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Kosovo : cinq ans après l’intervention de l’Otan

La vie impossible des Serbes du ghetto de Ljipljan

<i>« Les Serbes du Kosovo n’ont plus d’autre droit que celui de mourir.»</i> 

		(Photo : AFP)
« Les Serbes du Kosovo n’ont plus d’autre droit que celui de mourir.»
(Photo : AFP)
Après les émeutes du mois de mars, le sort des Serbes qui vivent dans des enclaves du Kosovo central est de plus en plus menacé. Dans le ghetto de Ljipljan, beaucoup ne croient plus en un règlement négocié, et vendent leurs maisons
De notre envoyé spécial au Kosovo

Jusqu’aux émeutes du mois de mars dernier, le ghetto serbe du centre de Lipljan comptait plus de 2 500 habitants. Dans cette commune située à une vingtaine de kilomètres à l’est de Pristina, les soirs des 17 et 18 mars, un tiers des maisons du ghetto ont été détruites et incendiées par des émeutiers albanais. Aujourd’hui, le ghetto ne compterait plus qu’environ 800 habitants.

Alors que les Serbes ont été chassés de toutes les villes du Kosovo dès juin 1999, après l’arrivée des forces de l’Otan, et se concentrent aujourd’hui dans des villages gardés par les soldats de la KFOR, Ljipljan était la seule ville où une importante communauté serbe avait pu se maintenir. Les Serbes n’ont pas cependant plus accès au centre ville depuis 1999, et vivent dans un quartier pavillonnaire qui s’étale en longeant la ville devenue albanaise.

Des parcours secrets conduisent de maison en maison

Ici, la communauté serbe dispose de ses écoles et de son église, entourée de barbelés et sévèrement gardée par les blindés de la KFOR. Des itinéraires parallèles se sont mis en place pour passer d’une maison à l’autre, en traversant les cours et les jardins. Le docteur Zoran Trajkovic explique que « depuis cinq ans, les Serbes de Lipljan ont oublié ce qu’était l’asphalte ». Lui-même assure une permanence de santé dans le quartier, et travaille dans le village serbe de Gustarice où il se rend quotidiennement dans un véhicule escorté par la KFOR.

Mirka Simeonovic, la cousine du docteur Zoran, fait partie des irréductibles Serbes qui vivent toujours à Lipljan. Elle balaie d’un revers de la main toutes les questions sur les risques qu’elle encourt. « Mon fils unique était réserviste, il a été tué durant les bombardements de l’OTAN. Mon mari est mort peu après, rongé par le chagrin ». Mirka, 63 ans, doit subvenir aux besoins des trois enfants de son fils, qu’elle avait pu mettre à l’abri chez un cousin, dans un village serbe, juste avant que n’éclatent les émeutes.

« Je serai sûrement tuée par des extrémistes albanais »

« Je voudrais que les enfants de mon fils puissent partir à Belgrade pour faire de bonnes études, en sécurité, mais je ne connais personne en Serbie et je n’ai pas d’argent », soupire Mirka. « S’ils pouvaient partir, je serai soulagée. Moi, je resterai ici tant que je pourrai, pour aller fleurir tous les jours la tombe de mon fils. De toute façon, je serai sûrement très vite tuée par les extrémistes albanais. Les Serbes du Kosovo n’ont plus d’autre droit que celui de mourir .»

Malgré la timide normalisation amorcée depuis le mois de mars, les conditions de vie des Serbes de Lipljan sont toujours plus difficiles. Alors que les commerces de la rue centrale de Lipljan ne se trouvent qu’à quelques dizaines de mètres du ghetto, les Serbes ne peuvent sortir dans la ville albanaise que deux fois par semaines, le mercredi et le samedi, de 10 heures à 14 heures, sous solide escorte des soldats finlandais de la KFOR, qui sont déployés dans la ville. « Les Serbes du Kosovo vivent en 2004 comme les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale », lâche le docteur Zoran.

« Dans un an, il n’y aura plus de Serbes ici…. »

Depuis mars, les maisons du ghetto serbe qui n’ont pas été détruites sont bradées. La plupart des Serbes essaient de fuir et l’on peut trouver une grande maison pour quelques dizaines de milliers d’euros. « Les Albanais attendent que les prix baissent encore. Dans un an, il n’y aura plus de Serbes à Lipljan, et les extrémistes albanais auront obtenu ce qu’ils voulaient », estime le docteur Zoran.

Comme tous les Serbes du Kosovo, il n’espère rien de bon des négociations sur l’avenir du Kosovo. « Pour les politiciens de Belgrade, le Kosovo est un boulet. Si la province était partagée, le nord serait rattaché à la Serbie, tandis que les enclaves seraient liquidées. La communauté internationale aussi préférerait cette solution, plutôt que de devoir continuer à mobiliser des milliers de soldats pour faire semblant d’assurer notre protection ». Cent à cent-vingt mille Serbes vivraient toujours au Kosovo, tandis que 250 000 sont réfugiés en Serbie et au Monténégro. La présence serbe au Kosovo se partage entre le secteur nord, homogène et contigu à la Serbie et un chapelets d’enclaves qui s’étalent à travers toute la province. Quelque 20 000 Serbes vivent toujours dans le « secteur central », qui regroupe une vingtaine de villages sur le territoire des communes de Pristina, Obilic, Kosovo Polje et Lipljan.

Zoran Trajkovic exclut catégoriquement de vivre dans un Kosovo albanais indépendant. « L’expérience nous a appris à ne plus croire les engagements, les promesses ni les garanties de la communauté internationale. Les Albanais veulent un Kosovo ethniquement pur, et ils l’obtiendront ». Il n’a pas de famille ni de projets en Serbie, mais il est convaincu que son tour de partir arrivera vite. « Pourtant, même si nous partons, nous emporterons le Kosovo dans nos cœurs », conclut-il.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 27/07/2004 Dernière mise à jour le 27/07/2004 à 10:02 TU