France-Israël
Sharon n’est plus le bienvenu à Paris
(Photos : AFP)
Les Israéliens ont eu beau prendre soin de préciser qu’en appelant les juifs de France à émigrer vers l’Etat hébreu, Ariel Sharon n’avait aucune intention de critiquer «l’action menée par le président Chirac contre l’antisémitisme», du point de vue français ces propos représentent une mise en cause inacceptable. La réponse n’a d’ailleurs pas tardé à venir. Le ministère français des Affaires étrangères a immédiatement réagi en demandant des «explications» au gouvernement israélien. Mais surtout, l’Elysée a fait convoquer sans attendre le chargé d’affaires israélien au Quai d’Orsay pour lui faire part du mécontentement français et des conséquences que ces déclarations, jugées inacceptables, pourraient avoir sur les relations entre les deux Etats. C’est à cette occasion que le sujet de la venue d’Ariel Sharon à Paris, envisagée depuis plusieurs mois, a été abordé. La visite du Premier ministre israélien n’est plus souhaité pour le moment. Aucune date ne sera fixée tant que les autorités israéliennes n’auront pas fourni d’explications.
Michel Barnier a donné les raisons de l’indignation française. De Tunis, où il effectue une visite officielle, le ministre des Affaires étrangères a affirmé que les déclarations du Premier ministre israélien sont «inacceptables et intolérables» parce qu’elles touchent «aux principes» de la République française, dont le fondement est de garantir «à tous les citoyens français et à tous ceux que nous accueillons sur notre sol les mêmes protections et les mêmes libertés». En conseillant aux juifs de France d’immigrer en Israël pour échapper à un antisémitisme des plus «sauvages», Ariel Sharon a d’une certaine manière sous-entendu que leur sécurité n’était pas assurée dans leur pays. D’autre part, il a désigné l’ensemble de la communauté musulmane qui représente, selon lui, «à peu près 10% de la population française», comme responsable de cette situation. Et de ce point de vue aussi, les propos du Premier ministre israélien sont difficilement acceptables par la France.
Un «malentendu sérieux»Certes, plusieurs responsables israéliens ont insisté sur le fait que les déclarations d’Ariel Sharon avait été mal comprises et mal interprétées. Avi Pazner, le porte-parole du gouvernement israélien, a ainsi affirmé : «Pour nous (Israéliens), l’appel du Premier ministre aux juifs du monde entier, et pas seulement de France, constitue un des fondements idéologiques de l’Etat d’Israël, alors que les Français y voient autre chose». Plus directement, le ministre de l’Intérieur Avraham Poraz, a déclaré : «Israël est un Etat sioniste. Et nous exhortons toujours les juifs à immigrer en Israël. Il n’y a rien de neuf à cela».
Il est vrai que l’alya, l'installation en Israël, fait partie des aspirations de la plupart des juifs pratiquants et que l’Etat d’Israël a toujours encouragé cette immigration qui lui permet de compenser son déficit démographique par rapport à la population palestinienne en forte augmentation. Et la France fait partie des pays sur lesquels l’Etat hébreu compte le plus pour alimenter les flux de juifs désireux de s’installer sur son territoire. Avec 600 000 membres, la communauté juive de France est, en effet, la plus importante d’Europe. Chaque année, environ 2 000 personnes décident de quitter l’Hexagone pour la «terre sainte». Mais contrairement aux pronostics de l’Agence juive, chargée d’aider les juifs à organiser leur installation en Israël, qui table sur une forte augmentation des départs de France (33 000), les chiffres de 2003 ont marqué une baisse du nombre de candidats à l’alya (2 313 au lieu de 2 566 en 2002). La multiplication des actes antisémites enregistrée par le ministère de l’Intérieur n’a pas eu d’effet sur les départs. Il est vrai que, pour beaucoup, les juifs français qui envisagent d’émigrer, le font à cause de leurs convictions religieuses et/ou politiques et non simplement par crainte des agressions dont ils pourraient être victimes en France.
Cette mise en perspective des propos d’Ariel Sharon envisagés comme un prolongement de la politique traditionnelle d’Israël, n’a pas été suffisante pour convaincre Paris. Et même si Michel Barnier a affirmé que la France tenait à «préserver» ses relations avec l’Etat hébreu et surtout avec «son peuple ami», le «malentendu» est jugé assez «sérieux» pour que Paris ne renonce pas à obtenir les explications demandées par la voie officielle. La version de l’incompréhension «culturelle» plaidée par les Israéliens n’est pas assez convaincante pour éliminer la thèse de l’hostilité diplomatique. Dans un contexte déjà tendu entre les deux Etats à cause de la politique défendue par la France concernant le règlement de la crise israélo-palestinienne et notamment sa volonté de maintenir le contact avec Yasser Arafat, le chef de l’Autorité palestinienne, cette affaire ne va pas arranger les choses. Le réchauffement engagé après la visite du président israélien Moshe Katzav à Paris, en février 2004, n’aura pas duré longtemps.
par Valérie Gas
Article publié le 20/07/2004 Dernière mise à jour le 20/07/2004 à 15:16 TU