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Antisémitisme

L’imposture

Cette affaire constitue l'une des plus cinglantes impostures de ces dernières années. 

		(Source: Liberation)
Cette affaire constitue l'une des plus cinglantes impostures de ces dernières années.
(Source: Liberation)
La presse française avait la gueule de bois, mercredi, au lendemain de l’aveu de la jeune femme du RER, qui a reconnu avoir menti aux enquêteurs et entraîné l’opinion publique et les responsables politiques dans l’une des plus cinglantes impostures de ces dernières années. Après 24 heures de doute, puis de soupçons, mardi après-midi les enquêteurs ont fini par confondre Marie-Léonie. Sans préjuger des motivations qui l’ont conduite à fabuler cette histoire d’agression antisémite qui a bouleversé la France, les policiers ont établi qu’il ne s’était rien passé vendredi matin sur la ligne D du réseau express régional, entre les gares de Louvres et de Garges-Sarcelles.

Mise en examen mardi après-midi pour tenter d’éclaircir les « incohérences » et les « contradictions » de la jeune femme, déjà observées la veille par les enquêteurs, la version des faits de la jeune femme n’a pas résisté à un examen approfondi des éléments dont ils disposaient. Les informations délivrées notamment par son téléphone portable ont notamment permis de révéler un emploi du temps, le matin de l’agression, qui ne collaient pas à son récit et dévoiler la complicité de son compagnon, lui aussi placé en garde à vue, ainsi qu’une troisième personne, proche du couple, également retenue pour les besoins de l’enquête.

Si le mobile n’est pas encore connu -et on s’oriente à cet égard vers une piste psychiatrique- à ce stade de l’enquête tout était faux : aucun jeune Africain ni Maghrébin n’a attaqué Marie-Léonie au prétexte qu’elle aurait été juive. Les brutalités commises sur sa personne et celle de sa fillette de treize mois, et les sévices relevées sur son corps (éraflures, griffures et dessins de croix gammées), n’ont pas eu lieu ou ont été auto-infligées. Aussi, dans un élan aussi remarquable qu’inhabituel d’autocritique, les journaux développaient mercredi le thème du fiasco médiatique et de la précipitation politique.

A chacun ses responsabilités, mais quand l’horloge politique se met au diapason de l’urgence médiatique, elle se déconnecte du temps institutionnel (judiciaire et policier). A l’évidence, rétrospectivement, l’impatience n’a pas sa place dans les affaires publiques graves et complexes. Et dans ce genre d’histoire, compte tenu des problèmes réels qui subsistent en la matière et du climat qui règne, chaque geste compte. D’où la nécessité de ne pas s’agiter. Certains politiques l’avaient compris et ont su garder leur sang-froid avant d’emboîter le pas à ce que certains aujourd’hui qualifie « d’hystérie collective» (Libération). Il n’est pas indifférent de constater que parmi ces derniers figurent d’anciens ministre de l’Intérieur, ou spécialistes des questions de sécurité (Nicolas Sarkozy, Daniel Vaillant, Julien Dray). Ont-ils été mieux conseillés, ont-ils bénéficié d’informations supplémentaires les invitant à la prudence, tandis que d’autres responsables, ne voulant sans doute pas prendre le risque de prêter le flanc au laxisme, s’empressaient de communiquer ?

« Instrumentaliser l’antisémitisme contre une population déterminée »

Si l’on retrace la genèse de cette fulgurante affaire, on constate que l’enquête journalistique démarre par une « fuite » émanant d’un magistrat choqué du récit de l’agression qui lui a été rapporté par un collègue, samedi matin, au moment de l’enregistrement de la plainte (recueilli la veille par la police). L’Agence France-presse est alertée en début d’après-midi et démarre immédiatement son enquête, qui n’aboutira qu’en fin d’après-midi. On observe que la première dépêche publiée par l’AFP, vers 19 h 42, s’applique à « sourcer » rigoureusement son information et à en replacer les termes dans la bouche de ses interlocuteurs, les policiers. A ce stade des investigations, rien ne permet de douter de la bonne foi de la victime. On constate également la quasi-simultanéité de la publication de l’information par la grande agence nationale et des communiqués émanant du ministre de l’Intérieur (21 h 54) et de la président de la République ((22 h 11), signe que la communication a vraisemblablement été établie entre la direction de la police nationale et les cabinets de messieurs Villepin et Chirac. La suite est connue : depuis dimanche, l’information en France est dominée par cette affaire et ses réactions, les secondes renforçant circulairement la pertinence de la première. Dans le contexte qu’on sait, dans le jargon journalistique, c’est une trop belle histoire.

Nombre d’Africains et de Maghrébins se sont sentis salis, stigmatisés, par la relation des événements de ces derniers jours et le peu de précautions prises par les journalistes. Mercredi, des élus, des porte-parole d’associations, des responsables des cultes clamaient leur indignation et leur crainte d’un élargissement du fossé entre les communautés françaises. Alors que la situation a pris une tout autre tournure, les langues se délient et les journaux rapportent la colère de ceux qui dénoncent « l’islamophobie ambiante qui règne aujourd’hui en France et où s’engouffrent tous les médias pour mettre en accusation la communauté musulmane » (Kamel Kabtane, président du conseil régional du culte musulman de la région Rhônes-Alpes). Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples protestent contre « les propos irresponsables tenus par des personnes qui ont profité de cette affabulation pour (…) instrumentaliser l’antisémitisme contre une population déterminée ». On peut lire dans les courriels des lecteurs du quotidien Libération des formules telles que « j’attends le premier mort », « Saint-Barthélemy philosémite ». Pour le Conseil représentatif des institutions juives de France, « le plus dramatique, c’est que cette jeune femme ait cru qu’elle serait crédible en affirmant qu’on l’avait prise pour une juive et que ses agresseurs étaient d’origine black et beur. Et le pire c’est qu’elle a été jugée crédible, parce que cela se passe tous les jours ».

Lors de l’entretien qu’il accorde traditionnellement le 14 juillet, le président de la République est revenu sur les événements pour estimer qu’il s’agissait là des « séquelles de ce mauvais climat qui s’est développé. Quand il y a manipulation, il faut que le manipulateur soit sanctionné ». Jacques Chirac a déclaré ne pas regretter sa réaction précipitée. « Nos compatriotes juifs, musulmans ou d’autres même, tout simplement parfois des Français, sont l’objet d’agressions au seul motif qu’ils n’appartiennent pas ou ne sont pas originaires de telles ou telles communauté. C’est inacceptable, c’est le contraire même de notre pacte social, de la morale à laquelle nous sommes attachés », a déclaré le chef de l’Etat.

Le code pénal prévoit des peines allant jusqu’à six mois de prison et 7 500 euros d’amendes pour « dénonciation de délit imaginaire ».



par Georges  Abou

Article publié le 14/07/2004 Dernière mise à jour le 14/07/2004 à 14:41 TU