Antisémitisme
Le doute
Photo : AFP
En 24 heures, le profil de cette affaire a considérablement évolué. Et pas au profit de la victime, désormais qualifiée de « présumée victime ». Celle-ci a été placée en garde à vue dans l’après-midi de mardi, après avoir été de nouveau entendue par les policiers. Elle est soupçonnée d’avoir menti.
En effet, les enquêteurs semblent éprouver quelques difficultés à rassembler les éléments visant à reconstituer le scénario de l’agression selon la version donnée par la jeune femme. Selon ses déclarations, rapportées par les enquêteurs, celle-ci et sa petite fille de treize mois ont donc été victimes d’une agression vendredi matin dans un wagon de la ligne D du réseau express régional (RER) entre les gares de Louvres et de Sarcelles-Gonesses. Crapuleuse à l’origine, puisque l’objectif des six jeunes malfaiteurs (décrit comme trois Maghrébins et trois Africains) est de dépouiller la jeune femme, l’agression se transforme en attaque antisémite lorsque les six individus croient découvrir qu’elle est juive, ce qui n’est pas le cas. L’agression devient alors brutale : ses effets sont lacérés à coups de couteau, on lui coupe des mèches de cheveux, la poussette du bébé et l’enfant sont jetés sur le quai de la gare. Et, sur la vingtaine de passagers présents dans le wagon, personne ne réagit.
Or, les policiers chargés des investigations, qui déclarent travailler à charge et à décharge, estimaient lundi que les déclarations de la jeune fille présentaient des « contradictions et des incohérences ». En tout cas ils semblent éprouver les plus grandes difficultés à « faire coller » la version de la victime aux faits, qu’ils tentent de reconstituer. Les témoignages sont rares. Et ceux qui leur parviennent ne confirment pas la présentation des faits rapportés par la victime. Selon le récit d’un témoin, lorsque la jeune femme est montée dans le train, en gare de Louvres, son pantalon était déjà déchirés : « Elle pleurait, je lui ai demandé si elle voulait de l’aide. Elle a refusé », déclare-t-il à l’AFP. Le personnel affecté au guichet, auprès duquel la victime déclare être venue se plaindre après l’agression, ne se souvient de rien. Et les bandes vidéos des caméras de surveillance, qui filment les passagers sur les quais des gares du réseau, n’ont apporté aucun élément pour l’instant.
L’enquête de personnalité soulève également des questions qui, dans le contexte, prennent un certain relief. Par exemple, le quotidien Le Figaro publie le témoignage d’une proche de la victime, présentée comme un des témoins clefs entendus par les enquêteurs, qui déclare, exemples à l’appui, que la jeune femme est victime de crises de mythomanie. Le journal cite une source policière selon laquelle la jeune femme a porté plainte six fois au cours des cinq à six dernières années dans des affaires de vol ou d’agression, jamais élucidées.
Les thèmes qui nourrissent l’inquiétude des citoyens
Reste que des traces d’agression, notamment sous la forme de blessures légères, ont bien été « constatées médicalement et policièrement » sur le corps de la victime et celle de sa petite fille, sur le front de laquelle un hématome a été relevé. Il apparaît donc essentiel aux yeux des enquêteurs que des témoins se manifestent afin de lever les ambiguïtés qui entourent cette affaire qui, désormais, dépasse largement le strict cadre du fait divers, de la banale agression dans un train de banlieue.
En effet, depuis sa révélation, samedi soir, on a assisté à un emballement médiatique qui a engagé l’opinion publique et les responsables politiques dans une surenchère d’indignation aussi légitime que spontanée. Les déclarations se sont multipliées, validant les faits a priori. Le président de la République a fait part de son « effroi ». Lundi, l’assemblée nationale a interrompu ses travaux afin de permettre aux députés de participer aux manifestations de protestation organisées à cette occasion. Le Premier ministre a lancé un appel au « courage citoyen », tandis que le président de la région Ile-de-France prônait une mobilisation politique. La secrétaire d’Etat au Droit des victimes a reçu la jeune femme et renouvelé l’appel à témoins.
Face à la tournure prise par les événements au cours de ces dernières heures, la nécessité d’introduire un doute méthodologique dans la conduite à tenir paraissait donc indispensable. A la prudence des enquêteurs répondent aujourd’hui les réserves des journalistes et des responsables politiques hier si prompts à s’enflammer et à entraîner dans leur sillage une opinion publique choquée et exaspérée. A leur décharge, cette affaire réunit tous les ingrédients pour garantir un tel résultat. La ligne D du RER est certainement l’une des pires du réseau et les faits présumés ont eu lieu au cœur de l’une de ces banlieues où s’établissent les zones de non-droit dont il est si souvent question dans les journaux. Ces voyous, dont les comportements ont été décrits par la victime, ne sont pas un fantasme de petit bourgeois apeuré mais existent bel et bien. L’antisémitisme est devenu en France une réalité incontournable, dont les vecteurs les plus virulents sont souvent ces jeunes gens d’origine étrangère, de milieux extrêmement défavorisés, et qui puisent vraisemblablement leur racisme dans le rejet dont ils sont eux-mêmes les victimes.
La synthèse des multiples thèmes qui nourrissent l’inquiétude des citoyens est ainsi réalisée : une banlieue livrée aux bandes, un communautarisme débridé, l’étranger inassimilable, des institutions impuissantes. Et une presse trop pressée.
par Georges Abou
Article publié le 13/07/2004 Dernière mise à jour le 13/07/2004 à 13:49 TU