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Antisémitisme

Endiguer la vague de violences

Un membre de la communauté juive se tient dans le cimetière juif d'Herrlisheim après la découverte de la profanation de 127 tombes. 

		(Photo : AFP)
Un membre de la communauté juive se tient dans le cimetière juif d'Herrlisheim après la découverte de la profanation de 127 tombes.
(Photo : AFP)
Jean-Pierre Raffarin réunit, le 3 mai, un conseil interministériel consacré à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Ce rendez-vous était prévu de longue date. Mais il prend un caractère particulier à la lueur des profanations perpétrées il y a quelques jours dans un cimetière juif d’Alsace. Cet événement est survenu au moment de la publication des dernières statistiques du ministère de l’Intérieur qui rappellent que les actes de violence à caractère antisémite sont en hausse en France.

«Juden Raus»: «les juifs dehors». Cette inscription a été retrouvée sur une pierre tombale dans le cimetière juif d’Herrlisheim, près de Colmar en Alsace, où des profanateurs, qui appartiennent vraisemblablement selon les enquêteurs à des groupes néo-nazis, ont détérioré 127 sépultures dans la nuit du 29 au 30 avril. Les tombes ont été barbouillées de croix gammées, de croix celtiques, de sigles SS et de slogans en allemand qui ne laissent aucune ambiguïté sur les convictions antisémites de ceux qui les ont inscrits («Ein Volk, ein Reich, ein Führer» ou «un peuple, un empire, un guide»). Deux drapeaux allemands ont aussi été retrouvés sur place par les policiers qui ont constaté les faits après qu’un chauffeur de camion a donné l’alerte sur l’existence de dégradations dans le cimetière.

Pour les représentants de la communauté juive d’Alsace, il s’agit d’un événement particulièrement inquiétant. Pierre Dreyfus, le président du consistoire israélite du Haut-Rhin, qui a rappelé que cette profanation est intervenue à quelques jours de l’anniversaire de la capitulation de l’Allemagne nazie, a jugé qu’il était «atterrant» de voir inscrit sur des tombes juives le nom d’Adolf Hitler. Pour lui, cela montre que «les vieux démons ressurgissent». Delphine Lévy, la présidente de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) à Strasbourg, a quant à elle déclaré qu’un «acte plus lâche ne pouvant pas être commis, nous sommes en droit de nous interroger face à la montée de cet antisémitisme moderne».

L’indignation de la communauté juive a été partagée par l’ensemble de la classe politique française, à droite comme à gauche. Le président Jacques Chirac s’est d’ailleurs lui-même exprimé pour condamner de tels actes qu’il a qualifiés d’«abominables et intolérables». Le chef de l’Etat a aussi assuré les familles «de la détermination absolue des pouvoirs publics à rechercher, poursuivre et faire condamner sévèrement les auteurs de cette ignominie». Le ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin, qui s’est quant à lui rendu sur les lieux, a demandé qu’une enquête soit immédiatement diligentée.

«Un nouvel antisémitisme populaire des antifeujs»

Il est vrai que la question de la montée de l’antisémitisme dans les pays européens, qui a fait l’objet d’une conférence spécifique de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) la semaine dernière, préoccupe au plus haut point les autorités françaises. Depuis plusieurs années, les organisations juives signalent, en effet, une recrudescence des actes à caractère antisémite dans l’Hexagone. Cette question a d’ailleurs fait l’objet récemment d’une vive polémique entre l’ancien ministre de l’Intérieur et actuel ministre de l’Economie, Nicolas Sarkozy, et les députés de l’opposition. Le premier ayant accusé le gouvernement socialiste de Lionel Jospin de n’avoir pas assez combattu ce phénomène lorsqu’il était au pouvoir et d’avoir laissé la situation se détériorer jusqu’à donner une image antisémite de la France à l’étranger.

Dans un contexte aussi sensible, la profanation du cimetière d’Herrlisheim apporte une nouvelle illustration du fait que, malgré les actions engagées et notamment l’adoption en 2003 d’une loi qui condamne les auteurs de tels actes avec la plus grande sévérité, l’antisémitisme persiste. Les statistiques publiées par le ministère de l’Intérieur confirment cette tendance. Au premier trimestre 2004, 67 actes antisémites et 160 menaces ont été répertoriés en France. Ces chiffres mettent en valeur une baisse de 16,23 % des menaces par rapport au dernier trimestre 2003, mais une hausse de 59,52 % des violences contre les biens et les personnes. Pour le ministère de l’Intérieur, cette augmentation notable du nombre d’actes violents antisémites enregistrés est en grande partie due au fait que les services de police sont plus vigilants et que les victimes hésitent dorénavant beaucoup moins à les déclarer et à porter plainte.

Mais dans le même temps et malgré cet effort de sensibilisation des autorités face aux actes racistes et antisémites, on note aussi que certains «tabous» ont disparu. L’historienne Esther Benbassa estime ainsi: «Aujourd’hui, on n’a plus honte d’être raciste ou antisémite». L’une des explications de cette situation vient du fait qu’à côté de l’antisémitisme traditionnel d’extrême droite, se développe selon le président de l’UEJF, Yonathan Arfi, «un nouvel antisémitisme populaire des antifeujs [antijuifs]». Le ministère de l’Intérieur explique cela par l’influence «énorme» qu’exerce la situation internationale, en particulier au Moyen-Orient, sur la courbe des incidents antisémites répertoriés en France, en vertu d’une identification de certains membres de la communauté musulmane avec les Palestiniens en lutte contre Israël. Ce phénomène est d’ailleurs à l’origine, par exemple, de nombreuses violences dans le cadre scolaire où les affrontements entre jeunes musulmans et juifs prennent un caractère communautaire.

par Valérie  Gas

Article publié le 03/05/2004 Dernière mise à jour le 03/05/2004 à 15:44 TU