorisé le navire à débarquer ses passagers à Porto Empadocle, en Sicile. A la suite de cette action humanitaire, les ressortissants africains ont été recueillis dans un centre de rétention. Tous ont rempli des formulaires de demande d’asile politique en Italie. D’abord jugées « irrecevables » par le ministre de l’Intérieur italien, Giuseppe Pisanu, les demandes font finalement l’objet d’un examen particulier par la commission pour les réfugiés qui n’a toujours pas statuer. Cependant, comme le souligne le ministre de l’Intérieur italien, « les demandes d’asile ont peu de chances d’aboutir ». Laura Boldrini, porte-parole de l’antenne italienne du Haut commissariat aux réfugiés a précisé que « les dossiers ne sont pas complets car les requérants n’ont pas bénéficié d’une assistance légale adéquate ». A ce jour, l’expulsion des trente-sept immigrants semble donc être l’issue la plus probable.
Le cas du Cap Anamur témoigne des lacunes du système communautaire en matière d’immigration. Raymond Hall, directeur du bureau Europe du Haut Commissariat aux réfugiés de l’ONU souligne que « l’Europe a fait beaucoup de travail de l’harmonisation des politiques et des droits d’asile dans les différents pays européens, mais il n’y a pas pour le moment de véritable coopération au niveau pratique ». Il était donc difficile de savoir à qui il revenait de statuer sur le sort des trente-sept Africains. L’Allemagne, qui estimait ne pas voir sa responsabilité engagée dans « l’affaire Cap Anamur », a finalement pris contact avec le ministère italien des Affaires étrangères et a envoyé cette semaine un diplomate sur place pour juger de la situation.
Nouvelle donne ?
Le directeur de Cap Anamur, Elias Bierdel, le capitaine du bateau Stephen Schmidt et le premier officier Vladimir Dhchkevitch, ont été arrêtés et incarcérés lundi dernier par les autorités italiennes pour avoir débarqué les trente-sept clandestins africains à Porto Empedocle. Condamnés pour « soutien à l’immigration clandestine », les responsables de l’ONG se sont vus reprocher par les autorités italiennes d'avoir prétendu recueillir à son bord des Soudanais fuyant la région du Darfour, alors que, selon elles, ils viennent du Ghana, du Nigeria et du Niger. Elles les accusent également d’avoir délibérément acheminé ses passagers vers l’Italie alors qu’ils auraient dû débarquer à Malte. Les accusés qui devaient comparaître jeudi devant le juge ont finalement vu leur audience retardée de vingt-quatre heures.
Un report qui n’est pas sans conséquence sur le jugement puisque la Cour constitutionnelle italienne a estimé hier partiellement anti-constitutionnelle la loi sur l’immigration adoptée en 2002 par la majorité de centre droit de Silvio Berlusconi, annulant des mesures particulièrement répressives. La Cour a ainsi prononcé « l’illégitimité constitutionnelle » de la disposition prévoyant l’expulsion d’un immigré clandestin par un magistrat auquel le droit à la défense n’aurait pas été assuré. Elle considère également illégitime la norme rendant obligatoire l’arrestation d’un immigré qui n’aurait pas respecté le délai de cinq jours imparti par les autorités pour quitter le pays. Cette loi, nommée « loi Fini-Bossi » (du nom du vice-Premier ministre et chef de l’Alliance nationale Gianfranco Fini et du chef du parti populiste et xénophobe Umberto Bossi, ministre des Réformes) a considérablement durci les conditions d’entrée des immigrés et renforcé les peines pour les clandestins et les passeurs.
Depuis l’annonce de l’arrestation des membres de l’organisation humanitaire, contestation et indignation étaient de rigueur en Allemagne. « On ne peut pas accepter qu'Elias Bierdel soit puni parce qu'il a voulu aider des personnes qui ont connu de terribles épreuves », a expliqué la ministre allemande de la Coopération et du Développement, Heidemarie Wieczorek-Zeul. Dès mardi, elle exigeait la libération immédiate de l’équipage du Cap Anamur, dénonçant la tentative de les criminaliser. Heidemarie Wieczorek-Zeul a jugé «absolument insupportable que les autorités italiennes […] traitent les membres d’une organisation non gouvernementale comme des criminels». Et ce matin encore, le chancelier allemand Gerhard Schröder en personne déclarait qu’il aimerait qu' « on épargne la détention provisoire aux Allemands ». Souhait exaucé puisque la justice italienne a finalement tranché aujourd’hui et à décidé la remise en liberté de tous les membres de l’ONG.
Une page se tourne. Aux lourdes peines de prison et amendes qu’ils auraient pu encourir, Elias Bierdel et Stefan Schmidt se voient simplement « interdits de séjourner en Sicile, en Calabre et dans la région des Pouilles (sud de l'Italie) », selon la députée italienne, Luisa Morgantini. Trente-sept Africains restent cependant sur la sellette, en attente d’un verdict qui risque de leur être bien moins favorable.
par Clémence Aubert
Article publié le 16/07/2004 Dernière mise à jour le 16/07/2004 à 15:59 TU