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Cameroun

Le spectre de l’intolérance

Pour l'iman de la grande mosquée de Maroua, Mahmoudou Mal Bakari, le document incriminé «<EM>apparaît vraisemblablement comme une manoeuvre montée de toutes pièces pour désunir nos communautés</EM>». 

		(Photo : AFP)
Pour l'iman de la grande mosquée de Maroua, Mahmoudou Mal Bakari, le document incriminé «apparaît vraisemblablement comme une manoeuvre montée de toutes pièces pour désunir nos communautés».
(Photo : AFP)
Datés de septembre 2003, des tracts attribués à des prosélytes musulmans sous la bannière de la Jeunesse islamique du Cameroun (JIC), et prônant l’intolérance vis-à-vis des chrétiens, circulent depuis des semaines dans la partie septentrionale du pays. L’affaire tarde à révéler ses ressorts, mais déjà le clergé chrétien s’en est ému, et les autorités s’en préoccupent.

L’affaire a jeté le trouble dans les esprits depuis quelques mois. Elle remonte pourtant à l’année dernière, si l’on en croit les dates apposées sur des documents qui, selon diverses sources, portent des signatures différentes selon les localités où ils sont disponibles. Le premier, parmi les plus répandus dans le nord du pays, est rédigé sur un papier dont l’entête porte, en lettres capitales,  les inscriptions «Jeunesse Islamique du Cameroun. Bis-mi-l’ahir-ramanir-rahim. Louange à Dieu miséricordieux». Signé Cheick Modibo Haroun, «président», et de Oustass Younoussa, «secrétaire général national», il se présente comme «la résolution du 3e congrès national de la  JIC  ( du 05/09/03 au 07/09/03 à Maroua)».

Le discours, dont le ton oscille entre autosatisfaction et prescriptions, tire «un  coup de chapeau à (leurs) jeunes du sud qui ont réussi beaucoup sur le plan de la lutte contre les Chrétiens» ; il avance des chiffres relatifs à «l’islamisation», difficiles à vérifier. Exemples : 2 713 adultes et 1 042 enfants chrétiens ont été convertis à l’islam. Le document  rappelle aux congressistes que «chaque fois que vous seriez (sic) en face d’un Chrétien ( sic) au sein d’une église, le mieux serait (sic) de lui proposer une bourse, soit pour le Tchad, l’Egypte, le Pakistan, le Soudan, l’Arabie Saoudite ou le Koweït. Surtout que notre grand-nord est favori dans les d’aides l’extérieures (sic)».

Suit alors un chapelet de mesures pour des actions concrètes, en une vingtaine de points, dont l’approfondissement de l’étude de la bible, le refus de louer des maisons aux chrétiens par divers subterfuges, la vente des terrains et les faveurs électorales exclusivement  réservées aux musulmans, une plus forte présence dans les radios et télévisions, l’envoi massif des enfants à l’école «car l’avenir de l’islam en dépend»,  etc.

«Une manœuvre montée de toutes pièces pour désunir nos communautés»

Ces tracts n’ont pas laissé indifférentes les autorités chrétiennes. Dès le 7 mai, Mgr Philippe Stevens, Evêque de Maroua-Mokolo, rencontre Mahmoudou Mal Bakari, l’Imam de la grande mosquée de Maroua et président du Comité des Ulémas du Cameroun, afin, selon nos informations, de s’enquérir de la situation.  «Ce document apparaît vraisemblablement comme une manœuvre montée de toutes pièces pour désunir nos communautés», croit l’Imam dans une correspondance datée du 21 mai, adressée à l’Evêque de Maroua-Mokolo. Sous sa plume, les milieux musulmans du nord, disent ne pas se reconnaître dans ces tracts dont l’Imam trouve les messages contradictoires avec les principes de l’Islam.

En réponse aux propos rassurants de Mahmoudou Mal Bakari, Mgr Philippe Stevens, se dit heureux d’avoir pu s’entretenir avec l’Imam et ses collaborateurs de «ce document qui nous a troublés mais qui s’avère être totalement faux, suite à votre enquête», écrit le prélat dans une correspondance datée du 27 mai. L’évêque prend acte des explications de l’Imam, tout en souhaitant «que les auteurs de cette action infâme, quels qu’ils soient, puissent être découverts et punis». Dans son éditorial du 7 juillet, paru dans l’Effort camerounais, le bi-mensuel catholique au nom de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, le Père Antoine de Padoue Chonang écrit : «Au vu du cauchemar que ce genre d’intégrisme est en train de faire vivre à nos voisins nigérians, on a toutes les raisons de croire que nous sommes assis sur un volcan qui couve. Il faut se rendre à l’évidence l’intégrisme-Terminator est bien à nos portes».

Pour l’instant, et même si certains parlent de «manipulations», les autorités administratives locales se préoccupent de la situation ainsi créée. Après des réunions organisées sous son égide pour prôner le dialogue des confessions religieuses, «en vue de prévenir le désordre ainsi annoncé par les auteurs de ces documents», le Préfet de la Bénoué à Garoua, chef-lieu de la province du nord, a par exemple annoncé que «les services de sécurité sont sur de bonnes pistes», s’agissant de la recherche des auteurs des tracts.

Les rapports d’enquêtes sont très attendus dans cette région où le Cameroun partage ses frontières avec le Tchad, le Nigeria, et la République centrafricaine, pour que tout le monde en sache un peu plus sur les véritables mobiles de cette opération.



par Valentin  Zinga

Article publié le 24/07/2004 Dernière mise à jour le 24/07/2004 à 14:56 TU