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Antisémitisme

La France sous le choc

La gare de Louvres, sur la ligne D du RER. L’est du Val d’Oise jouit de l’une des réputations parmi les plus calamiteuses de toute la région. 

		(Photo: AFP)
La gare de Louvres, sur la ligne D du RER. L’est du Val d’Oise jouit de l’une des réputations parmi les plus calamiteuses de toute la région.
(Photo: AFP)
L’agression d’une jeune femme et son bébé de treize mois dans une rame du Réseau express régional d’Ile de France (RER) provoque une émotion considérable en raison du caractère violent, lâche et antisémite de l’attaque subie par les victimes. Cette agression survient dans un contexte de recrudescence des actes racistes et au moment où les responsables politiques appellent à un sursaut républicain.

Vendredi 9 juillet, vers 9 heures 30 du matin, une jeune femme prend place dans le RER en gare de Louvres, dans le département du Val d’Oise. Elle est accompagnée de son bébé de treize mois. Selon son témoignage, rapporté par les policiers, elle est alors agressée par six jeunes gens, a priori «trois Maghrébins et trois Africains». Ils ont entre quinze et vingt ans et, selon les enquêteurs, portent les uniformes de la «racaille de banlieue»: baskets, joggings, casquettes. Trois d’entre eux ont des couteaux. L’agression est immédiatement brutale. Ils entourent leur victime, la contraignent physiquement et lui volent argent et carte de crédit. Ils s’emparent de ses papiers d’identité et constatent qu’elle a habité dans le XVIème arrondissement de Paris, là où ne résident que des juifs, auraient lâché l’un deux.

Persuadés que la jeune femme est juive –ce qu’elle n’est pas– les voyous changent de registre et l’agression prend une tournure massivement antisémite. La capote de la poussette du bébé est lacérée, ainsi que les vêtements de la mère, dont le visage est griffé, le cou éraflé et à qui ils coupent des mèches de cheveux et dessinent des croix gammées «sur son ventre, sous les seins et jusqu’au pubis». La jeune femme appelle au secours, sans succès, malgré une vingtaine de passagers présents dans le wagon. Les six jeunes gens quittent le RER en gare de Sarcelles-Gonesses, après avoir renversé la poussette et sa petite fille sur le quai de la station. L’agression a duré moins de quinze minutes.

Pour l’instant la police cherche des témoins. Un appel a été lancé pour recueillir les dépositions des personnes présentes dans le wagon au moment des faits. Les vidéos enregistrées par les caméras de surveillance sur les quais de gare sont en cours d’examen. Les enquêteurs en attendent de pouvoir identifier les auteurs de l’agression ou, au moins, quelques uns des passagers présents parmi la vingtaine qui auraient assisté à la scène.

Cet événement provoque des réactions d’indignation à la mesure de la sauvagerie des actes, mais également en raison du fait qu’ils se déroulent dans un contexte particulièrement sensible sur la question du racisme en France, actuellement. La presse, les élus, les organisations de défense des droits de l’Homme, les représentants des grandes religions se rejoignent pour condamner unanimement cette agression, considérée comme la plus grave perpétrée dans ce registre en raison d’un mode opératoire qui, souligne un responsable de la communauté juive, rappelle les méthodes de harcèlement d’inspiration nazie. Il est notamment intervenu au lendemain de la déclaration solennelle du président de la République, dans le petit village cévenole et exemplaire à cet égard de Chambon-sur-Lignon, où Jacques Chirac a appelé ses concitoyens à un « sursaut », face à la montée du racisme et de l’antisémitisme.

« Un sentiment du deux poids deux mesures »

De notoriété publique, les faits se sont produits dans l’une des régions les plus propices à l’insécurité du territoire national. L’est du Val d’Oise jouit en effet de l’une des réputations parmi les plus calamiteuses de toute la région. Cette partie du département, limitrophe de la Seine-Saint-Denis, concentre à elle seule bon nombre des pires héritages des cités-dortoirs construites dans les années 60, autrefois désignés sous le terme générique de « sarcellite », et caractérisés par une forte concentration de problèmes sociaux aggravés par la constitution de ghettos peuplés par des populations majoritairement d’origine immigrée, dont les revenus ne favorisent guère l’ascension sociale. Ce sont ces communes de l’ex-banlieue rouge (anciennement peuplées d’ouvriers électeurs du parti communiste) qui sont aujourd’hui qualifiées dans les médias de zones de non-droit. Dans le Val d’Oise, la ligne D du RER traverse l’une d’elles et les incidents y sont quasi quotidiens. Outre la lâcheté face à des voyous déterminés, la répétition des incivilités dans un contexte policier défaillant n’incitent donc pas les passagers à intervenir lorsque, à l’autre bout du wagon, une nouvelle altercation vient perturber la monotonie du voyage.

Néanmoins, si la suite confirme les premiers éléments recueillis par les enquêteurs, ce nouvel épisode marquera une étape qualitative dans la vulgarisation de cette forme de racisme particulière qu’est l’antisémitisme. Cette variante, autrefois plutôt réservée à l’extrême droite nationaliste, s’est répandue sans retenue au sein d’une certaine frange, marginale mais particulièrement virulente, de la population jeune et arabe et africaine, ayant en tout cas l’islam en commun, et d’origine immigrée. Elle n’est certainement pas d’installation récente au sein de ces communautés, mais son expression débridée concorde avec la hausse des statistiques sur l’observation du phénomène. Certains y voient la projection locale d’événements lointains, avec la persistance du conflit au Proche-Orient, d’autres évoquent l’influence de prédicateurs islamistes et de discours d’intellectuels plus ou moins mal digérés. Le débat n’est pas tranché, mais au premier semestre 2004, il y a eu deux fois plus d’incidents de cette nature qu’au cours de premier semestre 2003.

Selon Pascal Boniface, directeur de l’Institut français des relations internationales et stratégiques (Iris) interrogé par Libération, ce mouvement ascendant aurait également pour origine «le sentiment qu’on parle de certaines formes de racisme et pas d’autres, que lorsqu’un jeune Arabe est victime d’une bavure policière, il ne se passe rien (…). Cela crée un sentiment du deux poids deux mesures». Surtout lorsqu’au plus haut niveau de l’Etat, on appelle à la mobilisation et au sursaut au risque d’une dramatisation du message et d’une institutionnalisation de l’indignation. Au risque enfin de conforter les voyous dans leur rôle de caïds antisociaux, assurés d’obtenir une bonne place dans les journaux télévisés pour une profanation de cimetière, hier, une mère de famille agressée, aujourd’hui, au motif qu’elle serait juive.



par Georges  Abou

Article publié le 12/07/2004 Dernière mise à jour le 12/07/2004 à 15:10 TU